À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames

Sous le bruyant tunnel des Facultés qui déboule de l'avenue Pasteur sur la place Audin, Hassina reçoit telle une baronne dans son salon les confidences de ces dames prises d'un besoin pressant et qui se précipitent sur les seules toilettes publiques de la capitale, pour dames.
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À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames
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À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames
Femmes d'Algérie dans leurs appartements, Eugène Delacroix, 1834
Elle a le visage qui tombe comme s'il voulait s'enfuir, fondre en larmes avec ses cheveux sombres qui pendent sur sa peau brune. Elle est soignée pourtant, et si jeune, elle dit qu'elle a vingt-six ans, enfin presque vingt-sept, pour être précise. Elle ne cache pas qu'elle a beaucoup pleuré ces derniers mois, elle a failli faire une “ dépression nerveuse ”. Elle, elle voulait juste leur apprendre une nouvelle langue, comme en Grande-Bretagne, dit-elle, elle s'appliquait, elle travaillait, “ matin et soir ”, elle faisait même des gestes pour qu'ils comprennent mais eux, les élèves de septième et de neuvième, ne lui accordaient “ aucun respect, aucune reconnaissance ”. Enseigner, pourtant, elle aime ça, “ je sais le faire ”. La preuve ? Quand elle était petite, c'est elle qui apprenait l'arabe à son père et maintenant elle lui enseigne l'anglais. Mais avec ses élèves, elle n'était plus elle-même. La nuit, elle faisait toujours le même cauchemar, ses élèves se saisissaient de son corps et le jetaient sur le lit à l'infirmerie du lycée, pour la faire soigner par l'infirmière, “ ils m'ont rendu folle ”, dit-elle la bouche tremblante. Et en plus le seul homme qu'elle “ aime comme beaucoup de choses ”, lui ne l'aime “ que comme un ami ”. Dieu merci, elle a trouvé un autre travail dans une école privée, cinq élèves à la fois c'est mieux, sourit dans la glace en relevant sa splendide chevelure noire. Hassina connaît tous les déboires de Salima - les yeux tristes, elle, serait prête à parler et parler encore, comme elle vient de le faire. Salima est chassée par Badi'a qui arrive dans son hijab coloré, se précipite sur Hassina qui lui prête ses joues, bisous, “ salut el hindiya ”, l'Indienne c'est ainsi “ qu'on m'appelle, certaines m'ont surnommée l'Italienne ” sourit modestement Hassina. Théoriquement, Hassina est agent polyvalent à la mairie d'Alger, chargée des toilettes publiques pour dames, mais en vérité, elle est la patronne des lieux, la m'alma. Elle en a tous les atouts, qu'est-ce qu'elle est belle notre madame pipi l'Algéroise : ses yeux sont verts, si je vous jure, sa bouche est orange, si, si je vous jure, elle est longue et mince, moulée dans son jean, si c'est vrai, ses cheveux sont longs, touffus, fournis et noirs mais alors noirs, un délire d'érotisme. Une beauté sévère, un masque de bonté, “ tout le monde l'aime malgré sa trentaine ”, dit curieusement l'habituée qui disparaît dans les toilettes numéro un. Une chikha qui, sous le bruyant tunnel des Facultés qui déboule de l'avenue Pasteur sur la place Audin, reçoit telle une baronne dans son salon les confidences de ces dames prises d'un besoin pressant et qui se précipitent sur les seules toilettes publiques de la capitale, pour dames. Ouf, quel soulagement ce ventre creusé dans le mur épais du tunnel des Facultés, ainsi nommé parce qu'il porte sur son dos la faculté d'Alger, telle une citadelle fermée, depuis que le portail central s'est transformé en mur de barbelé pour se protéger des voitures piégées, des galères