Choix de mère

Accoucher à domicile : choix de la liberté ou choix risqué ?

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Bébé né chez lui

En France, les accouchements à domicile accompagnés restent une pratique très minoritaires, moins de 1%, mais elle connait un engouement de plus en plus populaire. 

© apaad.fr
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Pour les médecins, choisir d'accoucher à domicile peut représenter un réel danger pour la mère et l'enfant. Une position qui ne fait pas l'unanimité. Sur les réseaux sociaux, un courant vante le retour à l'accouchement au naturel, loin de la surmédicalisation des maternités et des hôpitaux. Si cette pratique enregistre une légère augmentation, elle reste très rare en France.

C'est arrivé fin novembre 2023, en Bretagne. Une femme et son nouveau né sont morts à la suite d'un accouchement à domicile, sous la supervision d'une sage-femme. Un transfert à l'hôpital, pour une césarienne, n'a pu sauver ni la mère ni l'enfant.

Pour une part du corps médical, ce drame illustre les risques inhérents à l'accouchement accompagné à domicile. Rare en France avec moins de 1% des naissances, ce choix - à distinguer de la pratique encore plus marginale de l'accouchement sans aucune supervision -, fait régulièrement l'objet de vives critiques de la part des médecins.

Nous ne pouvons pas cautionner cette pratique où le risque de mortalité maternelle et du bébé est nettement plus élevé. Joëlle Belaisch Allard, pdte CNGOF

"Dans la situation française actuelle, il est beaucoup plus dangereux d'accoucher à domicile que dans un milieu médicalisé", juge auprès de l'AFP Joëlle Belaisch Allard, présidente du Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). "Nous ne pouvons pas cautionner cette pratique où le risque de mortalité maternelle et du bébé est nettement plus élevé", insiste-t-elle. Avec d'autres organisations de médecins (anesthésistes réanimateurs, urgentistes...), son collège a donc redit son opposition, dans un communiqué.

Une controverse de longue date

Au-delà de ce front médical, les positions sont moins unanimes, que l'on aille regarder à l'étranger ou que l'on s'intéresse à d'autres professions. En France, les sages-femmes ne se prononcent pas en bloc contre l'accouchement à domicile. Et, dans d'autres pays comme les Pays-Bas et le Royaume-Uni, les sociétés savantes médicales sont bien plus ouvertes à cette pratique.

Il y a deux façons de penser la grossesse et l'accouchement qui sont complètement différentes, les uns axés sur la pathologie et le risque, les autres plutôt sur la normalité. Béatrice Jacques, sociologue

Ces divergences témoignent d'une controverse de longue date. Pour de nombreux docteurs, le choix d'accoucher à domicile est difficilement compréhensible, au vu de la sécurité apportée par les ressources d'un hôpital, et va à l'encontre des progrès de la médecine. Mais pour d'autres soignants, il est important de permettre aux patientes de choisir un environnement connu et moins anxiogène, à partir du moment où elles présentent peu de facteurs de risques.

Entre médecins et sages-femmes, "il y a deux façons de penser la grossesse et l'accouchement qui sont complètement différentes, les uns axés sur la pathologie et le risque, les autres plutôt sur la normalité", souligne la sociologue Béatrice Jacques. Pour cette spécialiste des problématiques de périnatalité,  les sages-femmes sont elles-mêmes très divisées sur l'accouchement à domicile.

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Des études divergentes 

Les études, pourtant nombreuses, ne permettent pas de trancher le débat, elles restent contradictoires quant au risque réellement représenté par l'accouchement à domicile.

Parmi les plus négatives, une vaste enquête réalisée aux Etats-Unis en 2013 estime qu'un accouchement accompagné à domicile débouche quatre fois plus souvent qu'à l'hôpital sur d'importants problèmes neurologiques chez le nourrisson. Elle a été publiée dans le journal de la société américaine des gynécologues obstétriciens, opposée comme son homologue française à l'accouchement à domicile.

Mais une autre étude, publiée dans le BMJ ("BMJ Global Health", Journal de la santé mondiale, ndlr) en 2011 et réalisée en Angleterre, est nettement moins tranchée. Certes, les complications sont légèrement plus fréquentes à domicile lors du premier accouchement d'une femme sans facteur de risque, mais la différence est faible par rapport à l'hôpital.

Si les auteurs se prononcent pour faciliter le libre choix des femmes sur leur lieu d'accouchement, ils soulignent que les complications restent rares quel que soit le lieu d'accouchement. Tout en admettant un point crucial : il est difficile de généraliser ces conclusions à d'autres pays. Si les accouchements à domicile restent peu fréquents au Royaume-Uni, le système de soin y est largement préparé avec notamment la mobilisation systématique d'une ambulance pour parer à d'éventuelles complications.

