Alexandra Szacka : un oeil féminin sur le monde

Alexandra Szacka a passé sa vie à parcourir la planète, de conflits en conflits, au coeur des bouleversements politiques. Aujourd'hui, c'est son histoire en tant que grand reporter et les coulisses de son métier qu'elle nous dévoile dans un ouvrage autobiographique.  

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Profession grand reporter, Alexandra Szacka

La journaliste Alexandra Szacka devant le Palais du Reichstag, où siège le parlement allemand à Berlin, en novembre 2015. Dans son livre Je ferai le tour du monde, la reporter revient sur les coulisses de ses reportages.

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"Je ferai le tour du monde", c'est le titre de cet ouvrage qui aurait aussi pu s'intituler "J'ai fait le tour du monde". "Presque !", répond en riant Alexandra Szacka, invitée du journal international sur le plateau de TV5monde, "C'est en référence à une phrase que je me suis dite toute jeune !".

Ancienne correspondante à l'étranger, et notamment en Russie et en Europe pour Radio Canada, envoyée spéciale en Afghanistan, Alexandra Szacka a parcouru plus de 50 pays durant sa carrière de journaliste et a couvert de nombreux événements qui ont marqué notre époque. Son parcours l’a aussi menée à Pékin, à Berlin, à New York et même au Timor oriental. C'est cette "longue" carrière que la journaliste a voulu retracer dans son livre publié aux Editions du Boréal.

"Je ferai le tour du monde", d'Alexandra Szacka

"Je ferai le tour du monde", d'Alexandra Szacka, un récit sur les coulisses des grands reportages de la journaliste de Radio Canada. 

Crédit Editions du Boréal

La Pologne, l'exil

Alexandra Szacka est née en 1953 à Varsovie, en Pologne. En 1968, elle se voit contrainte de quitter son pays de naissance. Un moment de vie subi comme un traumatisme. "Je me sentais comme une plante brutalement arrachée de mon terreau", écrit-elle dans cet ouvrage autobiographique, "J’ai les larmes aux yeux, parce que c’est difficile de te faire dire que tu dois partir de ton pays parce que ce n'est pas ton pays. [...] Mon passé m’a servi de moteur. [...] Nous sommes humains avant d’être journalistes".

Mes parents ont décidé de quitter la Pologne parce qu'il y avait une campagne antisémite, dont ils n'ont pas été victimes mais ils auraient pu l'être. Alexandra Szacka

"Mes parents ont décidé de quitter la Pologne parce qu'il y avait une campagne antisémite, dont ils n'ont pas été victimes mais ils auraient pu l'être. Des gens autour de nous l'ont été. Ils ont tout perdu, leur appartement devenant propriété du parti communiste", confie-t-elle.

L'adolescente de 15 ans quitte alors ses amis, son petit-ami, "C'est mon pays, c'est la seule langue que je connaissais. On était juifs, mais on ne pratiquait pas la religion. C'est vrai que tout ça a été une expérience assez terrible". 

Après avoir passé un an à Paris, sa famille s'installe à Trois-Rivières, entre Montréal et Québec. "Au début, je ne connaissais rien à ce pays, ni ses codes, qui pourtant sont tellement importants quand on a quinze/seize ans. L'accent était particulier et finalement au bout d'un an ou deux, je me suis facilement intégrée". 

Dans son livre, elle revient sur sa découverte de la grise banlieue nord-américaine, mais aussi le militantisme, le théâtre, l’anthropologie et le combat du Québec pour l’affirmation de sa langue et de sa culture. Avant bien sûr la rencontre avec le journalisme.

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Journalisme de terrain, l'envers du décor

S’amorce alors une carrière qui la mènera chez les planteurs de coca boliviens, sur la place Tian’anmen envahie par les manifestants, au coeur de la guerre russo-géorgienne ou encore en Pologne, où se réveille la douloureuse mémoire de l’antisémitisme.

En près de 35 ans de carrière, Alexandra Szacka a essayé toutes sortes de formats à la télévision, dans la presse écrite et à la radio : grands reportages, magazines ou couverture d''infos quotidiennes.

Montrer ce qu'on ne voit pas à l'écran. Les reportages que l'on diffuse font trois minutes parfois un peu plus, mais tout ce qui se cache derrière, toute la préparation, on ne la connait pas. Alexandra Szacka

"Ce que j'ai voulu montrer dans ce livre, c'est le journalisme de terrain", explique Alexandra Szacka, "Montrer ce qu'on ne voit pas à l'écran. Les reportages que l'on diffuse font trois minutes parfois un peu plus, mais tout ce qui se cache derrière, toute la préparation, on ne la connait pas". 

En premier lieu : la peur. "Evidemment, quand on se rend sur un terrain de guerre, on a peur, en Afghanistan, j'ai eu peur, mais par exemple en Bolivie, je me souviens de cette route de montagne, glacée, il n'y a de la place que pour un véhicule, et je vois un camion qui descend, j'ai eu extrêmement peur, comme ensuite une fois arrivés dans la jungle, au milieu des serpents", raconte la journaliste. Autant de situations qu'on n'imagine pas lorsqu'on regarde les reportages. 

