À Aceh, en Indonésie, une brigade féminine flagelle les femmes au nom de la charia

La province d'Aceh, à la pointe nord de Sumatra, est la seule région d'Indonésie qui applique la loi islamique, la charia. Depuis 2005, cette province conservatrice, où même le cinéma est banni,  bénéficie d'une relative indépendance depuis un accord conclu avec Jakarta. En 2019, 42 femmes y ont été condamnées par flagellation, pour transgression des lois. 
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Un officiel de la charia s'apprête à flageller une femme dans la province d'Aceh, après qu'elle a été accusée de contact illégal avec un homme célibataire. Devant la mosquée de Banda à Aceh, Indonésie, 27 janvier 2006.  
© AP Photo/Binsar Bakkara
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Dans la province d'Aceh, on applique la charia à la lettre pour éviter tout comportement "non islamique" : le voile est obligatoire pour les femmes et l'adultère, comme les relations sexuelles hors mariage ou avec une personne du même sexe, sont sévèrement punies. La consommation d'alcool et le jeu sont formellement interdits. Le cinéma est banni. 

L'année dernière, 42 femmes ont été condamnées à la flagellation pour crimes religieux et transgression des lois dans la  ville de Banda Aceh par la police religieuse d'Aceh. Cette pratique est appliquée avec plus ou moins de sévérité en fonction du crime commis : 10 coups pour un geste d'affection en public ; 40 pour avoir bu de l'alcool et plus de 100 coups en cas de relation homosexuelle. 


Un reportage publié par l'AFP ce 28 janvier révèle une scène de flagellation particulièrement choquante : une femme au visage  dissimulé tenant une canne de rotin en main  avance sur une estrade, lève le bras, puis fouette une condamnée agenouillée. C'est la dernière recrue d'une nouvelle brigade féminine chargée de flageller d'autres femmes, de plus en plus nombreuses à être punies à Aceh en vertu de la charia.

La condamnée est une femme non mariée, arrêtée dans une chambre d'hôtel en compagnie d'un homme. Toute de blanc vêtue, la tête penchée, elle ne bouge pas. Seules ses mains jointes frémissent, signe de souffrance.

Mais pour le peuple d'Aceh, rien d'anormal, bien au contraire. Zakwan, enquêteur en chef de la police religieuse Wilayatul Hisbah, est satisfait de sa nouvelle recrue. "Sa technique était bonne", estime-t-il.

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AP Photo/Heri Juanda

Huit femmes dédiées à la flagellation

Jusqu'à présent, on voyait régulièrement des hommes flageller des femmes exhibées sur une estrade devant la foule bruyante, immortalisant le moment à grand renfort des photos et de vidéos prises avec leur smartphone. Or ces dernières années, le nombre de femmes condamnées pour crimes religieux a augmenté. Aceh a donc décidé de créer une brigade féminine de bourreaux, comme en Malaisie voisine.

Nous devons les endoctriner pour qu'elles n'aient pas de pitié.Zakwan, de la police religieuse

Aujourd'hui, elles sont huit dédiées à la flagellation, qui opèrent en complément d'une dizaine d'hommes. Comment "sélectionner" les flagelleuses ? "Nous les entraînons pour être sûrs qu'elles ont les capacités physiques et qu'elles savent infliger correctement la flagellation, bras tendu pour limiter les blessures", explique Zakwan, de la police religieuse. "Nous devons les endoctriner, en quelque sorte, pour qu'elles comprennent mieux leur rôle et qu'elles n'aient pas de pitié pour ceux qui violent les lois de Dieu", ajoute-t-il. 

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Les officiels de la charia ramènent une femme d'Aces sur l'estrade avant de la flageller pour contacts entre un homme et une femme hors mariage, devant une mosquée à Aceh, le 27 janvier 2006. 
AP Photo/Binsar Bakkara

Les femmes davantage visées 

Auparavant, les coups visaient essentiellement à punir la consommation ou la vente d'alcool, ou encore le jeu, donc surtout les hommes. Ces derniers temps, elles ciblent davantage les gestes d'affection en public, l'adultère et les relations sexuelles avant le mariage, donc plus de femmes.

