Aminatou Haidar, la "Gandhi du Sahara occidental", prix Nobel alternatif 2019

La cinquantaine passée, Aminatou Haidar n'est pas prête à lâcher son bâton de pèlerin. Après avoir connu la prison et mené plusieurs grèves de la faim, l'activiste continue de prêcher la paix et l'indépendance du Sahara Occidental. Et c'est forte du prix Livelihood, le prix Nobel alternatif, qu'elle va pouvoir poursuivre sa mission, comme elle l'a confié à Terriennes.
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Aminatou Haidar affichant le V de la victoire après s'être vu décerner le prix Nobel alternatif, le prix Livelihood à Stockholm. (Photo prise le 29 novembre 2019)
©Wolfgang Schmidt/Right Livelihood Foundation
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Aminatou Haidar se dit fière d'être comparée à Gandhi. Et malgré les mauvais traitements et les périodes d'emprisonnement qu'elles a connus depuis sa jeunesse, elle continue à prêcher la non-violence. L'important pour elle est de poursuivre son combat pour la liberté de son peuple au Sahara occidental.

right live lihood award

Créé en 1980 par Jakob von Uexkull, le prix est présenté chaque année début décembre. La récompense financière (équivalente à 250 000 €) est partagée entre les lauréats, habituellement quatre.

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Un engagement salué par le prestigieux prix qui lui a été décerné en septembre 2019 : le prix Livelihood, autrement connu sous le nom de prix Nobel alternatif. Il s'agit de l'un des prix les plus prestigieux dans le domaine des droits humains.

Aminatou Haidar est née le 24 juillet 1966 (ou 67) à Laâyoune, au Sahara occidental. Après avoir obtenu un baccalauréat en littérature moderne, elle devient fonctionnaire municipale à Boujdour. Divorcée, elle vit aujourd'hui dans sa ville natale, avec ses deux enfants, Mohammed et Hayat.

Son premier fait d'armes remonte à 1987. Elle a à peine 20 ans lorsqu'elle participe à une manifestation en faveur d'un référendum pour l'indépendance du Sahara occidental. Arrêtée, elle est portée disparue pendant pendant quatre ans, avant d'être libérée en 1991. Ces années de détention dans des conditions très dures lui vaudront, une décennie plus tard, d’être indemnisée par l’Initiative Équité et Réconciliation (IER), mise en place par le roi Mohammed VI : 480 000 dirhams au total (42 000 euros).

A nouveau emprisonnée en 2005 à la suite d'une manifestation violemment réprimée, elle est libérée un an plus tard grâce à la pression des Etats-Unis, et autorisée à se rendre en Espagne. L'activiste en profite pour mener une vaste tournée en Europe, aux Etats-Unis et en Amérique latine, où elle reçoit plusieurs prix dans le domaine des droits de l'Homme.

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Au centre, Aminatou Haidar, lors de la cérémonie organisée à Genève dans le cadre des prix Livelihood, le 29 novembre 2019.
©Wolfgang Schmidt/Right Livelihood Foundation

Grève de la faim

Expulsée vers les Canaries (Espagne), à Lanzarote, le 13 novembre 2009, pour avoir refusé de remplir la case « nationalité » sur sa fiche de débarquement à son arrivée à Laayoune et inscrit « Sahara occidental » comme lieu de résidence, Aminatou Haidar entame alors une grève de la faim. Celle-ci  va durer 31 jours, jusqu'au moment où Rabat l'autorise à rentrer chez elle.


"Fin d'une affaire qui, pendant plus d’un mois, aura passionné les médias, crispé un peu plus encore les relations entre les deux grands voisins du Maghreb, mis le gouvernement espagnol au bord de la crise de nerfs, mobilisé jusqu’à l’hôte de l’Élysée et rappelé au monde l’existence d’un conflit oublié", écrit le site Jeune Afrique.

Au cours de cet épisode, plusieurs ONG prennent fait et cause pour la militante sahraouie, comme Amnesty International ou Human Right Watch, tout comme des personnalités célèbres, politiques ou de la société civile.

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Aminatou Haidar lors d'une conférence à l'Université de Zurich, novembre 2019.
©Wolfgang Schmidt/Right Livelihood Foundation

Terriennes : Pourquoi vous êtes-vous engagée dans la lutte pour l’indépendance et l’autodétermination du peuple sahraoui ?
Aminatou Haidar :
Je me suis engagée parce que je suis convaincue de la légitimité de ma lutte et de celle de mon peuple pour la liberté, la dignité et l’indépendance. C’est une lutte commune contre l’occupation illégale du territoire sahraoui par le Maroc. Je me suis aussi engagée car je suis une victime directe du régime marocain ayant subi de nombreuses représailles, notamment des détentions forcées. Le Maroc a malheureusement occupé le Sahara Occidental avant le retrait des troupes coloniales espagnoles du territoire sahraoui. C’était une complicité absolue entre le Maroc, l’Espagne et aussi la Mauritanie à cette époque, via l’accord de Madrid. Ils se sont partagés le Sahara Occidental comme une tarte. En 1979, la Mauritanie y a renoncé et reconnue la souveraineté de la république arabe du Sahara Occidental.

