L’accouchement à domicile reste répandu aux Pays-Bas, où environ une femme sur huit donne la vie chez elle. Loin d’être un fait isolé, la pratique y est encadrée et rendue possible par une solide organisation des soins obstétriques. Mais cette liberté de choisir son lieu d’accouchement fait aujourd’hui face à une surmédicalisation grandissante.
" Après la naissance du bébé, nous n’avons pas eu à faire le trajet pour rentrer de l’hôpital. J’étais déjà chez moi, j’ai pu me laver dans ma propre douche, dormir dans mon propre lit… C’était pour moi le plus gros avantage de mon accouchement à la maison ". Lydia sourit en se remémorant la naissance de son deuxième fils, en septembre 2018. Cette Néerlandaise de 31 ans a accouché chez elle, dans l’intimité de son foyer à de Meern, près d’Utrecht, entourée seulement de son mari et d’une sage-femme.
Lydia n’est pas un cas isolé : comme elle, 12,7 % des femmes enceintes aux Pays-Bas accouchent chez elles, soit une femme sur huit. Un nombre qui fait figure d’exception dans le monde occidental, où les taux d’accouchement à domicile tournent plutôt autour de 1 à 2 %. Chez les Néerlandais, la pratique est loin d’être majoritaire. Mais contrairement à la France, elle est acceptée socialement et médicalement.
Accoucher dans l’intimité
" Je voulais accoucher à la maison parce que je pensais que c’était plus intime, plus relax, plus protégé, raconte Lydia.
J’ai noté une différence par rapport à mon premier accouchement, qui a eu lieu à l’hôpital. Là-bas, c’était plus intrusif, rien que par le fait d’être dans un endroit inconnu ". Au-delà des avantages psychologiques, accoucher à domicile peut également être bénéfique sur le plan médical. C’est ce que souligne Ank de Jonge, professeure associée en maïeutique à l’Amsterdam University Medical Center et sage-femme depuis 1994 :
" Le départ vers l’hôpital et le fait de se retrouver dans un endroit inconnu peut engendrer du stress et ralentir le travail ".
Le revers de la médaille peut être douloureux : la péridurale est impossible à la maison. Les sages-femmes ne sont pas habilitées à en administrer.
"Mais nous essayons d’aider la parturiente à se détendre, avec des bains, de la musique, des exercices de respiration…", explique Liselotte Kweekel, conseillère en politique internationale à la KNOV, l’Organisation Royale Néerlandaise des Sages-femmes, et elle-même sage-femme depuis 10 ans. Elle ajoute :
"Les Néerlandais sont très terre à terre. Ici, la grossesse et l’accouchement ne sont pas vus comme une pathologie mais comme un processus naturel. En l’absence de risque particulier, il n’y a pas lieu de surmédicaliser". Une vision qui se retrouve largement dans l’organisation des soins entourant les femmes enceintes.
Prévenir les risques
"Notre système d’obstétrique est unique, remarque Liselotte Kweekel.
Les sages-femmes y ont une place très importante, elles ont toujours eu le droit d’intervenir médicalement et de prendre en charge le suivi de grossesse et les accouchements".
Environ 85 % des femmes enceintes se rendent dans un cabinet de sages-femmes pour leur première consultation. Ces dernières sont en effet habilitées à suivre les grossesses non pathologiques et à assister les accouchements physiologiques, qu’ils aient lieu à domicile ou à l’hôpital.
En revanche, à la moindre complication, les femmes enceintes sont redirigées vers l’hôpital, où les sages-femmes exercent auprès d’obstétriciens, de médecins et d’infirmiers. L’accouchement a alors forcément lieu à l’hôpital. Ce transfert peut avoir lieu à n’importe quel stade de la grossesse ou de l’accouchement.
Ainsi,
"pour le premier enfant, le taux de transfert vers les hôpitaux est proche des 60 %", indique Ank de Jonge. Le chiffre est élevé, mais la plupart des transferts visent en réalité à prévenir l’incident. La sage-femme précise :
"Seul 1,9 % sont réalisés en urgence".
Lors de son premier accouchement, il y a trois ans, Lydia a été transférée :
"Je voulais déjà donner naissance à la maison. J’avais commencé le travail chez moi, mais il y avait du méconium (excrément accumulé dans les intestins du foetus, ndlr)
dans le liquide amniotique et les médecins ne voulaient pas prendre de risque" . Cela ne l’a pas empêché de retenter l’expérience lors son deuxième accouchement, avec succès cette fois.
"La société fait peur aux femmes"
Mais les éventuels risques et complications effraient nombre de futurs parents. Au cours des dernières décennies, le taux d’accouchement à domicile a chuté aux Pays-Bas. Dans les années 1970, environ 70 % des femmes donnaient naissance chez elle. Aujourd’hui, elles ne sont plus que 12,7 % à faire ce choix.
"La société fait peur aux femmes, regrette Ank de Jonge.
On les culpabilise en leur disant que leur enfant va mourir si elles prennent des risques. Avec un tel discours, c’est facile de pousser à la surmédicalisation". La peur de l’incident est grande, autant du côté des femmes enceintes que des sages-femmes. Ainsi, les transferts vers l’hôpital sont de plus en plus fréquents et surviennent de plus en plus tôt au cours de la grossesse et de l’accouchement.
Les raisons d’une telle chute sont aussi structurelles. Comme en France, les Pays-Bas voient les petites structures hospitalières fermer leurs portes dans les zones rurales. Et si l’hôpital est trop loin, les sages-femmes préfèrent orienter la femme enceinte vers un accouchement médicalisé dès le début de sa grossesse, pour éviter tout transfert en urgence.
Or, une fois le processus de médicalisation trop engagé, il est pratiquement impossible de revenir en arrière. La France est l’un des exemples les plus frappants en la matière. Le taux d’accouchement à domicile plafonne à 0,4 %. Pour les rares femmes qui le souhaitent, accoucher chez soi relève souvent du parcours du combattant, voire de l’illégalité.
Donner les bonnes informations
Pour lutter contre l’engrenage de la surmédicalisation, les sages-femmes néerlandaises informent et rassurent les futurs parents autant qu’elles le peuvent.
"Donner les bonnes informations est essentiel, souligne Ank de Jonge.
Les femmes doivent pouvoir choisir en connaissance de causes". Une affirmation que partage Liselotte Kweekel :
"On ne peut pas imposer aux femmes d’accoucher à l’hôpital. Mais on ne peut pas non plus leur imposer d’accoucher à domicile. Certaines se sentiront plus en sécurité en milieu hospitalier, d’autres dans leur foyer".
Loin de militer pour une hausse des accouchements à domicile, les sages-femmes se battent surtout pour que les futures mères aient réellement le choix. Liselotte Kweekel en est convaincue :
"Choisir son lieu d’accouchement est un droit humain".