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Premier volet de la série "regards croisés sur les révolutions arabes". En Algérie, la militante féministe, réalisatrice et poétesse Habiba Djahnine témoigne de la révolution étouffée de 1988. De l'autre côté de la Méditerranée, l'historienne Solenn Mabo évoque les femmes dans la Révolution française. Chacune gardienne de mémoire à sa manière.
Là-bas : Habiba Djahnine et l'Algérie, symboliques d'une des premières révoltes d'Afrique du Nord, celle de 1988, trop souvent oubliée et qui fait pourtant figure de "cas d'école".
Camille Leprince : Habiba Djahnine, qu'est-ce qu’évoque pour vous l'expression de "révolutions arabes", souvent utilisée pour qualifier les bouleversements de 2011?
Habiba Djahnine : Pour moi qui vient d'une tradition militante, je tiens d'abord à préciser que ce n'est pas un mot à employer à tout-va, à la légère. La révolution, c'est un changement à grande échelle de toutes les couches de la société. Ce n'est pas seulement un changement politique, un changement de gouvernants ou de régime.
Pourtant, on ne peut pas empêcher des personnes qui ont aujourd'hui dans la région le sentiment de vivre une révolution, de qualifier ainsi leur expérience. Si le mot est employé par les acteurs eux-mêmes, c'est qu'ils ont l'impression d'un basculement, d'une rupture.
Justement, en 1988, l'Algérie a vécu un basculement, que certains appellent la révolution d'Octobre 88...
A l'époque, on utilisait le terme d'Intifada, emprunté aux Palestiniens : révolte, soulèvement. Il y avait une demande forte de changement social et pourtant il n'y a pas eu de révolution. Il y a eu un remaniement, l'Etat s'est adapté et a anticipé la crise d'une certaine façon. Mais il n'a pas répondu à la colère enkystée, puisqu'il a proposé des cadres de dialogue biaisés (NDLR : jusqu'à l'interruption du processus électoral en 1991 face à la victoire du Front Islamique du Salut).
D'abord, si l'on se replace dans le monde, la fin des années 1980, c'est aussi la fin d'un système politique et économique, la fin de la Guerre Froide, la fin de toute une époque. Au début, 1988, c'était avant tout, pour nous, un moment de grande liberté d'expression, de bouillonnement.
Je l'ai vécu en tant étudiante à Alger, j'avais 20 ans. Tous les jours il y avait des assemblées, des conférences de presse. Tout le monde voulait s'exprimer, il fallait s'inscrire sur une liste d'attente pour prendre la parole ! Le mouvement étudiant était très fort, l'université était un lieu où s'inventait l'autonomie, où les choses se décidaient enfin en dehors du parti unique. L'université c'était aussi l'espace où a eu lieu la première manifestation contre la torture, dont étaient victimes les jeunes qui participaient aux émeutes justement. L'université représentait alors un lieu où l'on pouvait s'exprimer, manifester sans risque de violence.
Plus généralement, 1988 et toutes les années 1980 ont représenté un moment de réunion, où tout le monde se retrouvait ensemble : groupuscules de gauche, syndicats, rassemblements féministes, ... Mais ça touchait plus largement toute la population, au-delà des différences sociales.
On apprenait à se connaître, on se découvrait enfin. Octobre 88 n'est pas arrivé comme ça : il y a d'abord eu le printemps berbère de 1980, les manifestations des femmes contre le code de la famille en 1982, le mouvement social dans des villes de l'intérieur comme Sétif et Constantine en 1986, la grève ouvrière de 1987...
Puis le potentiel de cette violence enkystée a grandi et a explosé parce qu'il n'a pas trouvé de réponse de la part de l'Etat. A l'époque on n'avait pas de recul, on découvrait la violence au jour le jour en même temps qu'on la vivait. C'est sans doute une des différences avec certaines révolutions d'aujourd'hui qui tournent à la guerre civile : nous, nous avons vécu un antécédent, aujourd'hui on sait que ça peut basculer vers le chaos.
Pour vous, l'engagement politique a pris différentes facettes, et celle du féminisme n'est pas la moindre...
