Fil d'Ariane
Une maman auprès de son bébé dans l'unité de réanimation néonatale à Kaboul. Cette maternité est la seule d'Afghanistan à disposer d'un tel service de néonatologie.
Friba Mohsinzai et Zakia Noori sont des sages-femmes itinérantes. Elles vont à la rencontre des patientes dans le camp de déplacés de Hussain Khel, à la périphérie de Kaboul. « Un petit garçon est venu nous chercher car sa mère avait accouché. Alors nous sommes venues nous assurer que tout allait bien », dit Zakia Noori, en prenant la tension de Mahjabeen, allongée sur une natte.
Originaire de Kunduz, dans le nord de l’Afghanistan, Mahjabeen a donné naissance à sa petite fille trois jours plus tôt à l’hôpital. Ses six premiers enfants étaient nés chez elle. « Avant, c’est ma mère qui m’aidait à accoucher. Elle disait qu’elle avait eu tous ses enfants comme ça et que moi aussi je devais accoucher à la maison », raconte-t-elle en jouant avec les bracelets multicolores de son poignet.
Zakia et Friba, sages-femmes de l'ONG "Terre des hommes" expliquent à un groupe de femmes du camp comment se déroule un accouchement
Mahjabeen et les siens ont fui les violences des talibans et se sont installés dans ce camp où vivent huit cents familles dans la plus grande précarité. C’est ici qu’elle a rencontré Friba Mohsinzai et Zakia Noori de l’ONG suisse Terre des hommes. Elles sont les seules professionnelles de santé à venir chaque semaine dans ce camp. « On explique aux femmes qu’en cas de saignements, de maux de tête ou de forte pression artérielle, elles doivent voir un médecin. On les encourage aussi à accoucher à l’hôpital », détaille Zakia.
Elles nous ont appris beaucoup de choses. Elles m’ont dit que je souffrais d’anémie et que cela pouvait être dangereux. J’ai répété tout cela à mon mari et cette fois il m’a emmenée à l’hôpital
Mahjabeen, du camp de dépalcés de Hussain Khel
C’est grâce à elles que Mahjabeen a entendu parler des risques liés à la grossesse pour la première fois : « Elles nous ont appris beaucoup de choses. Elles m’ont dit que je souffrais d’anémie et que cela pouvait être dangereux. J’ai répété tout cela à mon mari et cette fois il m’a emmenée à l’hôpital ».
Cependant, accoucher à la maternité n’est pas toujours possible. « Si le bébé arrive rapidement ou s’il n’y a pas de voiture disponible pour emmener la femme à l’hôpital, alors il faut que les autres puissent l’aider », explique Friba Mohsinzai. « Elles doivent savoir ligaturer le cordon et comment expulser le placenta ». Avec sa collègue, elle a donc aussi pour mission de former les femmes du camp. À l’aide de dessins et d’une poupée en guise de bébé, elles leur montrent comment se passe un accouchement.
« Depuis qu’elles viennent nous voir, plus aucune femme ne meurt pendant la grossesse, dit Janarah, l’une des premières à avoir été formée par les sages-femmes. J’ai aidé ma voisine à accoucher et tout s’est bien passé ».
Aysha, la petite fille de Mahjabeen née trois jours plus tôt à l'hôpital avec le soutien des sages-femmes de l'ONG "Terre des hommes"
Malgré ces efforts, la situation reste préoccupante en Afghanistan. Dans ce pays de plus de 33 330 000 habitants, meurtri par quatre décennies de guerre, une femme meurt toutes les deux heures de complications liées à la grossesse ou à l’accouchement.
Les professionnels craignent que la situation s’aggrave : « Depuis 2014, il y a un réel problème d’insécurité, surtout dans les provinces, s’inquiète Agnès Simon, une sage-femme française qui se rend régulièrement en Afghanistan pour l’ONG La Chaîne de l’Espoir. Les patientes ont du mal à avoir accès aux structures de soins, aux sages-femmes. Et ces dernières ont peur de se déplacer, donc il leur est difficile de suivre leurs patientes. On sent que la mortalité maternelle et la mortalité infantile vont augmenter ».
Beaucoup de femmes ne vont voir le médecin que lorsqu’il y a un gros problème et parfois c’est trop tard
Dr Rana, gynécologue-obstétricienne
L’association française a ouvert une maternité à l’automne 2016, dans le centre de Kaboul. « Elle est proche des standards occidentaux et la seule du pays à disposer d’un service de néonatologie », souligne Agnès Simon, qui coordonne le projet.
Agnès Simon, sage femme, auprès d'un nouveau-né à la maternité de la Chaîne de l'Espoir à Kaboul.
À l’étage des consultations, le Dr Rana Jalalzai fait écouter à Marina, enceinte de huit mois, les battements du cœur de son bébé. « Tout va bien », sourit la gynécologue. « Avant je n’allais jamais voir le docteur. Mais mon troisième bébé est mort à la naissance, alors cette fois-ci j’ai préféré venir dans cette maternité », dit la jeune femme. Le Dr Rana Jalalzai n’est pas surprise : moins de 20% des Afghanes bénéficient d’un suivi médical pendant leur grossesse. « Beaucoup de femmes ne vont voir le médecin que lorsqu’il y a un gros problème et parfois c’est trop tard ».
Le personnel est formé pour prendre en charge les grossesses compliquées. Il dispose d’un matériel de pointe. En réanimation néonatale, la petite Asma reprend des forces dans une couveuse. Née à sept mois à Mazar-e-Sharif, à plus de 400 kilomètres de la capitale, elle a failli ne pas survivre. « Là-bas les médecins ne pouvaient rien faire pour elle. Heureusement elle a pu être transférée ici à temps », raconte sa maman.
Seul bémol : venir dans cette maternité coûte cher. Grâce à des fonds dédiés, La Chaîne de l’Espoir prend en charge une partie ou la totalité de l’hospitalisation des patientes dans la mesure du possible. Cela ne suffit pas face à l’ampleur des besoins : « Il faut vraiment qu’on arrive à augmenter la part de cette sécurité sociale locale, insiste Agnès Simon. On bataille pour que les patientes qui vont avoir un accouchement prématuré ou qui elles-mêmes risquent des complications graves puissent venir ici ».