assassines de la guerre civile dont la ville, défoncée, garde le souvenir à l'angle d'un escalier, au bord d'un hôtel éventré, des histoires de morts qui traînent dans l'oubli et le clinquant d'une capitale à la recherche des plaisirs et de la consommation de masse. Là où l'on enseignait Karl Marx, Engels, une énorme voiture en carton s'offre au désir comme un message subliminal sur le temple du savoir. Là, juste à côté, l'austère librairie de l'OPU, Office des publications universitaires, s'est refait une beauté, nouveau mobilier, quelques vieilleries ont survécu, mais la tendance est au marketing, à la “ com ” et l'on rechercherait en vain un vieux Lénine, un certain Bakounine. Pisser, maintenant, c'est payant depuis que les toilettes de l'Université de pierre, datant de l'époque coloniale, ne sont plus visitées que par les cafards, les rats et quelques mains perverses qui dénoncent les P... de l'amphi B. (P…= pédés) “ Étudiante, ce sera quinze DA (dinars alégriens) ; pour les autres vingt ”, chantonne Hassina à longueur de portes qui s'ouvrent et se ferment sur les envies de soulagement en cette froide matinée d’hiver. Chose rare, il a neigé sur Alger, il a plu des grêlons gros comme des cafards volants, alors comme on s'amuse d'un rien, les Algéroises du jour se font leur cinéma, elles ont sorti leurs gants, leurs bonnets, leurs casquettes, leurs manteaux au col de fausse fourrure, leurs foulards et leurs hijabs d'hiver pendant que traînent sur le sol carrelé les pantalons pattes d'éléphant de jeunes filles aux bouches gourmandes. Sous sa casquette telle un chou-fleur noir, la bouche boudeuse, Sonia cherche son portable qui sonne dans le fouillis de son sac, allô, c'est Omar dit-elle à sa sœur qui se refait les lèvres après s'être soigneusement lavé les mains, c'est qui Omar ? c'est le copain de notre sœur, oui, il est comme ça, il s'inquiète pour nous, non ma sœur trouve ça tout à fait normal, il voulait juste savoir si on voulait qu'il vienne nous chercher, non ce n'est pas la peine. On habite Hussein Dey, mais comme on est nées à Alger à l'hôpital Mustapha, on est venues faire des papiers à la mairie. Ne le dites à personne mais dans le ventre d'Alger ce ne sont pas des toilettes publiques qui se cachent mais un boudoir pour dames aux senteurs de déodorant à la violette et de hammam. Le temps s'est arrêté à sept heures presque moins dix et bonne année quand même, est-il écrit en grosses lettres dorées sur les murs décorés comme un sapin de Noël avec ses guirlandes  en or. Le temps s'est arrêté comme sur toutes les horloges publiques du pays, mais il demeure compté par ces beautés ravageuses qui s'auscultent le visage, pressées les unes contre les autres dans les miroirs qui envahissent les murs, témoins intimes de cette complicité avant d'aller vers d'autres conquêtes, les lèvres gonflées de rouge à lèvres, les joues fardées, les yeux remontés à la brosse.
À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames
Le tunnel des Facultés à Alger, de l'avenue Pasteur à la place Audin, écrin du cabinet des aisances algéroises
“ J'ai vingt-six ans, s'inquiète une coquette, en hijab, qui se refait les yeux quand même, et j'aimerais quitter la fac avec mon diplôme et un homme en plus. ” Les prétendants ce n'est pas ce qui lui manque, certifie Hassina qui suit l'affaire de près, mais elle n'arrive pas à se décider. Alors, puisque la psychologie est devenue à la mode, elle a été voir une psychologue parce qu'elle s’inquiète de son incapacité à aimer. Est-ce normal madame de ne pouvoir aimer aucun de ces hommes qui s’enflamment alors qu’elle reste de glace ? Une seule chose est sûre, elle