Alopécie féminine et tabou : un combat à crâne découvert

L'alopécie touche environ 147 millions de personnes dans le monde. Plus fréquente et connue chez les hommes, elle n'épargne pas les femmes, même si cette affection reste taboue. La voici devenue sujet de conversation planétaire depuis la cérémonie des Oscars et la désormais célèbre gifle de Will Smith infligée à l'humoriste Chris Rock, suite à une blague douteuse visant son épouse souffrant de cette maladie.  
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Jada Pinkett Smith sur le tapis rouge des 94èmes Oscars, avant l'épisode de la gifle, dimanche 27 mars 2022 à Los Angeles. L'actrice de 50 ans, épouse de Will Smith, est devenue l'une des porte-voix des femmes souffrant d'alopécie aux Etats-Unis. 
©AP Photo/John Locher
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Si la scène a choqué, elle a le mérite d'avoir mis sous les projecteurs planétaires un sujet tabou : l'alopécie. Cette maladie auto-immune s’attaque aux follicules pileux (cils, sourcils, jambes, etc.) et provoque une chute plus ou moins importante des cheveux. Phénomène connu et courant chez les hommes, il est souvent tu chez les femmes. Ses causes peuvent être de plusieurs natures : hormonales, psychologiques, nutritionnelles, ou même toxiques. Certains traitements médicaux lourds, comme la chimiothérapie, entraînent des alopécies.

C'est un mouvement encore récent, mais de plus en plus de femmes, et notamment célèbres, ont décidé d'assumer et de ne plus se cacher, allant parfois jusqu'à se raser la tête et à se montrer publiquement le crâne nu.
 

Jada Pinkett Smith, le crâne rasé assumé

Jada Pinkett Smith s'en est fait la porte-voix aux Etats-Unis. C'est en 2018 que l'actrice, mariée à Will Smith, parle pour la première fois publiquement de son alopécie: "C'était l'un de ces moments de ma vie où je tremblais littéralement de peur", a-t-elle déclaré dans son programme Red Table Talk
 
Vous savez tous que je lutte contre l’alopécie. J’ai pensé que je devais simplement partager ça avec vous pour que vous ne posiez pas de questions.
Jada Pinkett Smith, actrice
"C’était terrifiant quand ça a commencé. J’étais sous la douche un jour et j’avais carrément des poignées entières de cheveux dans les mains. Je me suis dit que je devenais chauve. C’est la première fois de ma vie que j’ai littéralement frémi de peur", raconte-t-elle.
 
Voir l'émission dans laquelle Jada raconte le jour où elle a décidé de se raser la tête  (en anglais) ►
Au départ, elle décide de cacher son crâne sous des turbans. Puis ses pertes de cheveux devenant de plus en plus importantes, elle prend la décision de se raser la tête et d’assumer complètement son apparence. "Maintenant, je ne peux qu’en rire. Vous savez tous que je lutte contre l’alopécie. J’ai pensé que je devais simplement partager ça avec vous pour que vous ne posiez pas de questions", a-t-elle expliqué. Elle ne souhaitait alors pas que les gens s’imaginent qu’elle avait "subi une opération au cerveau ou quelque chose de ce style". "Non, je n’ai pas de cancer et ne suis pas de chimio, cette alopécie et moi allons devenir amies", affirmait-elle sur son compte Instagram suivi par des millions d’internautes. "Les gens sont atteints de cancers, ont des enfants malades... Une force qui nous dépasse enlève des choses aux gens tous les jours, et si elle veut prendre mes cheveux, j’estime que ce n’est pas beaucoup", avait-elle aussi tenu à ajouter dans son émission.
 On comprend donc sa réaction lorsque l'humoriste Chris Rock a évoqué son crâne chauve lors de la cérémonie des Oscars 2022. Il lance, grand sourire aux lèvres, "Jada, à quand armes égales ?", faisant allusion au film de Ridley Scott dans lequel Demi Moore, l'actrice principale, apparait le crâne rasé. La cérémonie est diffusée en direct partout dans le monde. Chacun.e peut alors voir Jada Smith lever les yeux au ciel, visiblement agacée. Pris dans l'ambiance, son mari au début semble rire à la blague puis son sang ne fait qu'un tour. Il se lève, monte sur scène et gifle l'animateur. De retour à son fauteuil, il crie "Ne mentionne plus jamais le nom de ma femme !", phrase qu'il répète plusieurs fois, ponctuée d'insultes. Une réaction qu'il dira regretter quelques instants plus tard lorsqu'il reçoit son Oscar, en larmes, et expliquant "L'amour fait faire des choses folles".  

