Aïcha Bah Diallo : l'éducation des filles, l'histoire d'une vie

Infatigable et insatiable militante pour les droits des femmes, Aïcha Bah Diallo a consacré sa vie à promouvoir l'éducation des filles. Encore aujourd'hui, après plus de trente ans d'engagement, l'ancienne ministre guinéenne de l'éducation continue de se battre au quotidien en parcourant la planète. Rencontre.
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Aïcha Bah Diallo lors de notre rencontre en marge de la Conférence internationale de l'OIF sur l'éducation des filles à N'Djamena, juin 2019.
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"Tu dois être bonne à l'école, pas la deuxième, mais toujours la première, parce que nous savons que tu peux le faire". Les paroles de ses parents ont sans nul doute indiqué la route à suivre à cette petite fille, née en 1942 à Kouroussa, ville située en Haute-Guinée, une région sèche située dans le nord de la Guinée Conakry. Elle est la dernière d'une fratrie de trois garçons.

Une fois le bac en poche, Aïcha Bah Diallo part aux Etats-Unis pour suivre une formation supérieure scientifique, en chimie, à l'université de Pennsylvanie, puis elle revient en Guinée où elle obtient un diplôme de troisième cycle en biochimie à l'université de Conakry. Elle devient professeure de chimie puis proviseure de lycée. Des années qu'elle a adorées, comme elle nous le confie lors de notre entretien.

Avec l'arrivée au pouvoir de Lansana Conté, et la mise en place d'un processus de démocratisation, l'enseignante intègre la direction du ministère des Affaires étrangères. En 1989, elle est nommée ministre de l'éducation, poste qu'elle occupera jusqu'en 1996. A l’époque, le taux de scolarisation était de 29% et on ne pouvait même pas compter les filles. Sous son mandat, l'éducation des filles devient une priorité, et les résultats sont au rendez-vous : sept ans plus tard, près de 60% des enfants sont scolarisés, le nombre de filles inscrites dans les écoles de la Guinée double, passant de 113 000 à 233.000.

En 1992, elle participe à la création du Forum for African Women Educationalists (le Forum des éducatrices africaines, FAWE). À partir de 1996, n'ayant plus de responsabilités ministérielles en Guinée, et jusqu'en 2005, elle anime les politiques de l'éducation au sein de l'UNESCO. Sous-directrice générale pour l’éducation à l’UNESCO, elle est membre de nombreuses organisations nationales, régionales et internationales œuvrant dans les domaines de l’éducation, de la bonne gouvernance et du leadership. Elle est la Présidente internationale de l'organisation non gouvernementale Aide et Action qui agit en faveur de l'éducation dans le monde.

Championne de l'éducation des filles

Ambassadrice de Bonne Volonté de l’ISESCO, son engagement dans la formation des femmes et leur autonomisation, l’éducation des filles, en particulier dans les sciences, les nouvelles technologies, l’ingénierie, la lutte contre la discrimination et les violences de genre, lui ont valu le titre de "championne de l’éducation des
filles". Elle a reçu plusieurs distinctions honorifiques nationales, régionales et internationales.  Des écoles privées comme publiques portent son nom.
Elle parle six langues dont trois Européennes et trois Africaines.

Mais c'est évidemment dans la langue de Molière que Terriennes lui a posé quelques questions, lors de notre rencontre en marge de la Conférence internationale de l'OIF sur l'éducation des filles et la formation des femmes dans l'espace francophone, les 18 et 19 juin 2019 à N'Djamena (Tchad).

Terriennes : quelle petite-fille étiez-vous ?

Aïcha Bah Diallo : Espiègle ! Très espiègle même (rires) ! Je suis née après trois garçons, et comme j'étais une enfant qui avait été désirée, je pouvais faire ce que je voulais, les parents l'acceptaient. Ils me disaient : "Nous savons que tu es intelligente (même si je ne le suis pas !) donc si tu décides que tu dois être la première, tu seras la première. C'est une façon de mettre l'enfant en confiance. Ce n'était pas une pression pour moi ! J'étais libre de faire ce que je souhaitais.

