Qui se souvient de sa disparition, ces quelques jours de l’année 1926, alors que son mari chéri Archibald la trompe effrontément ? Ou de sa seconde évaporation douze ans plus tard, en Mésopotamie, tandis qu’Archie le volage s’apprête à convoler avec sa jeune maîtresse ?


Ce roman biographique signé Lindsay Ashford, reporter à la BBC et diplômée en criminologie, vaut pour l’éclairage de cet épisode romanesque de la vie d’Agatha Christie. Comment elle y fait l’expérience de la sororité avec des femmes aussi cabossées qu’elle, mais tout aussi prêtes à jeter par dessus les moulins conventions sociales et chemins tout tracés. Comment aveuglée par la jalousie, elle croit reconnaître en l’une des passagères l’amoureuse de son ex-mari ? Comment elle va se reconstruire par l’abnégation, découvrir l’Irak et relancer sa vie amoureuse en rencontrant son deuxième mari, Max l’archéologue, son cadet de 15 ans ?


C’en est trop, la romancière organise sa disparition. Elle ne sera retrouvée que 12 jours plus tard après d’intenses battues policières dans un hôtel thermal, frappée semble t-il d’amnésie, ce qui ne sera jamais prouvé. Calcul pour doper ses ventes, pour ennuyer son mari ? Toutes les hypothèses restent ouvertes. Célèbre pour ses romans, la reine du crime méritait bien de l’être pour sa vie, pleine d’aventures invraisemblables, largement pourvoyeuse de scénarii rocambolesques ! Une vie aussi de grande voyageuse, bourgeoise en quête d’émancipation et citoyenne du monde à l’heure où les routes du Moyen-Orient se parcourent à dos d’âne. Les biographies sur Agatha Christie sont nombreuses, chacune éclairant ses parts d’ombres. On peut être écrivaine fleuve et faire couler beaucoup d’encre…
A qui profite le crime ?


Agatha Christie n’a pas fait que des thrillers à quatre sous. D’abord, elle a beaucoup agacé les maîtres du genre en bafouant une des règles du polar : le narrateur ne peut être l'assassin. Mais elle a beaucoup amusé le psychanalyste Pierre Bayard. L’essayiste, professeur à la Sorbonne et auteur d’une vingtaine d’ouvrages, lui a consacré deux contre-enquêtes : Qui a tué Roger Ackroyd ? et La vérité sur les Dix petits nègres, aux très sérieuses éditions de Minuit. Son postulat : Hercule Poirot s’est trompé, sa résolution des enquêtes n’est pas recevable. Amusant, malin en diable et plus que pertinent. Pas étonnant que Pierre Bayard ait été intronisé Président d’honneur de l’organisation Intercripol "l’INTERnationale de la critique Policière" fondée en 2017, visant à rouvrir des enquêtes manifestement inachevées. Un réseau de personnalités éminentes qui s’emparent de ses cold cases, la reine du crime en eut été surement flattée. A moins qu’elle n’en eut au contraire été fort agacée. Car comme le pointe l’un des admirateurs de Bayard, "voilà exposée la vérité enfouie — 'la clé invisible' — au cœur du roman, que ni les policiers, ni les millions de lecteurs et ni même l’auteure n’ont su voir." Shocking ! Les personnages s’émanciperaient-ils à leur tour de leur créateur ? Un coup à y perdre sa voilette, foi d’Agatha.
A lire aussi dans Terriennes :
► Hommage à Mary Higgins Clark : "Ses intrigues dénonçaient depuis longtemps les violences faites aux femmes"
► Reines du crime au pays de Colette
► Disparition de la reine du polar Ruth Rendell
►P. D. James s'est éteinte : disparition d'une femme du XXe siècle
►Kishwar Desai, pionnière du “thriller social“ et féministe à l'indienne
►Langue française : "Ecrire, disent-elles."
► Et pourquoi pas une librairie féministe à Montréal ? Aussitôt dit, aussitôt fait