Afghanistan : le combat de Palwasha, militante féministe afghane réfugiée à Paris

"Mon voeu le plus cher est de rentrer en Afghanistan, quand la paix sera revenue", voilà l'espoir de Palwasha, militante féministe et engagée pour la paix. Le 24 août dernier, après avoir vécu un cauchemar à l'aéroport de Kaboul, elle réussit à s'envoler pour la France. Depuis sa nouvelle terre d'asile, elle ne lâche rien et compte bien poursuivre la lutte pour celles restées au pays. Un entretien exclusif pour Terriennes. 
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palwasha portrait
Palwasha lors de notre rencontre à Paris, le 6 septembre 2021, cette jeune femme afghane a quitté son pays, sous la menace des talibans, activiste pour les droits humains, en particulier des femmes, elle compte bien poursuivre la lutte. 
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"Pour oublier tout ça, j'essaye de me dire que si je suis venue en France, c'est pour étudier le français. D'ailleurs, dans trois mois, je parlerai français, c'est promis !" Palwasha Ackeckzai est née un 24 décembre, "le jour de Noël, quand je dis ça aux Français, ils adorent !", plaisante-t-elle. Sur son âge, elle hésite, 25 ou 26 ans, même sa mère Anisa, qui l'accompagne, ne sait plus. Ce qu'elle sait, c'est qu'elle est la cinquième fille avant un petit frère, et que tous ont été élevés par une maman veuve, seule. "Mon père était dans l’armée ; il est mort quand j’avais deux ans. Ma mère m’a toujours dit qu’il était un homme bon, très humain, et qu’il rêvait d’avoir une fille comme moi, qui soit instruite. J’ai fait des études de sciences politiques et de commerce, et j’ai réussi."

La jeune femme nous rejoint dans la rue, vêtue d'une tenue traditionnelle, une longue tunique unie, les cheveux couverts d'un grand foulard, tous deux d'un lumineux vert anis. Notre rendez-vous est fixé non loin de l'hôtel parisien où elle passe sa quarantaine, avec sa mère. Les yeux maquillés, les sourcils largement soulignés de crayon noir, elle nous accueille avec un large sourire, une bague à chaque doigt, "C'est pour ça qu'on me surnomme la princesse", confie-t-elle avec un sourire. 

Un ton qui se veut enjoué et une apparente légèreté, toute à la joie de nous rencontrer, mais son regard profond en dit long sur l'épreuve qu'elle vient de traverser. 

Pas le choix

Palwasha avec les soldates afghanes.
Palwasha avec les soldates afghanes.

Cela fait plusieurs semaines qu'elle se sait directement menacée, en raison de ses engagements en tant qu'élue au Conseil communautaire de sa région, mais aussi parce qu'elle a travaillé avec l'armée américaine, chargée de communication à Mazar-i-Sharif. "J’étais une figure connue de la défense des droits des femmes et de la paix, avec un discours à l'opposé de celui des talibans. J’oeuvrais pour l’alphabétisation des enfants et je travaillais avec les femmes dans l’armée. C'était à moi qu'il incombait de certifier que le commandant de la province garantissait la sécurité sur son territoire en temps de paix."

Et puis il y a deux mois, les militaires l’ont prévenue : "'Il faut que tu partes, m'ont-ils dit, nous avons vu ta photo entourée en vert sur leurs listes'. Cela voulait dire que je n’étais pas condamnée à mort - ceux-là étaient entourés en rouge – mais que les talibans prévoyaient de me kidnapper pour me marier de force, ou pire encore. Je ne voulais pas voir ma vie détruite par ces gens-là. Plutôt mourir." 

Palwasha veut alors rejoindre la résistance, dans le Panshir, mais ses amis et sa mère l'en dissuadent. "Palwasha, il faut fuir, s'ils t'attrapent, qui sait ce qu'il pourrait t'arriver ?" la pressent-ils. "C'est ma mère, finalement, qui m’a convaincue de partir et d’agir de l’étranger pour revenir ensuite, explique-t-elle. Elle n'a que moi, car tous ses autres enfants sont mariés, elle ne voulait pas me perdre." Quelques mois plus tôt, Palwasha a eu la bonne idée et l’intuition d’obtenir des passeports pour sa mère et elle. 
Palwasha avec l'armée.
Palwasha avec les soldats de l'armée afghane.