Alopécie : la montrer, en parler

Cette scène a suscité une vive émotion chez d'autres femmes souffrant elles aussi d'alopécie, qui ont tenu à en parler sur les réseaux sociaux. "Parlons de ce que c'est que de vivre avec l'alopécie", a lancé sur Twitter l'élue démocrate Ayanna Pressley, qui a révélé en 2020 les souffrances et le mal-être que provoquaient chez elle cette affection. Dès l'issue de la cérémonie, la sénatrice avait félicité Will Smith pour son geste sur Twitter, avant d'effacer ensuite son message. "Bravo à tous les maris qui défendent leurs femmes atteintes d'alopécie face à l'ignorance et aux insultes du quotidien", avait-elle écrit.

[Parlons de ce que c'est que de vivre avec l'#alopécie. De ces moments de vulnérabilité particulièrement difficiles que traversent nos familles. Message d'amour pour ceux qui nous soutiennent lorsque nous sommes au plus bas. Ils nous voient tels que nous sommes.]

Ces dernières années, plusieurs actrices se sont exprimées sur l'impact causé par la perte de leurs cheveux, qu'elle soit due au stress, à une affection post-partum ou au Covid-19.

Je n'ai jamais montré mes cheveux naturels. Je voulais désespérément que les gens pensent que j'étais belle.
Viola Davis, actrice

Viola Davis, première actrice noire à avoir remporté un Oscar, un Emmy Award et un Tony Award, et célèbre héroïne, entre autres, de la série Murder, elle aussi a révélé avoir souffert d'alopécie pendant une grande partie de sa vie, essayant de le cacher avec des postiches. "J'avais une perruque que je portais à la maison, une autre que je portais lors d'événements, encore une que je portais pour le sport. Je n'ai jamais montré mes cheveux naturels. Je voulais désespérément que les gens pensent que j'étais belle", a-t-elle déclaré dans les médias. C'est ainsi, qu'aux Oscars 2012, elle expose pour la première fois ses "cheveux naturels". Et si aujourd'hui elle porte encore des perruques pour des rôles ou des séances photo, elle ne les porte plus dans sa vie de tous les jours. Ce qui compte, dit-elle dans un entretien à Vulture, c'est que "c'est une option… alors que ce n'était jamais une option. J'avais quelque chose à cacher."

"J'ai lutté contre la perte de cheveux pendant toute ma vie d'adulte, écrit de son côté l'actrice Ricki Lake sur les réseaux sociaux en montrant ses cheveux rasés. Ça a été gênant, douloureux, déprimant, solitaire. Il y a eu quelques fois où j'ai même eu des envies de suicide"

Il y a eu quelques fois où j'ai même eu des envies de suicide
Ricki Lake, actrice

"Je me suis habituée à porter des extensions, au cours de la dernière décennie. De tous les types, je l'ai tous essayées, celles qui sont collées, les bandes adhésives, les clips, puis un prothèse capillaire que je détestais. (...) J'ai essayé des perruques à quelques reprises mais je n'ai jamais pu m'y habituer. Tout semblait faux et j'étais super gênée et mal à l'aise. J'ai consulté de nombreux médecins, j'ai reçu des injections de stéroïdes dans la tête, j'ai pris toute sorte de nutriments, puis d'autres. Mes cheveux repoussaient puis je les perdais à nouveau. C'était affolant.", précise l'actrice sur son compte instagram. 

Récemment, l'actrice Alyssa Milano a dit avoir perdu ses cheveux après avoir contracté le Covid-19 : "C'est difficile, surtout quand on est actrice et qu'une grande partie de son identité tient à des choses comme des cheveux longs et soyeux""Ce n'est pas glamour, mais c'est la réalité : je dois prendre de longues douches pour ramasser  tous les cheveux qui tombent et les jeter pour ne pas boucher la baignoire. Pourquoi les actrices n'en parlent-elles jamais ?", confiait Selma Blair (Sexe Intentions, ndlr) au magazine People en 2011 peu après son accouchement.

Discrimination

"L'alopécie n'est pas une blague", a réagi dans un communiqué la Fondation nationale de l'alopécie aux Etats-Unis, basée en Californie. "Il s'agit d'une maladie auto-immune qui entraîne une perte de pilosité sur le cuir chevelu, le visage et parfois d'autres parties du corps", détaille la Fondation.

La meilleure chose que nous puissions faire est de les soutenir et de lutter contre la stigmatisation et la discrimination qui persistent.
Nicole Friedland, présidente d'Alopecia Fundation

"Elle peut avoir un impact émotionnel, psychosocial et mental important... De nombreuses personnes font face à la douleur, et la meilleure chose que nous puissions faire est de les soutenir et de lutter contre la stigmatisation et la discrimination qui persistent", insiste Nicole Friedland, la présidente d'Alopecia fundation .