Vous représentez un modèle pour les petites filles d'aujourd'hui, vous-même quel modèle vous a inspiré ?

Ma mère était mon modèle, elle savait tout faire. Elle m'a appris à faire la cuisine, à filer le coton, à teindre les habits, à préparer le savon. Je le faisais avec bon coeur. Mais j'ai l'impression qu'elle avait réalisé dès le départ que j'étais un enfant qui avait besoin d'être occupé tout le temps. On chantait tout le temps. Je lui dois beaucoup.

Quel a été le facteur déclencheur de votre engagement pour l'éducation des filles ?

Cela remonte au lycée, j'étais en seconde. Une de mes camarades, très brillante, est tombée enceinte, elle a aussitôt été exclue de l'établissement. Cela m'a beaucoup choqué. Ce jour-là, j'ai dit à mes camarades de l'époque : "Le jour où je serai ministre, cela n'arrivera plus !". Tout le monde a ri. Une fois ministre d'ailleurs, je les ai contacté, et leur ait demandé "alors maintenant on fait quoi pour arrêter ça ?". Il m'a fallu deux ans pour mettre en place une campagne de sensibilisation des parents, et des enseignants, pour leur expliquer que si une jeune fille tombe enceinte ce n'est pas de sa faute, c'est parce qu'on ne lui a pas expliqué ce qu'il fallait faire pour se protéger. Il faut qu'on assume cette responsabilité collective.

Comme ministre, j'aimais me rendre dans des villages, habillée simplement pour passer incognito. Une villageoise m'a reconnue à ma voix. "Je vous croyais grosse et grande, me lance-t-elle. Mais je vous ai écouté et je pense que vous avez raison". Ce jour-là, j'ai compris que cela pouvait marcher. Aujourd'hui aucune adolescente n'est renvoyée en raison d'une grossesse précoce.

Quels ont été les principaux obstacles sur votre route ?

Des obstacles, oui et non. Je me souviens, lorsque j'étais au lycée, un garçon me faisait une cour un peu insistante. Il a essayé de m'embêter un peu. Je suis allée m'acheter un couteau, je l'ai lancé très loin devant lui, il a eu très peur. Si tu bouges, attention, lui ai-je dit, sinon je te fais la fête. C'était juste pour l'effrayer et ça a marché. Après, il m'a fichu la paix !

Après des années de combat, quel est votre bilan aujourd'hui, quand on sait qu'une fillette sur 5 n'est pas scolarisée ... et quelles solutions prônez-vous ?

Il y a urgence encore aujourd'hui. Je ne peux pas me reposer, on me dit il faut prendre ta retraite, mais comment est-ce possible ? Tant que je pourrais, tant qu'il y aura des filles qui n'auront pas accès à l'école, je me battrais. Il y a encore beaucoup à faire. Cette conférence arrive au bon moment, c'est l'occasion de plaider cette cause. Les solutions qui marchent, c'est d'abord de convaincre les parents qu'il y a beaucoup de bénéfices à envoyer une fille à l'école. Il faut de la sensibilisation. Une fille qui poursuit ses études, c'est bon pour toute la famille, ainsi la femme va avoir des opportunités d'emploi mieux rémunérés. Une fois qu'on leur explique et qu'on leur montre des exemples, les parents comprennent. Et deuxièmement, il faut aussi faire évoluer la formation initiale des enseignants. Les filles et les garçons ont le même potentiel. Il faut aussi les documents et le matériel d'éducation adaptés, mettant en avant les possibilités des filles, d'une manière égalitaire avec les garçons. Et puis aussi montrer des modèles de femmes qui ont réussi. Les filles et les femmes doivent savoir qu'elles peuvent tout faire. Le plafond de verre, ça ne doit pas exister ! Pompière, électricienne, tout est possible !

"Soit la première, pas la deuxième", est-ce que vous diriez la même chose aux fillettes d'aujourd'hui ?

Pourquoi pas ? C'est une question de confiance en soi. Si les parents encouragent les filles, elles n'en sont que plus motivées et décider à réussir.