Partir, coûte que coûte

Sur le chemin qui nous mène au parc, sous les arbres encore verts de ce début septembre, elle commence à nous raconter son épopée. Comment elle a pu partir, bénéficiant de l'aide de ses contacts au sein des ONG, avec lesquels elle a longtemps collaboré en tant que militante pour les droits humains, des femmes, des enfants.

Il y avait des hommes qui voulaient faire de moi leur seconde épouse ou qui me proposaient une relation.
Palwasha Ackeckzai, activiste afghane réfugiée en France

"Pendant deux mois, j’ai cherché des visas, après avoir quitté Mazar-i-Sharif. Mais derrière toutes les portes auxquelles j’ai frappé, il y avait des hommes qui voulaient faire de moi leur seconde épouse ou qui me proposaient une relation. Mais moi, je défends les droits des femmes, alors jamais je ne pourrais faire ça à une autre femme ! Toutes les femmes ont un cœur, une âme, et quand elles sont amoureuses, elles se marient. Alors quand un homme me promet une belle vie alors qu’il est déjà marié, je lui réponds que ce n’est pas l’idée que je me fais d’une belle vie."

Dans sa quête, elle a aussi croisé des escrocs, de ceux qui restent aux aguêts pour tirer profit de la détresse des autres, et que, en désespoir de cause, elle veut croire : "Un jour, un homme m’a promis un visa pour la Turquie et je lui ai donné tout mon argent. Je ne l’ai jamais revu, et son téléphone sonnait dans le vide. J’ai appris ensuite qu’il avait fait la même chose à une vingtaine de femmes." C'est le soir-même de cette mésaventure, alors que Palwasha, au plus bas, pleure toutes les larmes de son corps, qu'Annabel, une humanitaire française rencontrée des années plus tôt, l’appelle pour lui annoncer que la France l'a inscrite sur la liste des évacuations.

palwasha et 4 talib
Conseil à Mazar-i-Sharif. Une fois en France, Palwasha apprendra que quatre de ces hommes sont des talibans, dont l'un est devenu un haut responsable. 

Des jours et des nuits dans la peur

Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits, Palwasha va camper avec sa mère dans le chaos des abords de l'aéroport de Kaboul. Elle subit la violence des talibans : "Ils m'ont frappée de la crosse de leurs armes, très lourdes, pour nous empêcher de passer​, alors que je m’interposais entre eux, ma mère et deux autres dames âgées. Là, j'ai vu leur vrai visage."

Quelqu'un, dans la foule, a ensuite tiré ma mère par la main pour la faire passer, alors que je criais pour qu'elle me rejoigne.
Palwasha

Le dernier jour, animée de l'énergie du désespoir, Palwasha prend tous les risques pour s'approcher des avions : "Au milieu de la foule, je poussais, je criais pour qu’ils laissent au moins passer ma mère. J’ai fini par sauter par-dessus la clôture en barbelés, en burqa." La maman de Palwasha, elle, n'est pas assujettie à la burqa imposée par les talibans, qui laissent les femmes plus âgées sortir avec le visage dégagé. "Quelqu'un, dans la foule, a ensuite tiré ma mère par la main pour la faire passer, alors que je criais pour qu'elle me rejoigne," se souvient la jeune femme.