n'aime que les hommes mûrs, jamais elle ne fera confiance à un homme de son âge, mais de tous “ aucun ne me protège ”. Le docteur de son âme troublée lui a dit : “ Tu aimeras seulement ton mari et tu ne donneras ton cœur qu'à l'homme qui t'épousera. ” Mais elle hésite, après tout, elle pourrait faire comme ses quatre cousines qui se sont installées à Dubaï, “ elles sont payées en dollars ”. Un drôle de boulot si l'on en croit Mounira qui, candide et envieuse, le décrit ainsi : “ Le matin, elles dorment et le soir elles travaillent. ” “ Je suis restée à regarder ma beauté et j'ai oublié d'aller aux toilettes ”, s'esclaffe-t-elle avant de disparaître dans les toilettes numéro quatre. Y a-t-il, ici, des toilettes anglaises, s'inquiète une nouvelle arrivée, parce qu’avec mon pantalon, dit-elle timide, c'est difficile les toilettes turques, oui la dernière cabine au fond, et elle s'en va avec son pattes d'éléphant en jean qui balaye le sol. Le monde est jeune à Alger, de vieilles dames s'aventurent, elles font tellement de peine à ces jeunettes qu'elles sont dispensées de payer, c'est combien ma fille, va ma mère, va c'est gratuit. Une grosse dame arrive, elle porte son hijab comme un chrétien une soutane. Abla, sa fille, l'accompagne, elle a sept ans et une nouvelle poupée en plastique à la main, c'est combien pour les enfants ? Dix dinars. Abla rigole de toutes ses dents, sa poupée, vêtue d'une minijupe jaune fluo, porte des lunettes noires de star de pacotille et des bottes rouges qui montent “ comme les miennes ”, dit-elle en soulevant son pantalon. Entre sa mère en soutane et sa poupée à poil, quel sera son idéal de femme ? Peut-être hésitera-t-elle, comme cette autre Hassina qui rentre quand elle sort. Vêtue à la Anna Karenine, elle porte un lourd manteau en fourrure et ajuste son foulard sur sa tenue de ville sans hijab, un foulard hésitant entre Dieu et le diable, faisant office de hijab, il laisse quand même ses cheveux dépasser, “ je fais la prière, mais le hijab que portent les autres c'est pas une recommandation de Dieu, le foulard oui, mais ce truc qui ramasse toute la poussière non ”. Cette fille qui arrive de Chlef est lumineuse, un vrai soleil, depuis dix minutes, elle se maquille, elle se fait la totale, les lèvres, les yeux, la bouche, sa peau blanche accepte les fards comme la couleur les plumes d'un oiseau en chasse. Ses dents blanches feraient pâlir le jour. Et dis, tu as rendez-vous ? Oui, dit-elle rougissante, avec un Chaoui, un macho, j'adore la redjla, je me sens protégée, j'aime sa force et il est tendre et il est doux, je l'aime à en mourir. Je l'ai connu à la place Audin, il pleuvait ce jour-là, il pleuvait des cordes, c'est quand il pleut que les femmes vont le plus aux toilettes, fait remarquer Hassina, parce qu'elles ne tiennent pas, donc il pleuvait, reprend la beauté, elle est professeur de traduction à l'université, donc il pleuvait, il est venu sous mon parapluie et patati et patata. Hier, ils devaient fêter un an d'amour, mais voilà, il n'est pas venu. “ Il est dans la sécurité militaire ”, confie-t-elle en baissant la voix, je ne peux pas l'appeler sur son portable “ c'est interdit ”. Chez lui, c'est encore pire, il est marié, avec, en plus, la fille d'un officier qui ne veut pas divorcer, reste la polygamie, “ jamais ”. L'adultère, peut-être, mais la polygamie jamais… Dieu n'est-il pas miséricordieux ? Sur ce, il est midi passé, l'heure de pointe et de la pause pizza très tendance ces dernières années à Alger, avec mayonnaise pour Hassina, l'heure aussi de la relève. Farida s'installe à son tour derrière le comptoir, dos au mur aux miroirs, l'eau des lavabos