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Fil d'Ariane
Une Afghane mendie au milieu de la route Bagram-Kaboul, le 25 juin 2021.
Wati pense avoir 30 ans, même si elle n’en paraît pas 25. Mariée à 18 ans à un vieillard, elle est venue à la clinique pour sa cinquième grossesse en quatre ans, dont deux fausses couches. "J’ai peur de perdre encore mon bébé", explique avec tristesse cette jeune Afghane maigrichonne. Dans cette petite maternité d’un village pauvre du district de Dand, près de Kandahar, dans le Sud de l'Afghanistan, les femmes luttent pour leur survie. Avec le retrait des forces américaines, qui génère déjà davantage de combats et commence à priver le pays des fonds internationaux, la situation ne peut qu'empirer.
J’ai juste la permission de sortir pour aller chez le médecin.
Wati, jeune femme enceinte
Les femmes en burqa viennent consulter accompagnées d'un homme de la famille. Les messieurs, interdits d'entrée, patientent dans l'herbe. "J’ai juste la permission de sortir pour aller chez le médecin", reprend Wati, serrant ses documents rassemblés dans un sac plastique. Khorma, elle, découvre qu'elle est encore enceinte, après cinq enfants. Ses deux fausses couches, c'est parce que "j'ai travaillé trop dur à la maison", croit-elle. "Certaines familles ne prêtent aucune attention aux grossesses : les femmes accouchent chez elles, saignent beaucoup et arrivent en état de choc", s'insurge Husna, une sage-femme qui a choisi de travailler dans les campagnes quand elle a vu la détresse des femmes. "Si je ne viens pas, qui le fera ? justifie-t-elle. Ici les talibans n’attaquent pas les sages-femmes, donc j’ai moins peur".
Afghanistan : des femmes armées manifestent contre le retour des Talibans https://t.co/WLT5sfbfPb pic.twitter.com/xmrlWmfHSR
— L’importante (@limportante_fr) July 12, 2021
Pour beaucoup d'Afghanes, les cliniques sont trop éloignées, les routes dangereuses, les transports trop chers... Conséquence, en 2017, l’Unicef enregistrait 7700 décès en couches - deux fois plus que le nombre de civils tués dans des attaques (3448), selon l'ONU - et les chiffres sont encore pires dans le Sud, aux mains des talibans ou disputé au prix de violents combats. Car les talibans ont déjà imposé de sévères restrictions aux droits des femmes et à la liberté d'expression dans les zones qu'ils contrôlent. Elles sont de nouveau contraintes de porter une burqa, et même des gants. Elles ne sont pas autorisées à aller travailler, sauf les enseignantes, et ne peuvent pas sortir sans non accompagnées. Il leur est aussi défendu d’écouter de la musique non religieuses et d’utiliser un smartphone.
#Afghanistan : les combats font rage à la frontière entre l'Afghanistan et le #Pakistan. Les #talibans ont annoncé avoir pris le contrôle d'un poste-frontière clé. L'armée afghane a contre-attaqué. pic.twitter.com/iRMU7L2iR7
— TV5MONDE Info (@TV5MONDEINFO) July 16, 2021
C'est là, dans le Sud du pays, que les Afghnes risquent de pâtir le plus de la baisse des aides après le retrait des troupes internationales d'ici le 31 août, date-butoir annoncée par le président américain Joe Biden. La diminution déjà sensible de l'aide a un "impact meurtrier" sur les Afghanes, prévient Human Rights Watch dans un rapport récent. Mais avec le risque d'une guerre civile ou d'un retour des talibans au pouvoir, les donateurs refusent de s’engager sur le maintien d'un soutien "plus nécessaire que jamais".
(Re)lire l'article de TV5MONDE Info ► Guerre en Afghanistan : "Les talibans ont déjà gagné"
Je veux une contraception. Je suis trop pauvre pour m'occuper de tous mes enfants. Mon mari est d’accord.
Kela, enceinte de son sixième enfant
Pour surveiller la santé des villageoises, Najia, sage-femme, va de maison en maison. "Certaines familles empêchent les femmes de se rendre à la clinique. Parfois, les hommes ne me laissent même pas entrer", rapporte-t-elle. A Qasem Pul, Kela la reçoit dans sa cour, coiffée d'un voile blanc sale. Son petit garçon a posé la tête sur ses genoux, l’air souffrant. La patiente a compris il y a peu qu’elle était enceinte de cinq mois. C'est son sixième enfant. "Après, je veux une contraception. Je suis trop pauvre pour m'occuper de tous mes enfants. Mon mari est d’accord, affirme-t-elle, nous n'avons même pas assez d’argent pour du savon".
Selon une étude du KIT Institute, en 2018 - dix-sept ans après l'arrivée des forces de l'Otan dans le pays - 41% des Afghanes accouchaient chez elles et 60 % n’avaient aucun suivi post-natal. Dans les zones dangereuses et reculées, ces chiffres sont encore plus alarmants. Dans la province du Helmand (Sud), bastion taliban, moins d'un cinquième des femmes enceintes avaient accès à au moins une visite prénatale, selon l'institut.
Dans une clinique mobile de l'ONG Action Contre la Faim, installée dans une maison d'argile de Lashkar Gah, la capitale provinciale, Qandi Gul reçoit des femmes déplacées par les combats : "La plupart sont malades. Les familles ne prennent pas soin d'elles", déplore la sage-femme.
Mon bébé est mort car je n’ai pas trouvé de clinique ni de une sage-femme.