Elle avait appris à parler anglais toute seule, en cachette, et avait menti sur son âge pour travailler.
Annabel Debakre, ancienne chargée de mission en Afghanistan pour Aide Médicale internationale

"Une fois ce premier sas franchi, les talibans n’étaient pas aussi durs. L’un d’eux était de Kandahar, où le nom de ma famille, Acheckzai, est bien connu ; il m’a demandé où nous voulions aller. J’ai menti et dit que je voulais rejoindre mon mari en France, avec ma mère malade. Il ne m’a même pas regardée, puisque j’ai dit que j’étais une femme mariée, et nous a laissé passer," raconte-t-elle. Palwasha et sa mère sont alors prises en charge par les militaires français et américains, qui soignent leurs blessures. "J’étais en larmes, parce que je n’aurais jamais espéré arriver jusque-là, mais heureusement, je n’avais rien de cassé," se souvient-elle. Le 26 août, Palwasha et Anisa arrivent en France.

L'engagement dans le sang 

Palwasha
Palwasha, étudiante brillante.
C’était le jour de l’Aïd, un 31 décembre à Mazar-i-Sharif, dans le nord de l’Afghanistan. "Quand j'ai vu pour la première fois Palwasha, elle avait 15 ans et j'ai eu un choc tellement elle était impressionnante ! Elle est arrivée sans voile, coiffée d’un petit chapeau à fleurs en crochet. Sa manière de s'exprimer, son aplomb étaient incroyables pour une adolescente", se souvient Annabel Debakre, à l'époque en mission en Afghanistan pour l'ONG Aide Médicale internationale.

Elle raconte cette rencontre qui l'a énormément marquée : "Moi, j'avais la trentaine, mais c'est elle qui me donnait des leçons. Elle avait appris à parler anglais toute seule, en cachette, ce qui déjà était exceptionnel pour une jeune fille en Afghanistan, et avait menti sur son âge pour travailler au sein d’ONG, mais aussi pour travailler dans une boutique où elle vendait des cartes SIM à Mazar-i-Sharif​. Sa détermination à lutter pour la paix était déjà inscrite en elle et elle avait des idées très arrêtées sur ce que devait être sa vie de femme en Afghanistan." Il faut dire que Palwasha a de qui tenir, continue Annabel : "Sa mère Anisa est une personne, plus discrète, mais elle aussi engagée pour aider les autres, elle a accueilli de nombreux réfugiés lors du premier régime taliban, elle tenait une école pour filles clandestine."

Eduquer les femmes... et les hommes

Eduquer les femmes, les encourager à étudier la religion pour qu’elles comprennent qu’opprimer les femmes n’a rien à voir avec le vrai visage de l’islam et de l’humanité, tel est l'engagement qui, depuis toujours, anime Palwasha et sa maman. A dix ans, déjà, la fillette traduisait pour les Français dans les villages pour gagner un peu d’argent et aider sa famille, tout en allant à l’école. "Ils ont ensuite embauché ma mère comme éducatrice de santé. Toutes les deux, nous étions les seules à la ronde à travailler et à être actives pour la paix, et nous avons relevé de nombreux défis !" raconte-t-elle.

Jusqu'à l'arrivée des talibans, Palwasha et sa mère parvenaient à mener à bien leur engagement, portées par une indéfectible énergie : "Bien sûr, certains n’aimaient pas trop voir des femmes travailler au milieu des hommes. Pour être vraiment sincère, je ne pense pas que les hommes m’acceptaient du fond du cœur quand j’avais le pouvoir. Mais tout cela, ce n’était que des petits problèmes par rapport à la violence actuelle."

Seule femme parmi les hommes, Palwasha est élue cheffe d’une communauté de 256 familles, soit environ 2000 personnes. Elles se sent soutenue par les hommes qui l'entourent, "des Hazaras," précise-t-elle, qui l'élisent ensuite cheffe du Conseil des cinq communautés de la région. "Certains hommes me craignaient, car c’était moi qui contrôlaient les rapports des représentants de quartier. Dès qu’il était fait état d’un homme qui frappait ou maltraitait une femme, c’est moi qui me présentait chez lui et lui faisais lire les articles de loi. S’il refusait, je l'emmenais au poste de police. En général, il préférait s’excuser", raconte-t-elle.