J'ai toujours fait partie de groupes féministes depuis l'adolescence où l'on militait ensemble avec mes soeurs en Kabylie. Plus tard, chacune de nous s'est retrouvées à prendre une place de responsabilité d'un groupe dans une ville différente et on se retrouvait régulièrement à travers une confédération nationale.
A l'époque du soulèvement, le mouvement féministe était très fort. Mais il remonte à plus loin encore : en 1984, les femmes étaient déjà sorties massivement dans la rue pour protester contre la promulgation du code de la famille, en particulier à Alger.
Lorsqu'il y a eu une scission au sein de la société civile et donc du mouvement féministe à propos de l'interruption du processus électoral en 1991, chaque groupe s'est un peu replié sur lui-même, plutôt que de travailler à l'échelle du pays. Mais ça n'avait pas que du mauvais : on travaillait sérieusement, on développait des projets, on prenait des risques aussi. Ma soeur Nabila était responsable du cinéclub de l'association "Cri de Femmes" à Tizi Ouzou. On travaillait ensemble sur un festival : "Regards de femmes". Bien sûr il y avait un peu de naïveté... Il en fallait pour monter un cinéclub féministe dans une Kabylie pleine de maquis islamistes !
Lorsqu'elle a été assassinée en 1995, on travaillait à la préparation de la seconde édition, "Les femmes dans les révolutions", où l'on souhaitait interroger le pourquoi du statut de la femme à notre époque, alors même que celles-ci avaient combattu aux côtés des hommes durant la Guerre de Libération et auraient dû se voir reconnaître davantage de droits. On voulait aller au-delà des clichés, partir de témoignages, de la réalité. Et puis on voulait aussi s'intéresser aux autres révolutions nationales, au Vietnam, à Cuba et explorer la place des femmes dans ces changements.
Quelle place occupent chez vous le cinéma et la poésie dans la construction d'une mémoire partagée de tous ces bouleversements et ces blessures qu'a vécus l'Algérie ?
Dans ma démarche de création, il y a toujours l'idée d'un regard apaisé, que ce soit dans le cinéma ou la poésie. C'est pour cela que j'ai attendu dix ans avant de faire le film "Lettre à ma soeur" sur Nabila.
En même temps, il y avait une guerre des images parce que, comme beaucoup d'Algériens, je ne me reconnaissais pas dans les images des médias étrangers à propos de ce qui se passait chez nous. On ne se reconnaissait pas, on ne s'y retrouvait pas. Donc mon film est né dans ce double état d'esprit : esquisser un dialogue avec ma soeur et montrer ce qu'on avait réellement vécu. Dans le cinéma, il y a pour moi quelque chose qui me pousse vers l'autre, un mouvement vers le partage.
La poésie, c'est différent, il s'agit plus d'une forme d'introspection, de quelque chose de personnel, d'intime. Cette pratique a commencé très tôt pour moi : à treize ans j'écrivais déjà. Mais il y a une différence entre l'acte d'écrire et celui de publier. J'ai attendu longtemps que mon écriture évolue pour publier. Et encore aujourd'hui, je ne publie pas tout. Il y a des choses qui ont vocation à être partagées et d'autres pas.
Quand je publie, c'est que je me sens prête à partager, comme dans mon dernier recueil Fragments de la maison, qui incarne la sortie de la sidération, l'acte de reconstruction, y compris à travers un dialogue avec des fantômes.
Le poème "Blanc est le ciel" de Habiba Djahnine, ou la quête d'un regard apaisé sur la colère du monde :
Ici : Solenn Mabo, historienne, elle aussi gardienne de mémoire à sa manière... Solenn Mabo s'intéresse plus particulièrement aux parcours des femmes dans la Révolution française. Elle nous livre son éclairage sur l'expérience révolutionnaire d'un côté et de l'autre de la Méditerranée, de 1789 à 2011.
Camille Leprince : Qu'est-ce qui caractérise, selon vous, le point de vue occidental et a fortiori français sur les événements qui se sont déroulés depuis 2011 en Afrique du Nord et au Moyen-Orient ?