coule à flots et, souvenir du socialisme, du temps des pénuries, un rouleau de papier cul est servi parcimonieusement aux jeunes femmes et moins jeunes qui se faufilent dans ce lieu où triomphe la jeunesse insolente. Farida, c'est un poème, grande et bâtie comme un chêne, elle possède l'agilité d'une chatte. Enfin assise, entre les serviettes hygiéniques vendues au détail, “ au cas où ”, les indispensables rouges à lèvres et fards à joues, vendus discrètement, elle soupire de plaisir. “ Je suis bien ici, aucun cassement de tête, c'est moi qui ouvre et qui ferme la boutique. ” À vingt-quatre ans, c'est son premier emploi, grâce à une m'arifa s'hiha, avant ce gros piston, elle était à la maison, spécialiste des travaux manuels, broderie, tricot et couscous en tout genre, jusqu'au jour où elle a été saisie par “ le toc ”. Le toc c'est quand ta tête te dit : va voir ce qui se passe dehors, quand tu “ te mets à détester cette routine et que tu connais la gueule de ton frère par cœur ”. Depuis, elle a appris que “ tous les gens ne sont pas les mêmes ”. Dis comme ça, cela n’a l’air de rien, mais quelle leçon de choses à l’endroit de la différence. Hassina, elle, a appris dans ce lieu où l’on se déshabille que “ les apparences sont trompeuses ”. Mais foin de philosophie, Hassina attend les confidences de Farida, sa petite sœur en agent polyvalent de la mairie d'Alger qui semble être une amoureuse problématique, son mec, il a fait quelques conneries, semble-t-il et nous n'en saurons pas plus. Hassina fait la moue, et Farida le défend, issaqqi, dit-elle, en tentant de défoncer les résistances de sa collègue et néanmoins amie. Il quoi ? “ Issaqqi, quoi tu ne connais pas ce mot, tous les Algérois l'emploient pourtant, c'est comme le couscous quand il est bien mouillé et qu'il passe dans la gorge comme une gazouz, tu vois ? ” Nous voyons. Eh bien son homme, il est comme ça, il est sucré quand il parle, il attire, il bouge… Hassina reste sceptique, elle, son idéal, c'est un catalogue de vertu, “ il doit être beau, fils de famille, m'aimer et être aimé des autres, et je ne l'ai pas encore trouvé, je n'ai trouvé que des baratineurs et ses frères ”. “ Oh, tu sais, se mêle une nouvelle arrivée qui est déjà accrochée à son bout de miroir, les filles algériennes elles se tuent pour se marier. Mais il ne suffit pas de se marier, il faut savoir comment, le mariage c'est facile, c'est tatbirtou (son organisation) qui est difficile. ” L'organisation, c'est construire une maison et la meubler comme il faut, les meubles, voilà ce qui est important dans un mariage affirme-t-elle en essuyant ses mains ultra soignées et passées au henné “ Qu'il nous protège, marmonne Farida, elle veut meubler, pfff… l'important ce sont les meubles… peut-être qu'elle couche avec. ” “ Moi, je veux me marier, explique une petite jeunette à la beauté voyou, le regard espiègle et moqueur, en biais, vous savez à la Lauren Bacall, je veux me marier parce que je suis curieuse de connaître la tête de mes enfants. ” Et, toutes trois de s’esclaffer. Elles sont arrivées en copines, bruyantes, trois petites fleurs, Hadjira 20 ans, Lilia 20 ans, Nassima 26 ans. “ Moi, si vous voyez mon ex-copain, vous n'allez pas le croire, il ne ressemble à rien, c'est une catastrophe, petit, gros et rond, mon père m'a dit, laisse tomber c'est un ballon de volley. Mais je l'aime, je meurs loin de lui. Je l'ai quitté parce qu'il me frappait. Une fois j'ai salué de la main un copain de classe, il m'a donné une de ces baffes ” et toutes d'éclater de rire, “ non mais c'est vrai, il me frappait comme un malade. Maintenant je cherche un homme pour remplir ce vide ”.