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Des rencontres marquantes à vie

Aujourd'hui, Alexandra Szacka s'est peu à peu retiré de ses activités avec Radio Canada. Mais le contexte de guerre en Ukraine ravive son envie de se rendre sur le terrain. "Si on me le demandait, je partirai aussitôt !", lance-t-elle.  

Et quand je vois sa [Ramzan Kadyrov] longévité en tant que dictateur, je me dis que ces moments passés avec lui étaient assez exceptionnels. Alexandra Szacka

L'occasion de se remémorer sa rencontre avec un certain Ramzan Kadyrov, devenu aujourd'hui le grands chef de guerre tchétchène, avec lequel elle a passé deux jours à l'occasion d'un reportage, il y a quelques années.

"A l'époque, il n'était pas encore celui qu'il est devenu aujourd'hui. Il était à son tout début, juste après l'assassinat de son père. Il a été placé là par Poutine. Et quand je vois sa longévité en tant que dictateur, je me dis que ces moments passés avec lui étaient assez exceptionnels, c'est même lui qui nous conduisait en voiture". 

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Les femmes, personnages incontournables d'une carrière

Au centre des nombreux reportages d'Alexandra Szacka, on retrouve principalement des femmes : "C'est vrai qu'au début de ma carrière, lorsque je n'étais pas sur l'actualité chaude, je choisissais, sans vraiment m'en rendre compte des personnages de femmes pour incarner mes reportages, des femmes qui n'avaient pas d'histoire, qui n'avaient pas fait la Une".

Comme cette femme, croisée au Honduras, alors qu'elle recherchait son mari disparu victime d'une purge. La reporter la rencontre alors qu'elle vient d'accoucher de son fils, auquel elle a donné le même nom que son mari, "qu'elle n'a d'ailleurs jamais retrouvé".  

"J'ai essayé justement pour ce livre de retrouver trente ou quarante ans plus tard ces personnages et notamment ces femmes qui m'avaient marquées", ajoute la journaliste. 

Un métier et ses questionnements

Dans son livre, la reporter soulève d’importantes questions liées à l’exercice de ce métier, comme l’objectivité ou le devoir moral envers les personnes interviewées. Les journalistes doivent prendre des décisions rapidement, parfois sans repères ni balises. 

Dans ce cas-ci, la directrice qui nous a accordé une entrevue savait de quoi elle parlait, parce qu’elle a été assassinée un an plus tard. Alexandra Szacka

Comme cette anecdote rapportée à notre confrère de Radio Canada : "On était en Tchétchénie avec une jeune femme tchétchène qui travaillait pour l’organisme Memorial et qui était parfaitement francophone. On aurait voulu l’interviewer, mais la directrice de l’organisme nous a dit : Elle va vous aider à trouver des familles à qui l'on a enlevé des gens, mais elle, je veux qu’elle reste anonyme, je ne veux pas que vous l’interviewiez." "On a finalement décidé de ne pas interviewer la personne-ressource, parce que ça pouvait la mettre en danger, et dans ce cas-ci, la directrice qui nous a accordé une entrevue savait de quoi elle parlait, parce qu’elle a été assassinée un an plus tard", témoigne-t-elle. 

Sexisme et journalisme

Dans son ouvrage, Alexandra Szacka dénonce aussi la différence de traitement entre femmes et hommes journalistes. La reporter témoigne en avoir souffert, "Je ne sais pas comment cela se passe en France, mais à Radio Canada, au niveau salarial, nous avions des différences." 

Aucune femme participant à des émissions d'affaires publiques ne gagnait plus que le moins payé des hommes. Et ça c'était vraiment une injustice énorme. Alexandra Szacka

Un dossier rendu public assez récemment, en 2002. "Nous avons découvert lors d'une grève, qu'aucune femme participant à des émissions d'affaires publiques ne gagnait plus que le moins payé des hommes. Et ça c'était vraiment une injustice énorme". 

Depuis, il y a eu une commission d'enquête. Mais est-ce que les choses se sont vraiment améliorées, s'interroge la reporter. "Cela reste systémique. Les femmes négocient moins bien que les hommes sur les suppléments de salaires. Je pense qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire sur ce sujet", conclut-elle.

Gagnante de plusieurs prix de journalisme, dont deux prix Judith-Jasmin et un prix Gémeaux, aujourd'hui, Alexandra Szacka a posé ses valises en Toscane en Italie, mais continue de suivre avec curiosité et assiduité les bouleversements de ce monde qu'elle a tant aimé rencontrer et raconter. 

"Mon chum (fiancé, ndlr) rit encore de moi aujourd’hui, parce que quand on visite une ville, je ne veux jamais me satisfaire de ce que je vois. Je veux toujours aller au prochain point pour voir encore ce qui se passe là", confie-t-elle encore dans l'article qui lui est consacré sur le site de Radio Canada. Une ténacité qui lui a parfois valu des ennuis, notamment avec ses anciens patrons. "À un moment donné, quand c’est impossible, c’est impossible, mais quand on me dit non, c’est un défi pour l’action. Je n’aime pas beaucoup qu’on me dise non". Tout est dit !

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