Palwasha insiste : elle respecte profondément la religion, mais "l’islam n’a jamais obligé les femmes à se couvrir le visage comme des criminelles. C’est une face très noire et inhumaine de l’islam que montrent les talibans. Je ne sais pas quel sera leur prochaine décision, mais ils sont dangereux, très dangereux." 

Les talibans ne respectent pas les hommes, alors comment pourraient-ils respecter la moindre promesse faite aux femmes ?
Palwasha

Palwasha se souvient d'un discours qu'elle avait fait devant la Jirga (assemblée), composée de femmes et d'hommes venus de tout l’Afghanistan. "Plus d’un millier de personnes m’ont applaudie, et à la fin, un homme est venu me voir : 'Je t’ai entendue parler et je vais laisser ma fille faire des études.' Pourquoi ? ai-je demandé. 'Parce que je vois que tu es promise à un bel avenir', m'a-t-il répondu. Ils ont juste besoin qu’on les réveillent, ils ont besoin d’éducation." En oeuvrant depuis son exil, Palwasha est sûre de pouvoir accomplir d'immenses progrès avant son retour en Afghanistan. 

cheffe de communauté
Palwasha, élue cheffe de communauté, seule femme au milieu des hommes.

Promesses de taliban

Les talibans l'ont promis dès qu'ils ont pris le pouvoir : les femmes pourront travailler, faire des études universitaires, etc ... Palwasha n'en croit pas un mot. Elle ne croit pas non plus ce que les médias relaient des intentions des talibans : "Ils surveillent les médias, qui sont obligés de dire que tout va bien. Ce n’est pas vrai." Les talibans ne veulent pas de transparence, elle en est convaincue : "Il y a quelques jours, ils ont tué un journaliste au Panshir. Maintenant, tout le monde se tait." 

Palwasha explique qu'elle ne veut pas faire confiance à des talibans qui sont soumis à des pressions du Pakistan et de l'Iran, et qui s'ignorent entre eux : "De Kandahar, de Logar, dans l’est, ou de l’ouest de Kaboul, ils se méfient les uns des autres, voire ne se connaissent même pas." Elle ne veut pas non plus faire confiance à des talibans capables d'une violence qu'elle n'avait jamais vue : "Je les ai vus frapper jusqu’au sang un homme dans la rue. Il m’arrive encore de me réveiller la nuit avec cette scène dans les yeux. Ils ne respectent pas les hommes, alors comment pourraient-ils respecter la moindre promesse faite aux femmes ? Non, ils ne respectent pas les femmes, même pas les dames âgées. Mais leurs yeux, dit-elle avec crainte, cherchent toujours les femmes célibataires..."  

Protester pacifiquement devant un palais présidentiel est une chose, mais c’en est une autre de manifester face à des gens qui ne respectent même pas leurs mères ni leurs sœurs. 
Palwasha

La jeune femme a bien sûr vu les images de ses soeurs afghanes manifestant et faisant front face aux talibans. Certaines ont été blessées lors de ces rassemblements. "Je sais ce qu'elles risquent. Je les suis tout le temps sur les réseaux. Elles sont courageuses, certaines ont été blessées avec des crosses d’armes. D’autres sont empêchées de manifester par leur famille. Protester pacifiquement devant un palais présidentiel est une chose, mais c’en est une autre de manifester face à des gens qui ne respectent même pas leurs mères ni leurs sœurs. C’est très dangereux." 

Une fille d'Afghanistan en France

C'est la première fois que Palwasha voyage en Occident. La première fois, à Paris, qu'elle croise dans la rue des femmes qui s'habillent et se comportent à l'occidentale. Mais elle n'est pas heurtée par la différence : "Déjà parce que, avant de quitter mon pays, j’ai beaucoup travaillé avec des Américains, Anglais, Français, Allemands... Et puis parce que j’accepte les gens tels qu’ils sont. J’ai grandi dans cet esprit-là. Je ne voudrais pas que tout le monde me ressemble. Cela n'aurait aucun intérêt." Avec un sourire, elle nous toise, puis porte les yeux sur sa tenue : "Je vous trouve très bien avec vos vêtements occidentaux ;  je me trouve très bien avec ma tunique afghane". 