Solenn Mabo : Lors des mobilisations de 2011 s'est exprimée chez nous une forme de méfiance par rapport à l'emploi du terme "révolution", comme s'il y avait un procès en illégitimité fait à ces mobilisations dont on appréhendait l'issue. A mon sens, cette méfiance est née de deux facteurs principaux : la relecture historique de notre propre révolution et un manque de culture générale sur la région et son histoire.
La grille de lecture qui prédomine ici est celle d'une révolution qui doit forcément amener la démocratisation et les libertés individuelles et politiques. En réalité, on lit ce qui se passe ailleurs à l'aune de nos référents et du modèle de la Révolution française; or ce modèle est à la fois un idéal et un mythe. Le point de vue français est fondé sur une vision très idyllique de 1789. Il y a une forme d'unanimisme autour d'un modèle dont on a aujourd'hui évacué de la mémoire commune les violences, la division, les hésitations. On a aussi oublié le fait qu'il s'agit d'un processus long qui s'est construit sur un siècle.
La Révolution française correspond à un moment fondateur de la nation, ce qui explique aussi cette relecture du passé, car la révolution libère beaucoup de forces diverses à unifier, des aspérités qu'il faut bien finir par lisser, une béance à refermer. Il y a une nécessité de construction d'une unité, d'une reconnaissance de tous dans un projet commun. Cela ne signifie pas non plus qu'il s'agit d'une mémoire manipulée, mais plutôt que la construction d'une mémoire nationale est un processus complexe.
C'est d'abord cette relecture historique, cette mythification de notre propre révolution qui est à l'origine de notre méfiance par rapport à l'utilisation du terme "révolution" mais aussi au phénomène lui-même dès lors qu'il se passe ailleurs.
En outre, il y a une méconnaissance de la profondeur de l'expérience militante en gestation avant 2011 en Afrique du Nord ou au Moyen-Orient. On connaît mal la chronologie des mobilisations. Il existe une ignorance des jalons qui ont mené aux bouleversements les plus visibles et les plus forts.
Ceci crée dans l'opinion publique internationale et dans les médias l'impression d'une irruption soudaine, alors que les événements s'inscrivent aussi dans des contextes particuliers, qui ont connu des mobilisations diverses antérieures. De cette ignorance générale découle une méfiance.
Quels points de convergence observez-vous entre les processus révolutionnaires actuels et la Révolution française ?
On retrouve, dans les deux cas, cet élan initial, cette force extraordinaire et populaire, tournée vers un objectif commun : abolir ce passé dont on ne veut plus, cet ordre établi, déjà ancien, devenu insupportable. En 1789, ce sont les privilèges de la société d'ordres, l'arbitraire de la monarchie absolue.
La mobilisation avait d'abord pour mot d'ordre la rupture, la destruction d'un ordre ancien, sans savoir ce que serait le processus de changement, ni à quel résultat il aboutirait. S'il y a relatif consensus sur ce que l'on veut détruire, il en va tout autrement du futur à construire. En 1789 c'est la question du régime politique, de la place du religieux, de la libéralisation de l'économie...
La Révolution, parce qu'elle libère des initiatives, parce qu'elle révèle et implique des acteurs jusque là inaudibles, ouvre d'immenses perspectives, de l'espoir, mais aussi une béance où vont s'exprimer des volontés multiples et parfois contradictoires. Très vite, les acteurs politiques de la Révolution française ont cherché à refermer cette béance, ils ont voulu terminer la Révolution, aussi pour éloigner les divisions et la peur de la guerre civile.
Il ne faut pas perdre de vue que les acteurs qui se mobilisent sont toujours inscrits dans un temps présent, avec peu de recul sur des questions essentielles : comment refermer la béance, mettre fin au cycle de violences, au chaos, au vide? Quel modèle mettre en place? Aujourd'hui comme hier, les révolutions créent des frustrations et des interrogations immenses chez les acteurs : est-ce en vain que l'on se mobilise? Comment le faire? Pour quel aboutissement? Mais ces questions n'invalident pas le processus en marche, ni l'élan de départ, ni la force du message "on ne veut plus de cet ordre ancien", même si dans ce "on", il n'y pas ni unité, ni unanimité sur le nouveau modèle à construire.
Effectivement, le parallèle est évident dans nombre de situations, même très différentes, que ce soit l'Algérie d'hier ou la Syrie d'aujourd'hui.
