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Affaire Pelicot : des dizaines d'autres violeurs, non identifiés, jamais jugés ?

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Panneau collage Justice pour Gisèle

Des membres du collectif féministe "Les Amazones Avignon" collent un message de soutien à Gisèle Pelicot dans les rues situées autour du palais de justice où s'est déroulé le procès des viols de Mazan à Avignon, en France, mercredi 18 décembre 2024. 

©AP Photo/Lewis Joly
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Suivi dans le monde entier, le procès des viols de Mazan a permis de mettre en pleine lumière un fléau de l'ombre : les viols sous soumission chimique. 51 hommes ont été jugés, reconnus coupables et condamnés, mais combien d'autres ont également violé Gisèle Pelicot sans jamais être identifiés, faute d'images ou sauvés par des clichés trop flous ? 

"Laurent du Vaucluse", "routier" ou encore "Luc Pizza" : cachés derrière ces pseudos, ces hommes avaient également été appâtés par Dominique Pelicot sur le site coco.fr. A eux aussi le sexagénaire, désormais âgé de 72 ans, avait livré son épouse, assommée d'anxiolytiques et totalement inconsciente, pendant dix ans, entre juillet 2011 et octobre 2020. Comme les autres, il les avait photographiés et filmés, stockant ensuite minutieusement ces images sur son ordinateur ou divers disques durs. 

Malgré le travail minutieux des enquêteurs, loué par Gisèle Pelicot elle même à l'audience, jamais une identité n'a pu être associée à ces fichiers. Comme pour les photos du premier viol référencé de Gisèle Pelicot, la nuit du 23 au 24 juillet 2011, quand le couple résidait encore en région parisienne, à Villiers-sur-Marne. Ou pour la vidéo de son dernier agresseur, "le motard", la nuit du 22 au 23 octobre 2020, à Mazan. 

Gisèle Pelicot, ses violeurs oubliés

Gisèle Pelicot donne sa première réaction à la presse à l'issue du procès de ses violeurs, au tribunal d'Avignon, en France, le 19 décembre 2024.

©AP Photo/Lewis Joly

200 viols

Au total, quelque 200 viols sur Gisèle Pelicot ont été recensés par les enquêteurs, sur la base des vidéos et photos prises par son désormais ex-mari, dont plus d'une centaine par Dominique Pelicot lui même. Pour les autres séquences avérées de viols sur Gisèle Pelicot, 72 auteurs sont visibles.

On a certaines personnes qu'on voyait de manière très floue et on ne pouvait pas sortir de photo. Gwenola Journot, juge d'instruction

Une cinquantaine ont finalement été jugés par la cour criminelle de Vaucluse, à Avignon, et condamnés, le 19 décembre. Dont 17 ont fait appel et devraient être rejugés, entre septembre et décembre 2025. Mais plusieurs ont échappé à la justice. Karim K. par exemple est décédé avant le procès, et quand les policiers sont venus l'interpeller, Jean-Pierre H. venait d'être enterré. Pour les autres, il a été impossible de les identifier.

"On a certaines personnes qu'on voyait de manière très floue et on ne pouvait pas sortir de photo", a expliqué Gwenola Journot, la juge d'instruction chargée de cette enquête, le 8 novembre, devant la cour, lors d'un procès hors norme de près de quatre mois.

Pour d'autres, il y avait parfois des images exploitables, mais qui ne correspondaient à aucun cliché déjà enregistré par la justice au fichier du TAJ (Traitement des affaires judiciaires) ou ne pouvaient être associées à aucun numéro de téléphone. Et ni les logiciels de reconnaissance faciale ni les recherches via les réseaux sociaux n'ont permis de leur donner un nom. "En concertation avec la police judiciaire, on a décidé d'arrêter à un moment les investigations. On aurait pu enquêter dix ans", a précisé la magistrate lors de son audition, soulignant la nécessité d'un procès assez rapide, notamment pour la victime.

Accusés procès Pelicot

Les accusés arrivent au palais de justice où se déroule le procès pour viol de Gisele Pelicot, à Avignon, France, lundi 9 décembre 2024. 

©AP Photo/Lewis Joly

Non-identifiables, non-identifiés

Premier de ces inconnus invités par Dominique Pelicot à leur domicile de Mazan, cette commune du Vaucluse où le couple avait déménagé à la retraite début mars 2013, "Richard" lui non plus n'a jamais été identifié. Il était venu la nuit du 25 septembre 2013.

De même ne seront jamais retrouvés "Black Villiers", "Ludo de Villiers", "Cédric", "Pascal", "Serge" ou encore "Olivier". Pas plus que "Michel", qui portait des sandalettes, "un petit peu comme un moine", selon les précisions de Dominique Pelicot aux enquêteurs. 

