Aider les victimes de crimes sexuels : le Québec formule ses recommandations

Dans la foulée du verdict d’acquittement de Gilbert Rozon, accusé d’agression sexuelle et d’attentat à la pudeur, se pose toute la question de l’équité du système judiciaire québécois envers les victimes de crimes sexuels. Un comité d’experts vient justement de rendre public un rapport préconisant 190 recommandations pour aider ces victimes à porter plainte et à se faire accompagner. Parmi elles, la création d'un tribunal spécialisé.
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Ce rapport est le produit du travail d’un comité d’experts sur l’accompagnement des victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale mis en place en mars 2019 par la ministre québécoise de la Justice d’alors, Sonia Lebel, à la suite du mouvement #MeToo #MoiAussi. Un comité transpartisan qui rassemble des députés des quatre partis politiques québécois : Sonia Lebel, ainsi que la ministre de la Condition féminine Isabelle Charest, de la Coalition Avenir Québec actuellement au pouvoir ; Véronique Hivon, du Parti Québécois ; Christine Labrie, de Québec solidaire et Isabelle Mélançon, du Parti libéral du Québec.

Rendu public le 15 décembre, ironiquement le jour où Gilbert Rozon a reçu son verdict d’acquittement, le rapport du comité détaille près de 200 recommandations pour aider les victimes de crimes sexuels et de violence conjugale à porter plainte, et pour améliorer le traitement de ces plaintes.

Tribunal spécialisé

La principale recommandation du rapport porte sur la création d’un tribunal spécialisé pour traiter les plaintes de crimes sexuels. Un tribunal qui serait composé de policiers, avocats et autres intervenants ayant une certaine expertise en la matière. Ce tribunal permettrait également d’accélérer le traitement des plaintes et de proposer aux victimes présumées un accompagnement dans un processus souvent douloureux et complexe.

Beaucoup des recommandations du comité d’experts portent d’ailleurs sur cet accompagnement, tant psychologique que juridique, qu’il faut offrir aux victimes, du moment où elles décident de pousser la porte d'un commissariat de police pour dénoncer leur agresseur, jusqu’au verdict final du procès, si procès il y a. Le comité suggère que les victimes aient un accès gratuit à un avocat et une séance de conseils juridiques pour se faire expliquer les différentes étapes. Souvent, les victimes qui ont porté plainte racontent à quel point elles se sentaient perdues et isolées lors du processus, en manque d’informations et de précieux conseils.

Un tribunal spécialisé est un puissant moyen d’adapter le système de justice à la réalité si particulière, par son caractère intime et complexe, des victimes de violences sexuelles et conjugales.
Véronique Hivon, députée du Parti Québécois

Le comité propose également d’assurer une formation spécialisée en matière de crimes sexuels pour tous les intervenants, qu’ils soient dans le milieu médical, psychologique ou judiciaire, mais aussi les policiers, avocats et juges. C’est donc une réforme importante du système judiciaire québécois que recommande ce comité d’experts. L’objectif est de redonner confiance en la justice pour inciter les victimes à porter plainte. D’ailleurs ce rapport est intitulé : "Rebâtir la confiance".

Engagemement

La ministre responsable de la Condition féminine, Isabelle Charest, s’engage à ce que son gouvernement fasse le nécessaire pour concrétiser ces recommandations : "Nous avions promis aux victimes d’agressions sexuelles et de violence conjugale que nous poserions des gestes concrets afin qu’elles puissent obtenir l’aide et le soutien qu’elles méritent. Les recommandations déposées aujourd’hui sont un premier geste en ce sens. (….) Comme élues, notre devoir est de nous assurer que les recommandations du rapport se traduisent par des actions concrètes, qui auront un réel impact sur la vie des personnes touchées par ces crimes, qui sont majoritairement des femmes".
La députée de Québec solidaire, Christine Labrie, abonde : "C’est un chantier que nous entreprenons dès maintenant, parce que l’actualité nous rappelle trop souvent à quel point c’est urgent". Et Véronique Hivon, la députée du Parti Québécois, d'ajouter : "Je me réjouis particulièrement que la mise en place d’un tribunal spécialisé, une réforme à laquelle je crois profondément, soit retenue par le comité. Il s’agit d’un puissant moyen d’adapter le système de justice à la réalité si particulière, par son caractère intime et complexe, des victimes de violences sexuelles et conjugales".

L'impunité : une réalité indéniable

Seulement 5% environ des agressions sexuelles font l’objet d’une plainte déposée à la police, selon les statistiques, contre 37% pour les voies de fait et 46% pour les vols qualifiés. Ces chiffres montrent bien l’impunité dont bénéficient les auteurs des crimes de nature sexuelle, car ils ne sont pas poursuivis devant la justice.

Par contre, la moitié des plaintes pour agression sexuelle qui atterrissent devant un tribunal se concluent par une condamnation, selon des chiffres compilés par Statistique Canada en 2017. D’où la nécessité de réformer le système de justice pour offrir un meilleur accompagnement aux victimes de crime de nature sexuelle afin qu’elles portent plainte davantage auprès de la police et que les agresseurs soient davantage traînés devant la justice.

Le comité d’experts auteur du rapport était composé de 21 personnes dont :

  • Elizabeth Corte, juge en chef de la Cour du Québec de 2009 à 2016
  • Hélène Cadrin, fonctionnaire émérite en matière d’agressions sexuelles et de violence conjugale
  • Sylvain Guertin, enquêteur spécialisé en matière d’agressions sexuelles et directeur adjoint des enquêtes criminelles de la Sûreté du Québec
  • Éliane Beaulieu, procureure du DPCP ( Directeur des poursuites criminelles et pénales )
  • Julie Desrosiers, chercheure et professeure titulaire de la faculté de droit de l’Université Laval
  • Patricia Tulasne, membre des Courageuses, ces femmes qui disent avoir été victimes de Gilbert Rozon
  • Des intervenants de centres d’aides aux victimes et de groupes de défense des droits des victimes
Lire Le rapport complet du comité d’experts

Pour preuve, s’il en faut encore, qu’il est si difficile pour les victimes d’agressions sexuelles d’obtenir justice : un ex-animateur très connu au Québec, Éric Salvail, vient d’être acquitté des trois chefs d’accusation d’agression sexuelle, de séquestration et de harcèlement qui pesaient contre lui à l’endroit de Donald Duguay pour des faits qui remontent à 1993 alors qu’ils travaillaient tous les deux à Radio-Canada. Tout comme pour le procès de Gilbert Rozon, qui a bénéficié du doute raisonnable, le juge Alexandre Dalmau, de la Cour du Québec, a expliqué que la preuve déposée ne permettait pas de reconnaître Éric Salvail coupable hors de tout doute raisonnable, qu’il rejetait sa version, mais qu’il avait trop de doute quant à la version du plaignant.

Donc deux procès retentissants avec des personnalités publiques accusées d’agressions sexuelles et deux verdicts similaires où ces accusés ont bénéficié du doute raisonnable pour sortir libres comme l’air de leurs procès...