Comprenez-vous le silence, voire l’indifférence de la communauté internationale ?
Aminatou Haidar : Ce silence malheureusement est lié aux intérêts économiques et stratégiques qu’ont de nombreux pays avec le Maroc. Je reproche à la communauté internationale de ne pas faire appliquer les résolutions de l'ONU et les décisions de justice en faveur du droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. C'est à cause de la complicité de quelques puissances internationales, dont l'Espagne et la France. Sans l'appui de l'Europe, le Maroc ne peut pas piller, exploiter les ressources naturelles. Il ne peut pas continuer aussi son occupation et nier toutes les résolutions du Conseil de sécurité.

Vous avez plusieurs fois été la cible d’attaques, d’intimidations, d’emprisonnement, de menaces de mort. Est-ce le cas pour vos compatriotes engagés dans le même combat ?
Aminatou Haidar : Toute personne qui revendique le respect de ses droits, ose croire à la liberté et au droit de détermination du peuple sahraoui et se positionne contre l’occupation marocaine n’a qu’un seul sort : la détention arbitraire après des procès uniques et sans appels. Les détentions arbitraires continuent. Les cas les plus récents sont ceux d’un avocat et d’une femme de 35 ans, condamnés il y a quelques jours devant un tribunal au Sahara Occidental. Il y a aussi le cas d’un jeune étudiant sahraoui condamné à plusieurs années de prison devant un tribunal à Marrakech. Les manifestations sont toujours interdites et réprimées. Les observateurs internationaux n’ont pas le droit d’accéder au territoire sahraoui. C’est bien sûr un moyen pour le Maroc d’occulter la réalité dans laquelle se trouve la population sahraouie.

Justement, quel est le quotidien des populations sahraouies ?
Aminatou Haidar : Il y a une marginalisation et une répression des populations sahraouies qui représentent une minorité dans leur propre patrie et ne bénéficient ni de leurs ressources naturelles, ni de leurs droits socio-économiques, confisqués par le Maroc. Les droits culturels sont aussi menacés.

Avez-vous peur pour votre sécurité ?
Aminatou Haidar : Je suis comme les autres défenseurs des droits de l’homme. Nous sommes toujours menacés et courons toujours des risques importants mais nous n’avons pas peur parce que nous croyons à la légitimité de notre combat et sommes déterminés. Je vais donc poursuivre ma lutte pacifique. Je n’ai pas l’intention d’abandonner ni mon peuple ni ma lutte, même si j’ai conscience des risques encourus avec ma famille.
 

[Quatre lauréat.e.s se partagent le Prix Nobel alternatif, Aminatou Haidar (Sahara occidental), Guo Jianmei (Chine), Greta Thunberg (Suède) and Davi Kopenawa / Hutukara Yanomami Association (Brésil)]

Pour votre action non-violente et résolue, vous êtes la nouvelle récipiendaire du prix Right Livelihood Award. Qu’attendez-vous de cette récompense ?
Aminatou Haidar :
C’est un très grand honneur d’être désignée par un jury international pour être la lauréate de ce prix célèbre et important. Cette récompense confère une légitimité à ma lutte et à celle du peuple sahraoui pour l’autodétermination. J’en suis donc très honorée car il va m’ouvrir d’autres portes et me permettre de mieux faire connaître la situation dans laquelle se trouve mon peuple pour un respect de ses droits légitimes. J’espère de tout mon cœur que le prix contribuera à la recherche d’une solution pacifique qui pourra mettre fin à nos souffrances

Le Sahara occidental, une impasse diplomatique et politique ?

Etendue désertique de 266 000 km2, riche en phosphates et bordée d'eaux poissonneuses, le Sahara occidental a été annexé par le Maroc en 1975, après le retrait de l'Espagne, puissance coloniale. Ce coup de force a déclenché une guerre avec le Front Polisario, mouvement indépendantiste soutenu par l'Algérie qui a duré jusqu'au cessez-le-feu décrété en 1991. L'ONU avait déployé une mission de casques bleus pour observer la trêve et préparer un référendum sur l'indépendance du territoire, qui n'a jamais pu être organisé.


L'ONU continue malgré tout de maintenir sur place 240 membres de la Mission des Nations unies pour l'organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso).

Après une longue interruption, le dialogue sous l'égide de l'ONU entre le Maroc, le Front Polisario, l'Algérie et la Mauritanie a repris lors d'une table ronde en Suisse en décembre 2018, suivie d'une deuxième en mars 2019, sans qu'aucune percée ne soit enregistrée.
Rabat considère le Sahara occidental comme partie intégrante du royaume et a clairement affirmé qu'il ne tolèrerait aucun changement de statut au-delà d'une simple autonomie.

Sur le site TV5monde Afrique >Résolution de l'ONU sur le Sahara Occidental : l'Algérie et le Maroc satisfaits

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