L’alopécie est légèrement plus fréquente chez l’homme que chez la femme, nous apprend le site de l'Association canadienne de dermatologie. Mais la chute de cheveux peut également survenir pour d’autres raisons, notamment à la suite d’une intervention chirurgicale importante, d’un accouchement ou d’une autre forme de stress physique ou psychologique. Elle peut aussi être causée par une maladie sous-jacente, telle que le lupus, une carence en fer, un dérèglement hormonal ou l’utilisation de certains médicaments. Près de 40 % des femmes de 50 ans montrent des signes de perte de cheveux. 

En France, on compte entre 60 000 et 120 000 personnes atteintes. ​16% des femmes souffrent d’alopécie, contre 50% des hommes. 

Ce n'était pas vraiment moi, et le jour où j’ai arrêté je me suis vraiment sentie mieux.
@paulinealopecia

Une jeune militante a créé un compte Instagram @paulinealopecia pour parler de cette maladie dont elle souffre depuis l'âge de 7 ans. Un changement qui la bouleverse et qu'elle camoufle sous un bonnet au quotidien à l'école, comme elle le confie dans un entretien à Marie-Claire. Jusqu'au déclic, lors d'un voyage scolaire en première, elle décide de ne plus se cacher :"Ce n'était pas vraiment moi, et le jour où j’ai arrêté je me suis vraiment sentie mieux. En fait, j’en avais juste ras-le-bol de vivre de cette manière, des remarques et de devoir me cacher". Depuis la jeune femme, qui se présente comme militante queer et féministe se montre à crâne découvert et milite, entre autres, contre ce tabou. "J'aimerais rendre cette maladie plus visible, elle est encore trop peu connue ou trop souvent associée à un cancer", explique-t-elle dans un témoignage publié sur aufeminin.com.

Les cheveux, sujet "sensible" chez les femmes noires ?

Certains pourraient s'étonner que Chris Rock ait moqué les cheveux ras de Jada Pinkett Smith aux Oscars. L'humoriste connait pourtant bien le sujet, sujet "sensible" s'il en est. En 2009, il co-réalisait Good Hair, un documentaire qui abordait la relation complexe entre les femmes noires (mais aussi des hommes, citant l'exemple des "brushings" à répétition du chanteur James Brown, ndlr) et leurs cheveux. Il y dénonçait aussi, démonstration scientifique et expérience chimique à l'appui, le marché des produits capillaires de lissage et de défrisage hautement toxiques destinés aux cheveux crépus. L'idée de ce film lui était venue d'une de ses filles qui lui demandait pourquoi elle n'avait pas de "beaux cheveux".

Une étude publiée en juillet 2019 dans le Journal of the American Academy of Dermatology a révélé que les Afro-Américain-e-s souffraient d’alopécie à un taux plus élevé que d’autres, comme le rapporte le Huffpost. Selon les chercheurs, une combinaison de facteurs génétiques et environnementaux pourraient être en cause.

"Mon alopécie n'est pas un punchline"

Depuis l'épisode des Oscars, le "buzz" se poursuit, bien au-delà du tapis rouge et des paillettes des stars hollywoodiennes, et pas seulement aux Etats-Unis. Partout, sur les réseaux sociaux, l'alopécie est devenue LE sujet dont on parle.
 
Ce que vous pensez être une opinion ou une plaisanterie sur une maladie peut être une condamnation à mort pour quelqu'un qui en a marre d'être jugé.
Elisa Chercop, sur Facebook
Et au final, rien n'est risible dans cette séquence, comme l'exprime cette jeune femme, elle-même victime de cette maladie. Elle s'appelle Elisa Chercop, et elle est étudiante maltaise.

Voici ce qu'elle a posté sur sa page Facebook, et ses quelques mots suffisent à résumer ce qui se joue loin des caméras : "Aujourd'hui, l'alopécie est sous les projecteurs. J'en profite donc pour faire un peu de sensibilisation. L'alopécie n'est peut-être pas une maladie mortelle, mais c'est quelque chose qui dure toute la vie et qui est visible pour tous. Devoir vivre constamment en étant regardé bizarrement par des gens, grandir victime d'intimidation, recevoir des commentaires d'adultes et d'enfants, les gens faisant des suppositions sur moi en fonction de mon apparence... Ce n'est pas facile. Alors quiconque pense que la blague "GI Jane 2" n'était qu'une blague innocente, ouvrez les yeux et grandissez. Ce que vous pensez être une opinion ou une plaisanterie sur une maladie peut être une condamnation à mort pour quelqu'un qui en a marre d'être jugé. Une fille de 12 ans atteinte d'alopécie vient de perdre la vie à cause de blagues et d'actions comme celles-ci. Et Jada Pinkett Smith vient tout juste de se réconcilier avec son alopécie. Ce cycle d'intimidation doit cesser. Il ne faut pas beaucoup d'efforts pour simplement s'abstenir de faire certains commentaires, mais cela signifie bien plus pour nous".
 
Dont acte.