Puis il y a ces possibles violeurs passés au travers des mailles du filet de la justice faute d'images. Comme ces routiers auxquels Dominique Pelicot a affirmé à deux de ses coaccusés, Christian L. et Patrice N., avoir livré son épouse sur des aires d'autoroutes, avant de se rétracter devant les enquêteurs. Les faits auraient eu lieu lors d'un retour de vacances à l'île de Ré, en mai 2019, et lors d'un retour de Normandie. Parmi les fichiers retrouvés sur le matériel informatique de Dominique Pelicot, mais sans images, les enquêteurs avaient notamment décelé un dossier intitulé "routiers du 24 novembre 2018", "routiers" au pluriel donc. Une personne qui ne serait finalement pas venue, s'était-il justifié.

Manif culture viol -procès Mazan

Des militant.e.s tiennent des affiches devant le Palais de Justice lors d'une manifestation pour les droits des femmes, samedi 14 décembre 2024 à Avignon, dans le sud de la France, à l'occasion du procès de dizaines d'hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pelicot alors qu'elle était droguée et rendue inconsciente par son mari. 

©AP Photo/Aurelien Morissard

Viol sous soumission chimique

Symbolique jusqu'à l'extrême des violences sexuelles, ce procès des viols de Mazan a surtout mis sur la place publique la question de la soumission chimique et des agressions sur des victimes inconscientes. Les policiers ont ainsi retrouvé 11 hommes contactés par Dominique Pelicot sur Skype qui "clairement faisaient la même chose avec leur compagne", a confirmé le commissaire divisionnaire Jérémie Bosse Platière, directeur d'enquête sur cette affaire alors qu'il était à la PJ d'Avignon.  

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 "Tu es comme moi tu aimes le mode viol", lance ainsi Dominique Pelicot à un certain JF LUNA, en commentant les photos de sa compagne nue et endormie. Il avait même projeté d'aller violer plusieurs de ces femmes inconscientes, dans des conversations avec "Eric Dover", "PCMF 77" ou "Morgane 667", où il mentionnait "une coiffeuse de 37 ans à Lyon" qui devait donc subir le même sort que son épouse Gisèle. Mais ces projets n'auraient jamais abouti, selon lui. 

C'est un des aspects les plus douloureux pour moi, savoir que d'autres femmes peuvent encore subir ce genre d'actes. Jérémie Bosse Platière, directeur de la police interdépartementale des Hautes-Alpes

Si certains de ces hommes ont été interpellés et devraient être jugés dans d'autres juridictions, la plupart sont encore inconnus : "C'est un des aspects les plus douloureux pour moi, savoir que d'autres femmes peuvent encore subir ce genre d'actes", avait déclaré Jérémie Bosse Platière, désormais directeur de la police interdépartementale (DIPN) des Hautes-Alpes, lors de sa déposition au troisième jour du procès, le 4 octobre. Une certitude en tout cas pour ce policier : des crimes comme ceux commis par Dominique Pelicot seraient "impossibles sans internet, (car) le contrôle social le rend impossible dans la vraie vie". "Il y a un rapprochement communautaire de la perversité permis par internet".

C'est aussi l'inquiétude exprimée par Caroline Darian, fille de Gisèle et Dominique Pelicot, qui s'est exprimée sur Canal plus. "Il reste des coupables dehors, ils ont une vie normale", s'insurge-t-elle, "Ce qui m'inquiète, c'est que depuis la fermeture du site Coco.gg, il y a d'autres plateformes qui sont en ligne. Ça pose quand même la question du contrôle et de tout ce qu'il se passe sur la cybercriminalité."

Gisèle P. face à Dominique P.

Ce croquis de Valentin Pasquier montre Gisèle Pelicot, à gauche, et son ex-mari Dominique Pelicot, à droite, lors de son procès au palais de justice d'Avignon, dans le sud de la France, le 17 septembre 2024. 

©AP Photo/Valentin Pasquier

Un procès en appel

Après le procès en première instance à Avignon de septembre à décembre 2024, les appels de 13 des 51 accusés dans ce dossier judiciaire historique seront examinés à partir du 6 octobre au 21 novembre, à Nîmes. Gisèle Pelicot devrait aussi être présente pour ce nouveau procès. "Elle entend en être et elle se prépare à affronter ce nouveau procès avec la même détermination et le même courage", avait indiqué son avocat à l'annonce de la date de ce nouveau procès.

Dominique Pelicot ne sera pas rejugé, n’ayant pas fait appel. Il devrait s’exprimer à la barre, mais uniquement en tant que témoin. Il n’a pas fait appel car il "refuse" de contraindre "Gisèle à une nouvelle épreuve, à de nouveaux affrontements", avait expliqué son avocate, Béatrice Zavarro à l’AFP.

Initialement 17 personnes devaient être rejugées mais quatre se sont depuis désistées. Ce second procès aura lieu devant une cour d’assises, c’est-à-dire une cour composée de jurés populaires.

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