Farzana, 20 ans, mère de trois enfants
Les patientes attendent assises par terre avec leurs enfants malades : fausse couche sur le front, voisine morte en couches... leurs histoires sont sordides. "Mon bébé est mort car je n'ai pas trouvé de clinique ni de sage-femme. Beaucoup d’enfants mouraient", raconte Farzana, 20 ans, qui a fui les zones talibanes. Mariée à 10 ans, Shazia, 18 ans et trois enfants en zone talibane, devait marcher trois heures pour atteindre la clinique. "C'était très dangereux. Trois femmes sont mortes en route".
A l'hôpital d'ACF pour nourrissons dénutris, des mères désespérées ont risqué leur vie pour arriver. Sur leurs lits, elles restent silencieuses avec leurs bébés décharnés. Rozia, arrivée des zones talibanes, regarde son fils Bilal, sept mois : né prématuré, il souffre d’un bec de lièvre, d’une pneumonie et de malnutrition aiguë. "J’avais très peur des combats" dit Rozia qui a traversé la ligne de front quand la santé de son fils a empiré. Nul ne sait s'il survivra. Elle a déjà perdu un enfant, né prématuré : l'hôpital l'a renvoyée après la naissance, faute de ressources pour la garder. Le bébé a survécu trois jours.
Les militantes afghanes défendant les droits des femmes dans leur pays sont inquiètes par les Talibans, elles cherchent le moyen de fuir l'Afghanistan, les demandes de visa pour les Etats-Unis ont augmenté considérablement. pic.twitter.com/LYYhtvg0WN
— Restitutor Orientis (@RestitutorOrien) July 12, 2021
Les tables sont encore désertes, mais la cuisine est en surchauffe autour du grill et du tandoori, ce four creux dans lequel cuisent de grandes galettes de pain. Malgré leurs gestes empressés et l'atmosphère d'étuve, les filles respirent. Celles qui s'activent aux fourneaux de ce restaurant de Kaboul sont des rescapées, des survivantes, parfois, qui ne retourneront jamais chez elles.
Mary Akrami fut la première Afghane à tendre la main aux femmes de son pays qui fuyaient les violences familiales ou conjugales et qui, pour le prix de leur rébellion, se retrouvaient à dormir dans la rue. Cette petite femme ronde de 45 ans, qui siégea toute jeune à la première conférence internationale sur l'Afghanistan, à Bonn, en 2001, au lendemain de l'intervention américaine, craint aujourd'hui de tout perdre avec le départ des Américains : "La communauté internationale nous a soutenues, encouragées, financées. On était en première ligne et maintenant, elle nous ignore".
Étudiante en exil au Pakistan, pour échapper au régime mortifère des talibans, elle lance avec ses amies, dès 1995, des écoles pour les Afghanes réfugiées et fondée sa première ONG.
Conférence de Londres sur l'Afghanistan, Londres 28 janvier 2010.
De gauche à droite : Mary Akrami, Arezo Qanih, Hillary Clinton, Wazhma Frogh et Selay Ghaffar.
A son retour en Afghanistan, avec le soutien d'organisations européennes, Mary Akrami ouvre, fin 2002, le premier refuge pour les femmes à Kaboul. "Nous voulions créer un lieu sûr. Une femme ou une fille qui s'enfuit, ou qui sort de prison, n'a nulle part où aller." Les talibans au pouvoir les jetaient en prison pour être sorties de chez elles sans mahram - un mentor masculin. "Une fois libérées, les familles les rejetaient".
Je n'aurais jamais imaginé une telle collection de tortures et de violences.
Mary Akrami, directrice de l'Afghan Women's Network
Aujourd'hui, directrice de l'Afghan Women's Network (Centre de développement des compétences des femmes en Afghanistan), Mary Akrami gère 27 refuges (shelters), des maisons ou appartements toujours secrets ou discrètement cachés aux regards, placés sous la tutelle du ministère des Femmes. Un archipel de sororité à travers le pays, comme autant de poches de répit pour les épouses, filles, mères, sœurs violentées. "Je n'aurais jamais imaginé une telle collection de tortures et de violences," dit-elle.
On les a amenés dans les refuges Ils en ont pleuré."
Mary Akrami, directrice de l'Afghan Women's Network
"Les hommes ne s'étaient-ils jamais demandé pourquoi les femmes s'enfuyaient de chez elles ?" lance Mary Akrami. Alors elle confronte les ministres de l'Intérieur, de la Justice, des Affaires religieuses et les juges de la Cour suprême aux réalités endurées par les femmes. "On les a amenés dans les refuges : ils en ont pleuré". En 2005, le président Hamid Karzai signe un décret validant l'existence de ces refuges. "Les autorités afghanes ont tenu leurs engagements. En auraient-elles fait autant sans la pression de la communauté internationale ?", interroge-t-elle.
Près de 20 000 femmes sont passées par les refuges de l'AWN depuis leur création. Elles y ont appris à lire et écrire ; certaines, arrivées bébé avec leur mère, y ont grandi. Elles travaillent, vont parfois à l'université et reviennent dormir le soir.J'ai honte devant les hommes et les femmes en #Afghanistan que nous allons abandonner aux Taliban, à ces barbares illuminés qui interdisent les écoles aux filles afin qu’elles ne connaissent rien d’autre que la soumission. https://t.co/eABTccdBD7 Photo ©MaxPixel pic.twitter.com/3T1lUdb1lC
— Bernard Guetta (@guetta_en) July 12, 2021
Ces dernières années, les femmes afghanes avaient pourtant bel et bien conquis quelques droits, celui de travailler, notamment. Mina Rezaé avait ainsi ouvert, à Kaboul, le "Café simple", un lieu d'échange pour les étudiants, les artistes et les intellectuels, mais également une manière de se battre pour ses droits et ceux de toutes les femmes. Pour elle aussi, la vie pourrait radicalement changer avec le retour des talibans.
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