Fil d'Ariane
Dans ces studios de Kaboul, ce sont des réalisatrices qui contrôlent le travail des monteuses, tandis que les preneuses de son accrochent des micros au col des présentatrices et des invitées autour desquelles s'affairent les maquilleuses, sous l'égide d'éditrices et de rédactrices en chef. La quinzaine de techniciens qui encadrent leurs collègues féminines ne sont là que le temps de les former.
C'est en faisant passer des entretiens pour un poste de présentateur/trice du matin sur une chaîne locale que l'idée vient au producteur Hamid Sahar : dans la province conservatrice de Nangarhar, 80 % des candidats sont des candidates. Audacieux et mercantile, il entrevoit l'énorme potentiel, notamment dans les grands centres urbains, comme Kaboul, de ce nouveau public en mal d'information, de débat et de divertissement dans un pays où, jusqu'en 2001, le port de la burqa était obligatoire en public et où les filles ne pouvaient pas aller à l'école.
Les programmes se veulent différents, adaptés aux besoins du public féminin. Santé, politique, économie, enseignement sont autant de thématiques abordées pour faire avancer la société afghane, explique le producteur.
Il fallait donner aux femmes la possibilité de travailler et de faire leurs preuves.
Hamid Sahar
Les 54 collaboratrices voient leur chaîne comme une tribune pour défendre les droits des femmes et faire entendre leur voix : "Tout le monde doit voir que les femmes sont capables de travailler et de prendre leur place dans la société," explique la jeune présentatrice Shamela Rasooli. A 22 ans, Shamela est à l'image de la plupart de ses collègues, dont l'énergie et l'audace compensent l'inexpérience. Leur objectif : montrer aux Afghanes qu'elles aussi peuvent vivre et travailler comme elles l'entendent.
Le lancement des programmes de la "télé des femmes" qui, dans un premier temps, émet de 6 heures à minuit, n'est pas passé inaperçu. La journaliste kurde Gulê Algunerhan salue l'arrivée dans le paysage médiatique de cette région du monde de la "première télévision féminine en Afghanistan" :
İlk kadın televizyonu Afganistan'da açıldı #ZanTv pic.twitter.com/ZhjmF0WQfU
— Gulê Algunerhan (@AlgunerhanGule1) 22 mai 2017
Quant au site d'information du grand quotidien anglophone indien The Hindu, il consacre un article à cette initiative pionnière :
Afghanistan to have it's first TV station run by women, dedicated to women - https://t.co/H1B9nlJ8W1 #ZanTV
— The Hindu (@the_hindu) 20 mai 2017
Le journaliste américain John Hendren, correspondant d'Al Jezeerah, lui, a craqué sur les abats-jours en burqa qui décorent les locaux de ZanTV :
Fantastic Pic of the Day: Burkha lampshades, found at a new network called Zan TV – it means “women’s TV” – in Kabul, Afghanistan pic.twitter.com/XJP2AVI9qy
— John Hendren (@johnhendren) May 22, 2017
Voir une femme présenter un journal n'est pas exceptionnel, en Afghanistan, mais pour celles qui se sont lancées avec enthousiasme dans ce projet pionnier 100 % féminin, les pressions restent fortes, à commencer par la famille et le cercle des proches. "J'ai pas mal de problèmes depuis que je travaille dans les médias, explique Khatira Ahmadi. J'ai même reçu des menaces... J'ai des oncles et des cousins qui sont convaincus qu'une femme ne devrait pas travailler à la télévision, mais je suis obligée de les ignorer si je veux poursuivre mes objectifs."
Au milieu d'un paysage médiatique d'une quarantaine de chaînes de télévision, ZanTV opère dans des studios rudimentaires avec un budget réduit à la portion congrue grâce aux technologies numériques. Quelles sont ses chances de succès ? Incertaines, bien sûr, mais son lancement reste une date à marquer d'une pierre blanche dans un pays en reconstruction, où plane encore le spectre des talibans.