Afghanistan : le chant des femmes face aux talibans

Elles n'ont plus d'autres choix que de se cacher entièrement et se taire si elles veulent sortir de chez elles. Une nouvelle loi du régime taliban oblige les femmes afghanes "à se couvrir le visage et le corps", et demande "à ce que leur voix ne soit pas entendue". Sur les réseaux, des Afghanes ont décidé de se rebeller en chantant.

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Afghanes, sous la burka

Des femmes afghanes reçoivent des rations alimentaires distribuées par un groupe d'aide humanitaire, à Kaboul, en Afghanistan, le dimanche 28 mai 2023. 

©AP Photo/Ebrahim Noroozi
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Une femme chante, face au miroir, pendant qu'elle revêt son voile. "La voix d’une femme, c’est son identité", dit-elle. Depuis la promulgation d'une nouvelle loi, restreignant encore plus leurs droits, des dizaines d’Afghanes - à l'intérieur du pays ou à l'étranger - défient le régime taliban en se filmant en train de chanter assorti du mot dièse "No to taliban" (Non aux talibans). 

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Deux autres femmes ont posté une vidéo dans laquelle elles chantent, la nuit, les cheveux couverts par leur foulard, à visage découvert.

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Vous m'avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d'être une femme. Le chant d'une femme afghane

Dans une autre vidéo, qui aurait été filmée en Afghanistan même, une femme chante vêtue de noir des pieds à la tête, un long voile couvrant son visage. "Vous m'avez réduite au silence pour les années à venir", lance-t-elle, "vous m'avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d'être une femme".

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"La voix d'une femme, c'est la voix de la justice", scande un groupe de militantes dans une autre vidéo. Zala Zazai, une ancienne policière qui vit en Pologne, a partagé une vidéo d'elle-même chantant une chanson d'Aryana Sayeed, une artiste afghane connue, sur la résilience des Afghanes.

Des groupes de militantes ont également posté des vidéos dans lesquelles on les voit le poing levé ou déchirant des photos du chef suprême des talibans, l'émir Hibatullah Akhundzada, qui règne sur l'Afghanistan par décrets de son fief de Kandahar (sud).

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Apartheid de genre

Ce sont désormais quasiment tous les aspects de la vie des Afghans, sociale et privée, et en premier lieu de celle des Afghanes, que cette nouvelle législation de 35 articles entend contrôler, dans une interprétation ultra-rigoriste de la charia (loi islamique).

"Les talibans ont décidé que les femmes ne pouvaient pas montrer leur visage en public. Elles ne peuvent ni parler ni chanter (faire entendre leur voix) en public. L’effacement des femmes et des filles afghanes se produit en temps réel, et il semble que personne ne soit disposé à intervenir pour l’arrêter", s'insurge sur X l'actrice américaine d'origine afghane Nazanin Nour.

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De nombreux éléments de la loi sont déjà en vigueur de manière informelle depuis le retour au pouvoir des talibans en août 2021. Les femmes subissent déjà le plus gros des restrictions qualifiées par l'ONU d'"apartheid de genre", qui les ont éloignées de la vie publique.

"Promouvoir la vertu et prévenir le vice"

Ce texte a été promulgué pour "promouvoir la vertu et prévenir le vice" parmi la population, en conformité avec la charia (loi islamique), selon le ministère de la Justice taliban. Il a été préalablement approuvé par le chef suprême des talibans, l'invisible émir Hibatullah Akhundzada qui règne sur l'Afghanistan par décret depuis son fief de Kandahar (sud).

Le texte édicte des sanctions graduelles auxquelles s'exposent ceux qui ne la respecteraient pas : avertissement verbal, menaces, amende, garde à vue allant d'une heure à trois jours, ou autre sanction réclamée par le PVPV. En cas de récidive, la justice est saisie.

