Fil d'Ariane
Amirah Sackett est l’une des rares musulmanes américaines danseuse de hip-hop. Elle crée en 2011 « We’re muslims, don’t panic ». Un spectacle qui vise à lutter contre l’islamophobie grandissante aux Etats-Unis, surtout depuis l’élection de Donald Trump. De passage à Paris, elle était l’invitée de Lallab, une association contre les préjugés sur les femmes musulmanes. Rencontre
A l’INALCO (Institut national des langues et civilisations orientales) à Paris, la jeune femme était invitée, à la mi-mars 2017, pour une représentation et pour raconter son parcours. Un débat organisé par l’association parisienne Lallab.
Créée en 2016, elle vise à faire entendre les voix des musulmanes et à lutter contre les stéréotypes. Une initiative portée par Sarah Zouak, co-auteure d’un documentaire réalisé à l’étranger, le « Women sense Tour » sur les féministes de l’islam.
« Franco-marocaine, musulmane, féministe, je pensais que devais choisir entre mes multiples identités. Depuis mon adolescence, je cherchais des femmes musulmanes qui pourraient me servir de modèles. Mais on ne les voit jamais. Ce sont des femmes comme Amirah, qui nous inspirent, que nous invitons dans notre association », explique la fondatrice.
Accompagnée par des danseurs ce soir là, c’est pourtant avec deux autres amies de Minneapolis d’origine somalienne, qu’Amirah Sackett, dont la famille vient d'Egypte, a créé « We’re muslims don’t panic » (Nous sommes musulmans n’ayez pas peur). Un show né il y a six ans, dans lequel on voit trois jeunes femmes danser avec énergie, habillées en niqab et baskets.
J’ai pris le niqab, que les médias utilisent souvent pour symboliser une femme musulmane oppressée, afin de lui donner un autre aspect
Amirah Sackett, danseuse hip-hop
A l’origine de ce projet, un incident islamophobe dans un centre commercial. La chorégraphe décide alors d’utiliser « sa culture », « son moyen d’expression » qu’est le hip-hop, pour changer les mentalités et mieux faire connaître l’islam.
Le voile intégral porté pendant le spectacle, Amirah Sackett le revendique simplement comme un choix artistique. « J’ai découvert en 2005 une statue d’une femme en abaya qui portait des chaussures Adidas blanches et des graffitis sur ses vêtements. Je m’en suis inspirée pour mon spectacle. En tant qu’artiste je veux jouer avec les images et l’effet produit sur scène. C’est un habit qui effraie beaucoup les gens, mais je ne l’ai pas choisi pour choquer. Je voulais juste donner une plus belle image de ces femmes qui le portent. J’ai pris le niqab, que les médias utilisent souvent pour symboliser une femme musulmane oppressée, afin de lui donner un autre aspect », se justifie la chorégraphe, qui redoutait tout de même les réactions du public et les accusations de prêche lors de son premier spectacle.
En dehors de la scène, Amirah Sackett se rend également dans des lycées et universités des Etats-Unis. Elle y poursuit son combat contre l’islamophobie, qu’elle mène avec une ardeur décuplée depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. C’est notamment dans l’Etat du Nebraska, l’un des fiefs du président républicain, que la jeune femme s’est rendue récemment. Son allié pour parler de l’islam ? Le hip-hop bien entendu. « J’ai utilisé le hip-hop car les jeunes peuvent s’identifier, c’est quelque chose de fun. J’ai grandi en Amérique, et moi aussi j’ai dansé et chanté sur les mêmes chansons de rap. Les choses que nous avons en commun sont bien plus grandes que nos différences. J’étais heureuse de savoir que même dans un Etat où la plupart de leurs parents ont voté pour Trump, les élèves posaient des questions pertinentes, étaient ouverts et m’écoutaient avec attention », témoigne-t-elle avec beaucoup d’émotion.
Mais Amirah Sackett n’en demeure pas moins inquiète pour les femmes musulmanes aux Etats-Unis, surtout pour celles qui portent le voile et qu’elle désigne comme les premières « cibles ». Avant son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump avait déjà provoqué leur colère. En juillet 2016, un avocat pakistanais au côté de sa femme, avait dénoncé lors d’un discours les propos islamophobes du candidat républicain. Le couple avait évoqué le sort de leur fils, Humayun, mort au combat en 2004 en Irak. Donald Trump avait ensuite déclaré : « Si vous regardez sa femme, elle se tenait debout là-bas, elle n’avait rien à dire. Elle n’avait probablement pas le droit de dire quoi que ce soit ». Sur Twitter, de nombreuses musulmanes avaient alors réagi à ces propos, sous le hashtag, mot dièse, #CanYouHearUsNow.