La Wilayatul Hisbah, la police religieuse est partout. Les agents écument les espaces publics, les restaurants, les cafés... Ils surveillent la population jour et nuit et agissent sur dénonciation.

L'Agence France Presse a récemment suivi une équipe de patrouilleurs en action : "Les policiers en uniforme kaki s'approchent d'un couple assis sur la plage : il s'en sort avec une réprimande. Ailleurs, un groupe d'hommes et de femmes attablés dans un café vers 3 heures du matin sont arrêtés, soupçonnés d'avoir violé la législation sur la séparation entre hommes et femmes non mariés..."

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AP Photo/Heri Juanda

La honte en exemple 

Outre les blessures entraînées par la flagellation, les victimes sont marquées du sceau de l'humiliation, qui en force beaucoup à quitter la région par honte ou parce que les clients désertent leur magasin.

Pour les femmes, une arrestation, même pour une cause mineure, est risquée. Elle les expose au harcèlement sexuel ou aux viols pendant l'interpellation et la détention, alertent les organisations non gouvernementales locales, via le Réseau de la société civile contre la charia. Et si, par la suite, elles déposent plainte sans preuves, elles risquent d'être condamnées à de nouveaux coups.

Reste que les autorités d'Aceh se disent "beaucoup plus clémentes" que leurs homologues d'Arabie saoudite ou de la quinzaine de pays musulmans où la flagellation est appliquée : "Notre but n'est pas de blesser les gens en les flagellant, affirme Safriadi, l'un des hommes à la tête de l'une de ces unités féminines. Le plus important c'est la honte infligée aux condamnés devant les spectateurs".

À Aceh la flagellation reste la règle

Le 23 octobre 2005Amnesty International demande l'abrogation du texte de loi imposant la flagellation pour des relations sexuelles entre adultes consentants​. Si les châtiments corporels sont illégaux dans le reste de l’Indonésie, le gouvernement de la province de l’Aceh a imposé la fustigation (les coups de bâton) pour diverses infractions depuis 2002, au titre de son statut autonome spécial.     

En 2008, le Comité des Nations unies contre la torture demande à l'Indonésie de réexaminer son arsenal législatif en vue d'abolir les châtiments corporels.  

En 2013, le Comité des droits de l'Homme, qui veille au respect du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) par les États, engage l'Indonésie à prendre des mesures concrètes contre le recours à ces châtiments dans le cadre judiciaire. 

Les lois relatives à l’adultère ont un impact disproportionné sur les femmes dans une société qui essaie de contrôler leur sexualité. Les attentes de la société sur ce qui constitue une conduite appropriée pour les femmes signifient que ces dernières sont plus susceptibles d’être arrêtées. Les femmes issues de milieux défavorisés, plus souvent soumises à des arrestations arbitraires, sont plus affectées car elles n’ont pas les moyens de s'offrir les services d'un avocat.

La flagellation est largement soutenue par la population de la province d'Aceh dont les cinq millions d'habitants sont à 98% musulmans.
 

Quelqu'un condamné pour adultère devrait être puni de 100 jets de pierre.

Saiful Tengkuh, habitant d'Aceh
 

"Il faut des châtiments plus sévères, comme la lapidation, pas seulement la flagellation à Aceh", estime Saiful Tengkuh, un habitant d'Aceh. "Quelqu'un condamné pour adultère devrait être puni de 100 jets de pierres," poursuit-il.

La province d'Aceh avait un temps envisagé la décapitation pour les crimes les plus graves. Le gouvernement a mis son veto. En attendant que soient entendus les demandes du président indonésien Joko Widodo et des organisations de défense des droits de l'Homme qui appellent à l'arrêt de la flagellation, à Aceh, celle-ci reste la règle.