Agressions sexuelles au Canada : les Canadiennes brisent le mur du silence

Le Canada est secoué par une série de scandales sexuels dont les protagonistes sont des hommes en vue, vedettes de radio ou députés, accusés d’agressions ou de harcèlement. Des affaires qui ont eu comme mérite de libérer la parole d’autres victimes.
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Agressions sexuelles au Canada : les Canadiennes brisent le mur du silence
Les scandales s'affichent à la Une de toute la presse canadienne : “la honte“ pour le francophone La Presse et “L'effet Ghomeshi“ pour l'anglophone National Post
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Tout a commencé par un licenciement qui a résonné comme un coup de tonnerre dans l’univers médiatique canadien : la CBC, le pendant anglophone de Radio-Canada, a mis fin abruptement au service d’un de ses animateurs radio vedettes, Jian Ghomeshi. L’homme de 47 ans, qui se dit adepte de pratiques sadomasochistes, aurait agressé des femmes lors de ses « fantaisies ». Ce qu’il nie sur sa page Facebook, alléguant que les femmes étaient consentantes : "Ce moment est le plus dur de ma vie. Autant que la perte de mon père. Je suis plongé dans une profonde peine et je m'inquiète pour ma maman. Et mon monde s'effondre". Sauf que plusieurs de ces présumées victimes, qui jusqu’ici n’avaient pas osé avouer quoi que ce soit, viennent de témoigner de ce qu’elles ont vécu avec lui. Des révélations qui ont ouvert la porte à d’autres aveux tous plus troublants les uns que les autres, de femmes qui disent avoir elles aussi subi des agressions sexuelles mais qui avaient choisi de se taire… jusqu’à aujourd’hui.

“Une campagne de vengeance a été lancé contre moi“

06.11.2014Reportage de nos partenaires de Radio Canada
L'animateur de radio vedette de la chaîne anglophone canadienne CBC Jian Ghomeshi rejette toutes les accusations et après avoir été licencié par son employeur réclame à CBC 55 millions de dollars canadiens pour diffamation et abus de confiance...
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Des révélations choc

Depuis une semaine, les révélations se succèdent et des femmes connues brisent  un silence vieux de décennies pour plusieurs d’entre elles : l’ex journaliste Julie Miville-Dechêne, présidente du Conseil québécois du statut de la femme, Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec, Sue Montgomery, journaliste du quotidien montréalais anglophone The Gazette et Michèle Ouimet, grand reporter au quotidien La Presse. Sue Montgomery est l’instigatrice d’un mouvement qui a fait tache d’huile  dans les réseaux sociaux : elle a lancé sur Twitter le mot-dièse #beenrapedneverreported , qui a suscité un engouement absolument incroyable avec des millions de messages. La Fédération des Femmes du Québec a par la suite décidé de lancer l’équivalent en français #AgressionNonDenoncee, qui remporte là aussi un gros succès avec des milliers de messages de femmes qui avouent, elles aussi, avoir subi une ou des agressions sexuelles et ne pas avoir osé porter plainte ou tout simplement en parler.

Toutes sont deux fois victimes : victimes de l’agression et victimes du silence qui a suivi l’agression, du secret lourdement porté pendant des années. Sans oublier le poids de la culpabilité qu’elles vivent après les faits. C’est d’ailleurs pourquoi ces personnalités publiques ont décidé de témoigner : pour inciter d’autres femmes à parler, raconter, dénoncer, porter plainte, se libérer de ce fardeau. Pour dire, comme l’a écrit Michèle Ouimet, qu’il y a une vie après le viol.  "J'ai réfléchi longuement avant d'écrire cette chronique. Avais-je envie de me jeter dans le vide et de parler de ce viol caché dans ma mémoire depuis des années? Non. Mais j'ai plongé parce que je voulais que l'on comprenne le silence des femmes violées.
Et je me suis dit qu'après 40 ans, je pouvais sortir de mon placard au nom de toutes les femmes qui n'osent pas. Et pour leur dire qu'il y a une vie après le viol.”
 
