Fil d'Ariane
"A 07h10 ce matin (jeudi 10 décembre, heure de Jalalabad, ndlr), des hommes armés non identifiés ont abattu la journaliste et activiste Malalai Maiwand ainsi que son chauffeur", déclarait Attaullah Khogyani, porte-parole du gouverneur de la province du Nangarhar, dont Jalalabad est la capitale. La journaliste se rendait aux bureaux de la chaîne de télévision privée Enekaas TV, pour laquelle elle travaillait, quand l'attaque a eu lieu, précisait Attaullah Khogyani.
Ces informations sont confirmées par Engineer Zalmai, le directeur d'Enekaas tv, qui revient sur le meurtre de sa présentatrice dans cette video :
Située à une centaine de kilomètres de la frontière avec le Pakistan, la ville de Jalalabad est souvent le théâtre d'attaques sanglantes. La province du Nangarhar abrite de nombreux groupes jihadistes, dont les talibans et le groupe État islamique, qui revendique le meurtre : "Des soldats du califat ont ciblé la journaliste (...) Malalai Maiwand dans la ville de Jalalabad avec un pistolet, menant à sa mort", déclare l'EI dans un communiqué publié sur sa chaîne Telegram.
Selon des responsables, les coupables ont été arrêtés par les services de renseignement afghans plus tard dans la même journée du 10 décembre : "Ceux qui ont été arrêtés ont admis l'avoir attaquée", écrit sur Facebook le gouverneur de la province du Nangarhar Ziaulhaq Amarkhil. Le porte-parole du ministère de l'Intérieur Tariq Arian confirme que que deux personnes ont été arrêtées.
En Afghanistan, certains célébrent à leur facon la journée des droits humains, la journaliste de télévision Malala Maiwand a été abattue ce matin. https://t.co/cqxRoCx7S7 Son crime: être une femme et défendre les droits des femmes et des enfants... pic.twitter.com/HBWOmP4uD7
— Snooba (@Snooba) December 10, 2020
Malalai Maiwand témoignait ouvertement des difficultés d'être une femme journaliste dans une société afghane très patriarcale et conservatrice. Les attaques ciblées visant des personnalités - journalistes, hommes politiques ou religieux, défenseurs des droits de l'homme - ont augmenté ces derniers mois, malgré les pourparlers de paix en cours à Doha, au Qatar, entre le gouvernement afghan et les talibans.
Depuis le début du mois de novembre 2020, trois journalistes ont été assassinés en Afghanistan : Aliyas Dayee, 33 ans, travaillait pour Radio Liberty, un média financé par les États-Unis. Il est mort le 12 novembre dans l'explosion d'une bombe placée sous sa voiture à Lashkar Gah (sud). Il avait été menacé par les talibans, qui lui reprochaient sa couverture de leurs opérations. Jeudi, Tariq Arian déclarait qu'un suspect avait été arrêté en lien avec le meurtre de Aliyas Dayee. Le 7 novembre, Yama Siawash, un ancien présentateur de télévision, avait également été tué à Kaboul dans des mêmes circonstances.
Deux autres journalistes de renom ont perdu la vie ces dernières semaines à Kaboul, dans des circonstances qui laissent penser à des assassinats. Rafi Sidiqi, journaliste et ancien dirigeant de Khurshid TV, a succombé une "inhalation de gaz", et Fardin Amini à une "mystérieuse attaque".
#Afghanistan has lost 5 famous journalists in the last month.3 were killed in targeted attacks claimed by so called ISIS-K, 2 others are suspected to be murdered. Absolutely, terrible days free media in Afg. 1.YamaSiawash,2.Ilyas Dayee,3.MalalaiMaiwand,4.RafiSidiqi,5.FardinAmini pic.twitter.com/S3U6EZa8Y2
— Zia Shahreyar l ضیا شهریار (@ziashahreyar) December 11, 2020
Le Comité pour la protection des journalistes afghans (AJSC) estime que le niveau actuel de violence à l'égard des journalistes menace d'annuler les progrès enregistrés ces dernières années pour les médias. "Si les meurtres de journalistes ne s'arrêtent pas, l'Afghanistan perdra l'une de ses plus grandes réussites qui est la liberté de la presse", déclare-t-il, tout en appelant à une enquête sur la mort de Malalai Maiwand.
Les violences continuent de ravager l'Afghanistan, malgré les pourparlers de paix qui ont débuté le 12 septembre à Doha et avancent lentement. Les deux camps ont annoncé au début décembre un accord fixant le cadre des discussions.
Pakistani-backed terrorists have killed nearly half a dozen Afghan journalists #fardinamini since the start of the Doha talks, which is reprehensible and unacceptable in every way.@kakar_harsha @AdityaRajKaul @Abdul_Bugti @IFazilaBaloch @KarimaBaloch @balochsadia2 pic.twitter.com/sWBL4gVGki
— sarhad ke paar (@Par1Ke) December 12, 2020
Le meurtre de Malalai Maiwand suscite une vague de condamnations dans le pays : "Qui a un problème avec les femmes dans la société afghane ?", interpelle sur Twitter Fatima Murchal, porte-parole adjointe du président Ashraf Ghani. Et d'ajouter : "Ces lâches coupables ne seront pas pardonnés, même après la paix".
Funérailles de Malalai Maiwand à Jalalabad, à 150 kilomères à l'est de Kaboul, le 10 décembre 2020
En 2001, la chute du régime ultra-religieux des talibans au pouvoir de 1996 à 2001 – qui interdisait aux femmes l’école et le travail, et leur imposait le port de la burqa –, suscitait de grands espoirs chez les Afghanes. De fait, dans un premier temps, leur vie quotidienne s'est améliorée, mais depuis quelques années, leur situation se dégrade à nouveau. Les femmes afghanes restent les victimes d'une violence généralisée et de nombreux assassinats et agressions ont été perpétrés contre des femmes occupant des postes publics ou des intellectuelles. Il y a cinq ans, la mère de Malalai Maiwand, elle-même militante, avait aussi été tuée par des hommes armés inconnus.
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