Ce qu'elle place par-dessus tout, c'est l’honnêteté et l'empathie. Et ici, elle les trouve. Auprès d'Annabel, qui l'a soutenue quand elle essayait de passer les lignes des talibans. Annabel qui la soutient encore, alors qu'elle s'apprête à se faire une nouvelle vie en exil. Une empathie qu'elle a aussi trouvée chez ceux et celles qu'elle a rencontrés à Paris : "Une nuit, je pleurais dans le couloir de l'hôtel, pour laisser dormir ma mère, et la réceptionniste est venue me tenir compagnie pour me réconforter."

Et l'amour ?

Son avenir immédiat, Palwasha ne l'envisage pas en couple ni en fondant une famille. Elle qui a grandi sans père, sans grand frère, s'est toujours occupée de ses proches, sans l'aide d'un homme. "C’était moi, la responsable, se souvient-elle. Quand mon petit frère s’est marié, à 13 ans, je subvenais aussi aux besoins et à l’éducation de sa femme. Je les ai tous aidés à grandir.​ Au-delà de ma famille proche, j'ai vendu ce que j'avais pour aider des femmes et leurs enfants pendant la pandémie. Je n’ai jamais rien gardé pour moi."

Elle ne peut se projeter qu'avec un homme "qui ne regarde pas seulement mon visage, car dans dix ans, ce ne sera pas le même. Celui qui me conviendra pourra ressentir ce que j’ai dans le cœur, toucher mon âme, voir ce que j’ai réussi, ce que je fais, et tout ce qui, en moi, s’enrichira avec le temps." Elle dit avoir eu plusieurs propositions, depuis son arrivée en Europe, d'hommes qui lui proposent monts et merveilles pour les rejoindre. Ce n'est pas sa conception de l'amour : "J’ai dû en bloquer une vingtaine", dit-elle.
Palwasha à cheval
Palwasha à cheval, dans les contrées rugueuses d'Afghanistan.

Retrouver un pays en paix

Palwasha veut faire de cet exil une chance, celle d'apprendre d'autres langues, de faire d'autres rencontres et d'élargir son réseau de soutien pour la paix. Il faudrait créer une grande chaîne internationale de femmes pour cela, pense-t-elle.

Je ne voulais pas partir de mon pays. Et quand j’y retournerai, je voudrais qu’il y ait une femme présidente ou Premier ministre.
Palwasha
"Je ne voulais pas partir de mon pays. Et quand j’y retournerai, je voudrais qu’il y ait une femme présidente ou Premier ministre. Les hommes ont semé la guerre et la violence. Les Afghans ne leur font plus confiance. S'ils peuvent, ils voteront pour une femme, comme ils l’ont fait pour moi à la tête de la communauté, puis du conseil des chefs de communauté." Palwasha, qui fait partie d’une grande famille de Pachtouns, les Ackeckzai, opposée depuis toujours aux talibans, ne cache pas ses propres ambitions politiques. Elle croit en la paix, "parce que c’est dans la paix que j’ai grandi, avec une mère qui m’a toujours soutenue." Quoi qu'il arrive, elle sait que sa famille la soutiendra. 

Aujourd'hui, certaines de ses sœurs doivent se cacher et cela lui brise le coeur : "J’ai peur pour elles, pour leur vie, et surtout pour leurs enfants. Quant à mon frère, je ne sais même pas où il est. On m’a dit qu’il était en Turquie, mais je n’ai pas de nouvelles. À cause de moi, ils sont en danger."


Aujourd’hui, la jeune militante et sa mère sont hébergées à l'hôtel, grâce à une entreprise sous-traitante de l'Etat spécialisée dans le logement accompagné, dédié à l'accueil des migrants et des personnes en précarité. "Pour l’instant, elles n’ont aucune visibilité sur la fin de leur hébergement. Leur visa d’urgence expire le 8 septembre et elles n’ont toujours pas de rendez-vous fixé à la préfecture pour une demande d’asile", explique Annabel, soucieuse. Palwasha, elle, nous confie qu’elle dort très peu, et quand elle arrive à s’endormir, ses nuits sont peuplées de cauchemars.  