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La "voix des femmes" muselée 

L'un des nouveaux interdits impose aux femmes de "couvrir leur corps entièrement en présence d'hommes n'appartenant pas à leur famille", de même que leur visage "par peur de la tentation". Ceci implique le port d'un masque (type covid) sur la bouche. Idem si "les femmes doivent sortir de chez elle par nécessité". 

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Elles ne doivent par ailleurs pas faire entendre leurs voix en public : il leur est désormais interdit de chanter ou de lire à voix haute. 

De même des interdits sont édictés pour les conducteurs de véhicules : pas de musique, pas de drogue, de transport de femmes non voilées, de femmes en présence d'hommes n'appartenant pas à leur famille, ou de femmes sans mahram (chaperon, un homme de leur famille).

D'autres interdits suivent : l'adultère, l'homosexualité, les jeux d'argent, les combats d'animaux, la création ou le visionnage d'images d'êtres vivants sur un ordinateur ou un téléphone portable, l'absence de barbe ou une barbe trop courte pour les hommes, des coupes de cheveux "contraires à la charia". "L'amitié" avec "un infidèle" - un non-musulman - est proscrite et les cinq prières quotidiennes obligatoires. Concernant les médias, la loi stipule qu'ils ne doivent pas publier "des contenus hostiles à la charia et à la religion", ou qui "humilient les musulmans", ni "qui montrent des êtres vivants".

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[traduction : Aujourd’hui, je me bats avec les deux parties de mon identité et ce qu’elles signifient pour moi en tant que femme. En tant qu’Américaine, je suis ravie de voir la possibilité réelle d’avoir la première femme présidente en @KamalaHarris mais en tant qu’Afghane, je suis profondément attristée et en colère de voir les talibans interdire aux femmes de parler en public et de montrer leur visage. Cela s’ajoute aux interdictions d’éducation des deux dernières années et aux nombreuses autres restrictions non islamiques imposées aux femmes. Je suis en colère que les administrations Trump/Biden n’aient pas vu venir ce qui se passait avec les talibans et aient permis que cela arrive aux femmes et aux filles d’Afghanistan.]

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"Un patriarcat parfait"

"Après des décennies de guerre et au milieu d'une terrible crise humanitaire, le peuple afghan mérite bien mieux que d'être menacé ou emprisonné s'il arrive en retard à la prière, jette un coup d'oeil sur une personne du sexe opposé qui n'est pas un membre de sa famille, ou possède une photo d'un être cher", s'insurge Roza Otunbayeva, cheffe de la Mission d'assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA), en réaction à la promulgation de cette nouvelle loi imposée par le régime taliban. 

Anniversaire taliban

Des combattants talibans défilent lors d'un défilé militaire pour marquer le troisième anniversaire du retrait des troupes dirigées par les États-Unis d'Afghanistan, à la base aérienne de Bagram, dans la province de Parwan en Afghanistan, le mercredi 14 août 2024. 

©AP Photo/Siddiqullah Alizai

Cette loi étend les restrictions déjà intolérables aux droits des femmes et des filles afghanes, le seul son d'une voix féminine à l'extérieur du foyer étant apparemment considéré comme une violation morale. Roza Otunbayeva, représentante ONU Afghanistan

"Il s'agit d'une vision inquiétante de l'avenir de l'Afghanistan, où les inspecteurs des mœurs ont des pouvoirs discrétionnaires pour menacer et arrêter quiconque sur la base de listes d'infractions larges et parfois vagues", s'inquiète-t-elle. Pour elle, la "loi étend les restrictions déjà intolérables aux droits des femmes et des filles afghanes, le seul son d'une voix féminine à l'extérieur du foyer étant apparemment considéré comme une violation morale".

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Pour la féministe et artiste afghane Mona Eltahawy, qui vit aux Etats-Unis, très active sur les réseaux, "Les talibans 2.0 ont distillé leur haine des femmes dans un patriarcat parfait, un modèle de contrôle total sur les femmes".

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