À Alger, sous le tunnel, confidences et coquetteries dans les toilettes pour dames
Meriem se fraye un chemin jusqu'à la caisse et sort de sa bourse une liasse de billets, “ étudiante, quinze dinars ”. Tu es riche, ma fille, bof, deux mille sept cents dinars par trimestre, de quoi acheter un pull ou un sac, cette fois ce sera un sac, je l'ai déjà repéré et j'y vais de ce pas avant qu'il ne me reste plus rien. Devenir riche, c'est le rêve d’Amina, il aura suffi de lui faire remarquer “ comme tu es grande ” pour qu'elle se mette à parler comme si elle avait attendu ce moment toute sa vie. Ah, ne lui parlez pas de sa taille, “ j'ai un complexe de taille ”, c'est à cause d'elle qu'elle a quitté l'école - dans sa classe, elle était la plus grande et “ j’ai eu mes seins à dix ans ” -, et que son frère lui a interdit la plage jusqu’à dix-huit ans. “ Ses copains ont dû lui dire : c'est quoi cette grosse vache, alors il ne voulait plus m'emmener avec lui à la mer. ” Alors, elle jetait du sel dans une bassine d'eau sur le balcon, et là elle se baignait quand même. Avec la mer sous le nez, matin et soir, elle porte encore la mémoire de ce corps interdit, c’est vous dire si elle a souffert. C’est peut-être pour cela qu’elle ne sait rien faire, sa mère la menace de le dire à ses futurs prétendants, elle leur dira que “ j’adore l’eau mais que je déteste faire la vaisselle, que je ne sais pas cuisiner, que je déteste repasser et même que j’ai une scoliose bien que discrète ”. Mais de toute manière elle se moque de cette mère qui la dévalorise aux yeux des passants, de toute manière elle se moque également de ces hommes qui… et là, elle s’excuse mais elle doit le dire : “ Ils ne sont plus virils et c’est devenu grave, ils n’aiment être qu’entre eux, alors je ne sais pas s’ils veulent faire comme en Occident ou si c’est à la mode mais je m’excuse ce sont tous des pédés. ” Ni frère, ni mère, ni homme, restent alors les affaires. Son rêve ? Je vous le donne en mille… Elle rêve d’ouvrir une laverie. Oui, une laverie. Elle a déposé un dossier à l’ANSEJ, une agence nationale d’aide à l’investissement, elle a fait une réévaluation du projet, des projections… Elle en rêve de sa laverie, comme d’une revanche sur l’eau interdite, elle la voit, “ soixante-quinze mètres carrés, ce serait l’idéal, je ferais même les couettes et les couvertures, si possible dans un quartier chic parce que ce n’est pas à Bab el Oued que les femmes me ramèneront leurs couvertures, je mettrais des tables, des chaises, des cacahuètes, ce sera quelque chose de semi-luxe, ouvert à toutes les catégories de personnes, je sais que ce sera très convivial et j’aurais aimé aussi y installer un distributeur de Coca, mais ce sera plus tard… ” Grande et mince, Souad, l’étudiante qui est à Alger depuis une semaine, elle étudie en France, est encore tout étourdie de ces vies jetées sur le carrelage, partagées entre femmes, “ les filles se lâchent, dit-elle étonnée, surprise, c’est la belle vie, minijupe, bottes, petits copains. Moi qui vis à l’étranger, je vois la différence entre ici et là-bas et je trouve bizarre que dans un pays musulman les filles soient aussi libertines. Même les filles en hijab, elles sont collées bouche à bouche avec leur gars qui leur touche les seins. J’ai fait un tour à la fac, après un an d’absence et je trouve que les mœurs changent très vite, les filles profitent de leur jeunesse comme si elles devaient mourir demain, elles vont à l’extrême de leurs sentiments. Je trouve ça bizarre, un rien malsain parce qu’elles font tout en cachette, c’est bizarre ”. Hassina s’impatiente, Farida fait cliqueter ses clés, le soir tombe sur la ville, un dernier regard dans le miroir, un dernier coup de brosse pour la superbe chevelure de Hassina, le portable de Farida sonne, c’est encore lui, elle retournera frémir dans ses bras, lui conseiller de s’assagir entre deux baisers volés dans le monde parallèle, souterrain, là où se cache le soulèvement des corps interdits de jour. Il est cinq heures, l’heure de la fermeture des toilettes publiques pour dames. Attendez, attendez, ne partez pas comme ça : que vont devenir les femmes d’Alger sans leur boudoir secret ? “ Eh, bien, elles n’ont qu’à faire comme nous et rentrer chez elles avant que le soir ne tombe parce que le jour est notre allié, quand les braves gens ne savent pas que, sous la lumière, il y a toujours un tunnel sombre. Elles n’ont qu’à rentrer chez elles à l’heure du couvre-feu pour les femmes. Elles n’ont qu’à rentrer chez elles, pour faire croire aux braves gens que nous sommes soumises comme des serpillières, sages comme des icônes. ”