Palwasha signifie "soleil" en langue pachtoune. Dans la nuit que traverse l'Afghanistan, la jeune femme a bien l'intention de retrouver un jour la lumière de son pays, un pays en paix.
 

La diplomatie féministe à l’épreuve du feu

Entretien avec Lucie Daniel, experte-plaidoyer Equipop, qui a aidé à l'accueil de Palwasha et Anisa

Terriennes : avec ce qui se passe en Afghanistan, le concept de diplomatie féministe se retrouve directement plongé dans le concret… 
Lucie Daniel : La France s’est engagée depuis plusieurs années dans une diplomatie féministe. Dans le cas des femmes afghanes, notre rôle aujourd’hui est de s’assurer que les démarches à venir pour Palwasha se passent bien et de voir comment des trajectoires individuelles, comme la sienne, font résonnance avec d’autres activistes féministes dans le monde, et ce que fait la communauté internationale pour ces militantes. 

Le cas de Palwasha reflète la condition de toutes les activistes féministes du monde… 
Oui, d’autant plus qu’elle souhaite elle-même porter la voix d’autres militantes des droits humains afghanes et créer un réseau international de soutien. Ce que son parcours révèle, c’est que les défenseures des droits humains en Afghanistan sont particulièrement à risque. Cela montre qu’aujourd’hui aucune diplomatie n’était totalement prête, ou en tout cas n’avait pas suffisamment anticipé tout ce que cela impliquait pour ces femmes de se retrouver dans ces situations de danger. Et cela à plusieurs niveaux. Comment organiser leurs évacuations, ne serait-ce que pour les faire voyager dans le pays jusqu’à Kaboul, chose d’autant plus difficile que ces femmes sont seules, isolées, sans homme. 
Cela révèle que l’on est un peu désarmé encore aujourd’hui sur ce plan-là. Des mécanismes ont été votés à l’ONU, mais ils ne sont pas contraignants. On a quand même une rapportrice sur ces questions-là, ce qui prouve qu’il y a une prise de conscience collective et progressive. 

Quelles seraient les mesures à prendre et à appliquer en priorité pour protéger ces militantes ? 
En premier lieu, il faut pouvoir accueillir dignement les activistes qui ont pu être évacuées avec l’appui de la France. L’hébergement, l’instruction professionnelle, leur statut et autres démarches de droit d’asile. Il faut aussi continuer à soutenir dans les mois qui viennent celles qui voudraient fuir le pays, ainsi que celles qui choisissent d’y rester. Et là, c’est toute la question, justement, de la diplomatie féministe française ; il est absolument indispensable que la France continue à soutenir ces réseaux à travers sa politique étrangère. 

Concrètement, comment la France peut les aider ? 
Il y a des réseaux féministes locaux qui partagent leurs informations ; ils ont toujours joué un rôle d’avant-garde dans la défense des droits humains. Mais comme souvent, le risque est fort qu’elles soient exclues des processus politiques. C'est toujours un peu la même chose, on défend les femmes... sans les femmes ! 
Lors du forum génération égalité, au début de l’été à Paris, le président Macron s’est engagé sur un certain nombre de priorités, dont la protection des défenseures des droits humains. Nous voilà aujourd’hui face à un cas très concret qui montre toute la complexité diplomatique et logistique qu'il y a à appliquer ces engagements. Ce que l’on constate, et pas seulement en Afghanistan, c’est que les droits des femmes sont devenus un réel enjeu géopolitique. Si on sort du contexte afghan, ce qui se passe fait écho à la situation d’autres militantes féministes dans d’autres régions du monde aux conditions sécuritaires compliquées, je pense notamment au Sahel. Tous les jours, des femmes activistes mettent leur vie en danger pour défendre les droits humains, que faisons-nous pour elles, et sommes-nous assez outillés pour les accueillir et les soutenir sur place ?