Fil d'Ariane
Dans la société marocaine, être mère célibataire est encore tabou. Les femmes qui enfantent en dehors du mariage se retrouvent marginalisées, hors-la-loi, alors que la plupart n'ont pas les moyens de s'émanciper vraiment. De peur d'être rejetées par leur famille et la société, certaines femmes célibataires et enceintes, optent à contre-coeur pour l'abandon de leur enfant - pour leur donner une "meilleure" vie et pour ne pas risquer de se retrouver à la rue.
Maryam Touzani signe un film intime, touchant et militant, bercé de solidarité féminine. Il raconte la rencontre de Samia (incarnée par Nisrin Erradi), jeune femme enceinte d'une relation hors mariage, et Alba (Lubna Azabal), veuve et mère d'une fillette de huit ans, qui tient un magasin de pâtisserie à Casablanca.
Transposé dans leur intimité, au coeur de la médina de Casablanca, le spectateur se trouve confronté de plein fouet aux injustices et aux préjugés de la société marocaine à l'égard des femmes. En proie à la précarité, Samia déambule dans les rues afin de trouver du travail pour survivre. Elle a fui son village pour cacher sa grossesse - par honte. Comme beaucoup de femmes enceintes et célibataires au Maroc, elle veut accoucher du bébé (Adam), pour le donner à l'adoption. Un choix qui redonnerait à Samia la possibilité de retourner dans son village en femme "respectable".
Samia et Alba vont faire un bout de chemin ensemble. Et leurs destins à toutes les deux vont s'en trouver bouleversés. Les jeunes femmes vont prendre conscience de leurs blessures de femmes célibataires, mais surtout trouver un moyen de s'entraider dans une société où elles ne correspondent pas à la norme.
Il y a beaucoup de délicatesse qui se dégage de ces deux portraits de femmes dans #Adam. C’est une histoire d’apprivoisement, de retour à l’amour.
— Jonathan Rodriguez (@j_rodrig34) February 9, 2020
Maryam Touzani saisit les visages blessés par un travail sublime sur la lumière et parle de son Maroc à cœur ouvert. Très beau. pic.twitter.com/ltyLbJEpfV
Raconter cette histoire, c'est avant tout une démarche personnelle pour la réalisatrice. Lorsqu'elle-même se trouve enceinte, un événement enfoui en elle depuis quinze ans ressurgit. Bouleversée d'en avoir été témoin adolescente, Maryam Touzani décrit le jour où une jeune femme enceinte, venue de la campagne, a frappé à la porte de ses parents à Tanger pour demander du travail.
"Ma mère a décidé de l'accueillir quelques jours jusqu'à ce que nous trouvions une solution. Mais il n'y en avait aucune", se souvient-elle. La jeune femme tentait de survivre en proposant ses services de femme de ménage et de coiffeuse, mais dès que les gens s'apercevaient qu'elle était enceinte, ils lui demandaient de partir. "À l'époque, une femme célibataire qui accouchait à l'hôpital était aussitôt livrée à la police", explique Maryam Touzani.
"Alors elle est restée avec nous jusqu'à l'accouchement. Elle voulait abandonner son bébé à sa naissance pour lui donner une chance de mener une vie décente et de recommencer la sienne, de devenir à nouveau une femme respectable", poursuit Maryam Touzani. Au Maroc, en vertu de l'article 490, du Code pénal, une femme ayant des relations sexuelles hors mariage risque une peine d'un mois à un an de prison.
Selon les associations, plus de 30 000 femmes accouchent chaque année d’un enfant hors mariage au Maroc. Or la loi met les mères non mariées dans l'illégalité :"Quand le bébé est arrivé (...) Elle avait accouché un week-end férié et devait le garder jusqu'à l'ouverture du service d'adoption. J'étais avec elle alors qu'elle tentait de réprimer son instinct maternel", ajoute la réalisatrice, qui était alors étudiante. "C'était douloureux de la voir ainsi, ça m'a beaucoup choquée", confie Maryam Touzani.
Présenté dans de nombreux festivals, notamment à Cannes dans la catégorie "Un certain regard", le film Adam est en salles en France depuis le 5 février 2020.