Parlons maintenant davantage de l'engagement des femmes. Quelles similitudes détectez-vous dans le regard qui a pu être posé par les observateurs, analystes ou médias occidentaux sur la place des femmes dans les révolutions d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient et le regard posé sur celle des femmes dans la Révolution française?
Il me semble que les médias ici n'ont pas occulté la mobilisation des femmes. Elle a bien été identifiée mais plutôt sur le registre de l'étonnement, en partant du présupposé que c'était hors-norme.
Ce regard étonné a fait que l'on est resté au stade de la description, où l'on a acté leur présence, mais où l'on n'a pas tellement questionné les mobiles et les modes de mobilisation. Cela me fait penser à la manière dont les historiens ont pu analyser les émeutes dans la France des XVIIème et XVIIIème siècles.
Dans un premier temps, il n'y avait guère d'intérêt pour la présence des femmes. Dans un second temps, à partir du moment où il y a eu un intérêt pour leur présence, les historiens ont porté un regard étonné. Heureusement, assez vite, les historiennes de l'histoire des femmes ont réussi à dépasser ce premier stade dans les années 1970-1980.
L'historienne Arlette Farge, par exemple, dit "La présence féminine est si évidente dans les émeutes qu'elle rend tout à fait caduque l'étonnement". Son constat repose sur une présence massive et constante des femmes dans les mouvements populaires de cette époque et nous pousse à penser qu'il faudrait plutôt s'étonner des situations où les femmes n'en sont pas ! C'est là qu'il faudrait s'interroger sur les ressorts de leur invisibilité.
Quand il y a mouvement de masse, de foule, il est pensé d'emblée au masculin : le peuple, les émeutiers, les rebelles. Quand on ne prend pas soin de définir l'identité sexuelle des événements, on a tendance à les penser d'emblée au masculin.
Le regard des observateurs est imprégné de l'idée d'une femme étrangère au politique, soit par nature, soit par norme sociale. Or le politique ne se joue pas seulement dans l'espace public et visible : la mobilisation des femmes se joue aussi à la frontière entre sphère privée et sphère publique.
Il existe une difficulté à reconnaître comme engagement politique des actions qui ne se jouent pas dans l'espace public, une difficulté à reconnaître comme politique des mobilisations qui se jouent à l'échelle de la famille, du voisinage, de la parole.
Or, par exemple, à l'échelle des mobilisations de la Révolution française, les femmes sont présentes sur les deux plans : elles peuvent être à l'avant des émeutes, jouer un rôle moteur dans les attroupements, ou bien leur mobilisation peut prendre une autre forme, à l'échelle infra-publique. Elles jouent souvent le rôle de "boutefeu", comme l'a bien montré l'historienne Dominique Godineau pour les mobilisations parisiennes : elles font circuler la nouvelle de l'émeute. La parole joue alors un rôle déterminant pour rassembler, mobiliser, galvaniser. Elles encouragent ainsi les hommes à se battre et, en fonction des situations, elles sont elles-mêmes dans l'émeute.
Votre éclairage est instructif pour penser la mobilisation des femmes dans les sociétés d'Afrique du Nord ou du Moyen-Orient car on a effectivement du mal à identifier la place de la femme en tant qu'acteur politique de manière nuancée, à cette frontière entre espace public et espace privé. De plus, cette idée de femme "boutefeu" va également à l'encontre de l'idée simpliste selon laquelle la femme est forcément gardienne de la paix, protectrice de la vie !
De manière plus générale, je pense qu'une réflexion croisée autour des mobilisations dans cette région, et dans le reste du monde, et l'approche comparée entre différentes époques nous aide à prendre du recul.
On voit bien que pour ce qu'on a appelé "révolutions arabes", l'un des enjeux de compréhension est le dépassement du stade de l'étonnement de voir des femmes se mobiliser, pour aller plus loin et questionner les modalités d'action. Or pour cela il faut renouer le fil de l'engagement des femmes dans la région au-delà de 2011 : il faut s'intéresser aux luttes ouvrières en Tunisie par exemple, ou bien au mouvement de libération national en Algérie. Il ne faut en tout cas pas considérer leur engagement dans les mouvements de 2011 comme un cas isolé.