"En Haïti, deux tiers des accouchements se passent à la campagne sous la supervision des matrones", Obrillant Damus, sur TV5Monde.
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Libre choix des femmes

"Tout dépend de l'organisation des soins périnataux", admet Joelle Belaisch Allard, pour qui un accouchement doit toutefois être systématiquement considéré à risque. "Actuellement en France il n'y a pas d'organisation qui permette d'accoucher à domicile dans de bonnes conditions", assure-t-elle, reconnaissant néanmoins l'absence d'étude qui mesure ces risques en France.

En France, l'accouchement à domicile est tout à fait légal et remboursé par la sécurité sociale, rappelle un article dans Le Figaro : "une femme peut accoucher chez elle par "accident", mais aussi par choix, en étant accompagnée par une sage-femme ( on parle alors d’un accouchement assisté à domicile ou AAD) ou non («accouchement non assisté»)". Comme le précise encore la journaliste, "les décès maternels en AAD restent rares : un seul était signalé dans le rapport de l’Apaad 2021 sur des données de 2020. Ce rapport évoquait toutefois une hausse des hémorragies du post-partum et du taux de décès néonatal (de 0% les années précédentes à 0,2%)".

En 2020, 1503 Françaises ont fait le choix d’accoucher à domicile – c’est 16 % de plus qu’en 2019.  (En Belgique, les accouchements à domicile représentent moins d’1% des naissances, le phénomène semble s’amplifier, en particulier depuis la pandémie. Selon Statbel, il y a eu 852 accouchements à domicile en 2020, contre 728 en 2019. Source RTBF)

  • (Re)voir "J’accouche à la maison", Envoyé spécial, 27 octobre 2022, reportage de Marine Haag, Margaux Bachelier, Alex Gouti, Emmanuelle Bach, Jérôme Mars, Emilie Janin

L'accouchement au "naturel", phénomène de mode ? 

Encore très minoritaire, cette pratique devient de plus en plus populaire, notamment via les réseaux sociaux. Dans une enquête Ifop de janvier 2021, 36% des femmes âgées de 18 à 45 ans disaient vouloir accoucher chez elles, si elles en avaient la possibilité.

Une association rassemblant des sage-femmes, l'APAAD, soutient ce choix, estimant qu'il s'agit d'un droit fondamental, comme on peut le lire sur son site internet. Cette association entend accompagner les femmes et "leur permettre de jouir de leur corps et d’enfanter en toute sécurité ; auprès des bébés pour leur offrir une venue au monde douce et sereine".

Une tribune "Pour que l'accouchement à domicile ne soit plus un parcours du combattant" a été publiée en février 2022 dans le quotidien Libération, signé par le collectif "AAD : pour une mobilisation des femmes". Le texte commençait ainsi : "De plus en plus de femmes font le choix d’accoucher à domicile mais le nombre de sages-femmes les accompagnant reste très faible, faute d’une assurance à un prix abordable. A l’instar des Pays-Bas, il est urgent que la France intègre cette possibilité dans le parcours de périnatalité".

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Dire non à la surmédicalisation 

"Nous sommes tant enracinés dans la culture du risque, que nous avons presque oublié la ténacité et le bien-être que les femmes ont déjà", rapporte l'une des intervenantes du documentaire L'art d'accoucher (2019).

 

On a été beaucoup trop loin dans la surmédicalisation des accouchements. On a de moins en moins écouté la voix des patientes, de moins en moins respecté leur choix. Charlotte De Gélas sur la RTBF

Pour Charlotte De Gélas, responsable des maternités au CHU St Pierre à Bruxelles, "Un accouchement n’est considéré à bas risque que quand il est terminé ! Le risque est plus élevé à domicile car en cas de complication, la prise en charge est retardée", rapporte le site de la RTBF." La praticienne comprend néammoins cette tendance du "retour au naturel" : "On a été beaucoup trop loin dans la surmédicalisation des accouchements. On a de moins en moins écouté la voix des patientes, de moins en moins respecté leur choix. On a parfois été très vite pour instrumenter les accouchements, pour faire des péridurales, des épisiotomies et des césariennes. Aujourd’hui, on revient en arrière".

Malgré cela, la plupart des gens pensent qu’on est folles de faire ça, aussi bien les sages-femmes que les mamans. Une sage-femme, RTBF

"Il faut vraiment que toutes les lumières soient vertes pour pouvoir opter pour un accouchement à domicile. D’ailleurs, il n’y a qu’un tiers des demandes qui aboutissent vraiment" , explique dans le même article, Sarah Maes, sage-femme, "Malgré cela, la plupart des gens pensent qu’on est folles de faire ça, aussi bien les sages-femmes que les mamans".

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