Au lendemain de son élection, plusieurs agressions contre des femmes voilées ont été recensées, notamment à l’université de San Diego et San José en Californie mais aussi dans le métro de New-York. « Nous sommes protégées par le premier amendement de la Constitution. Mais comme le président semble changer les lois de façon très rapide, c’est assez effrayant. Donald Trump n’est pas vraiment de notre côté, ni en faveur des droits des femmes en général », souligne la danseuse.
Avant, à la mosquée, je n’osais pas dire que j’étais danseuse hip-hop
Amirah Sackett
Loin des polémiques de son pays, Amirah Sackett, accompagnée par une autre danseuse non voilée et par un ami danseur, ont choisi de faire une démonstration de « popping » au public parisien. Ce style de danse de la côte ouest des Etats-Unis se compose principalement de mouvements saccadés effectués par les bras.
Les paroles de la chanson surprennent l’oreille. Ce sont les vers d’un poème d’amour que l’on peut reconnaître sur cette musique rythmée. Grande lectrice du poète soufi Rumi, Amirah Sackett voulait mettre en avant ce mystique musulman du 13ème siècle. Elle tenait également à ce que ses paroles soient chantées par une femme.
Un mélange d’hip-hop et d’islam qui n’est pourtant pas rare selon la professeure de danse, qui cite des chanteurs comme Nas, Mos Def, Rakim et Brother Ali, dont les textes sont empreints de références religieuses. Une identité qu’Amirah Sackett revendique elle aussi. Pourtant, cela n’a pas toujours été facile de s’assumer en tant que musulmane et danseuse hip-hop. « Pendant longtemps, quand j’allais à la mosquée, je disais aux gens que j’enseignais l’histoire de l’art. Je ne disais jamais que j’étais chorégraphe », confie-t-elle. La danse et la musique sont encore jugées comme incompatibles par certains musulmans.
Aujourd’hui, elle possède sa chaîne Youtube où elle poste ses vidéos de danse. En 2010 elle a également supervisé le « B-Girl Be », un festival international pour les femmes danseuses de hip-hop dans le Minnesota. Elle encourage aussi les femmes musulmanes de Chicago à danser sans se préoccuper des remarques faites à leur encontre. « J’ai réalisé qu’il nous fallait dans ma ville, un lieu pour se réunir et danser. J’ai donc créé des espaces rien que pour elles, afin qu’elles ne soient pas gênées par la mixité. On ferme les fenêtres, les portes, nous enlevons nos hijabs et nous nous amusons », raconte t-elle.
Pendant ses cours, Amirah souhaite aussi faire passer des messages aux jeunes filles. Habituées aux clips américains de l’industrie du rap où les danseuses prennent des poses lascives, elles arrivent bien souvent avec une image erronée du hip-hop. « C’est beaucoup plus inspirant et valorisant pour elles d’apprendre les mouvements du hip-hop que je pratique, plutôt que de se trémousser comme Rihanna. Quand je leur montre les bases à l’origine du hip-hop, elles se rendent compte que c’est 'fun'. Ce n’est pas une danse où il suffit de bouger ses fesses. Cela demande un gros effort physique, il faut s’entraîner dur. »
Et pas question de se laisser aller. Dès le lendemain, la professeure organisait un cours privé avec les jeunes femmes de Lallab. Pendant deux heures, au cœur de Paris, dans un centre culturel dédié au hip-hop, à deux pas de l’hôtel de ville et de la Seine, une quinzaine de filles ont pu profiter des conseils de la chorégraphe.
Pour Sarah Zouak, les rencontres inspirantes de ce type dans son association, portent toujours leurs fruits sur le long terme. Et souvent plus vite que prévu, comme elle l’annonce, ravie : « Certaines filles présentes lors du débat étaient tiraillées entre leur foi et la danse. Mais à l’issue de ce cours, elles ont décidé de créer une troupe de hip-hop à Paris ! ».
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