Avez-vous un exemple précis en tête de la manière dont les médias traitent aujourd'hui la mobilisation des femmes dans cette région du monde et un cas qui puisse nous éclairer sur l'engagement des femmes à la frontière du public et du privé?
Oui, j'ai par exemple en tête le cas de Samar Badawi, une femme saoudienne, dissidente qui s'est mobilisée à la fois pour les droits de l'Homme et la liberté de la femme en Arabie Saoudite et pour la libération de son mari et son frère, deux activistes emprisonnés.
Dans un article d'un grand quotidien français, elle était présentée comme "L'effrontée de Djedda". Ce titre m'a interpellée car le mot "effrontée" a tendance à sortir cette femme du registre politique et la renverrait presque à une jeune femme insolente. Si l'on dépasse cet exemple et que l'on va plus loin, il s'agit d'un discours récurrent autour des femmes engagées dans le processus révolutionnaire français, à des caractères facilement attribués aux femmes dans le discours ambiant : l'insolente, l'indomptable, voire l'hystérique à certaines époques !
Dans cet article, le registre du titre qualifie un comportement et non pas une posture politique. Dans la suite de l'article, la femme est largement présentée à travers son engagement familial, presque privé, et non collectif, public, alors que son engagement n'est pas né de la défense de son père et de son frère. L'importance du réseau familial ne saurait discréditer l'engagement politique propre.
C'est aussi le fait d'être dissident, de résister, de vivre la clandestinité qui donne une place centrale aux réseaux familiaux, aussi parce que là encore sphères publiques et privées sont imbriquées, et cette dimension n'est pas réservée à l'engagement féminin même si c'est une composante à prendre en compte. Samar Badawi est une dissidente et une militante avant d'être une épouse et une soeur, mais bien sûr il serait artificiel de vouloir dissocier les deux, l'engagement prend racine, s'épanouit, se construit en interaction avec l'environnement qu'il soit familial, professionnel, de voisinage...
Je crois donc qu'il faut prendre en considération la mobilisation des femmes sans la restreindre au cadre privé, mais ne pas le nier non plus. Pour les militantes qui vivent dans une société patriarcale, s'engager est une démarche forte; il y a un double enjeu : un enjeu lié à la remise en cause de normes privées de la vie personnelle et familiale également porteur d'un potentiel de conflit, et un enjeu lié à la remise en cause de la donne politique.
Pour s'engager, les femmes risquent parfois un déracinement de leur milieu, elles doivent contester des normes diverses, ce qui est lourd d'enjeux, de risques. Pour certaines, le milieu familial peut représenter un terreau favorable voire un moteur pour l'engagement, lorsqu'il y a une adéquation entre les valeurs portées par la famille et celle de leur engagement, tandis que pour d'autres, il y a aura conflit entre les règles privées et leur engagement. Il peut alors y avoir conflit entre les libertés individuelles de la personne dans son réseau familial, social, de voisinage; les femmes doivent alors négocier leur engagement.
On retrouve aussi cette problématique dans ce qu'Arlette Farge appelle "le retour de l'émeute", qui se joue à plusieurs échelles. Comme je le disais auparavant, à l'échelle d'une population, il faut ressouder les gens, refermer une béance, reprendre des habitudes communes. Pour les femmes, le retour à l'ordre après les bouleversements peut être doublement compliqué voire douloureux.
En vous écoutant, je pense à l'histoire de cette femme en Egypte, qui n'avait jamais eu d'engagement spécifique, puis un jour en 2011, alors qu'elle se retrouve avec ses filles coincée dans sa voiture dans les embouteillages dus à une manifestation, elle décide de se garer et d'emmener ses enfants manifester. A partir de ce jour-là, sa vie n'a plus jamais été comme avant : elle est allée manifester régulièrement, elle a du renégocier l'organisation du foyer. Sans doute l'engagement des femmes nous dit-il beaucoup de ce que peut représenter une révolution : à la fois intérieure, sociale et politique...
Certainement, cet exemple incarne et donne de la chair à la réflexion que je tente d'esquisser !