Deux députés canadiens suspendus

En parallèle à toutes ces révélations, le chef du Parti Libéral du Canada, Justin Trudeau, a décidé, mercredi 5 novembre, de suspendre du caucus (groupe parlementaire) libéral  deux de ses députés après avoir été informé d’allégations d’inconduite et de harcèlement de leur part. Les victimes seraient des députées du Nouveau Parti Démocratique, l’autre parti de l’opposition (gauche) au Canada. L’une d’elles aurait raconté son histoire à Justin Trudeau qui a donc pris par la suite cette décision plutôt inusitée. Il a aussi demandé une enquête au président de la Chambre des Communes et du Bureau de régie interne.

“C'est pas la politique qu'il faut protéger, c'est la femme“

07.11.2014Reportage de nos partenaires de Radio Canada
Retour en images sur un Parlement canadien ébranlé par des dénonciations de harcèlement sexuel de député à députée
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Onde de choc

L’affaire a créé une onde de choc au Parlement canadien – déjà fortement ébranlé par la fusillade du 22 octobre dernier. Car elle soulève la délicate question de la problématique du harcèlement entre les murs du Parlement lui même à Ottawa. Ou à Québec… ou dans d’autres parlements des provinces canadiennes. Des jeunes femmes, qui travaillent au sein de ces assemblées, seraient victimes de harcèlement de la part de leurs patrons, de députés, de sénateurs et elles n’osent pas porter plainte. Là encore, le poids du silence… le poids des tabous et de la peur…

Comment briser ce silence ? Ces tabous ? Ce cercle vicieux ? Pourquoi ne pas porter plainte quand on subit une agression sexuelle ? Pourquoi ces femmes culpabilisent-elles après avoir subi ces violences ? Pourquoi la majorité d’entre elles gardent-elles ce secret pendant tant d’années ? Comment offrir aux victimes d’agressions sexuelles ou de harcèlement un environnement propice à obtenir justice sans subir la honte, la culpabilité ? Faut-il mettre en place par exemple une sorte de guichet unique qui permettrait à une femme victime d’agression ou de harcèlement sexuel de porter plainte et d’être soutenue tout au long de la démarche tant d’un point de vue judiciaire que psychologique ? Le système de justice est-il suffisamment adapté et performant pour rendre justice à ces victimes ? Comment éviter les dérapages et les fausses déclarations qui pourraient déboucher sur des accusations infondées et des injustices ? 

Les questions sont multiples, les réponses complexes, les solutions diverses… elles rebondissent actuellement au Canada et au Québec mais elles concernent toutes les sociétés partout dans le monde et on le sait, dans certains pays, la situation est pire que dans d’autres. En tous cas, une prise de conscience importante est en train de se faire au Canada ; il faudra voir maintenant si elle se traduira par des mesures concrètes, ou si elle ne sera pas qu’un feu de paille…

“Souvent les réactions à nos aveux sont pires que l'agression elle-même“

06.11.2014Reportage de notre partenaire Radio Canada
La journaliste Sue Montgomery et à sa suite de nombreuses femmes en vue brisent le mur du silence pour inciter d'autres à le faire, ne plus avoir peur de parler...
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Des chiffres qui parlent


?    1 femme sur 3 a été victime d’au moins une agression sexuelle depuis l’âge de 16 ans.
?    1 homme sur 6 sera victime d’une agression sexuelle au cours de sa vie.
?    Les 2/3 des victimes sont âgées de moins de 18 ans.
?    82 % des victimes d’agression sexuelle sont des femmes.
?    Plus de 75 % des jeunes filles autochtones âgées de moins de 18 ans ont été victimes d’agression sexuelle.
?    40 % des femmes ayant un handicap physique vivront au moins une agression sexuelle au cours de leur vie.
?    1 femme sur 7 est agressée sexuellement au moins une fois par son conjoint.
?    Près de 8 victimes sur 10 connaissent leur agresseur.
?    7 victimes sur 10 ont été agressées sexuellement dans une résidence privée.
?    Près de 90 % des agressions sexuelles ne sont pas déclarées à la police.

Toutes ces statistiques sont tirées de :
Ministère de la Sécurité publique (2006). Les Agressions sexuelles au Québec. Statistiques 2004. Sainte-Foy, Québec: Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité. Ministère de la Sécurité publique. Gouvernement du Québec. Orientations gouvernementales en matière d’agression sexuelle. Ministère de la Santé et des Services sociaux. 2001.

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