Fil d'Ariane
« Ce n’est pas une criminelle ». Le message de la nouvelle campagne d’Amnesty international adressé au gouvernement irlandais est clair : arrêter d’incriminer les femmes qui souhaitent avorter dans un pays où cet acte médical relève d'une « infraction pénale ». Amnesty appelle l'Irlande à respecter leur droit à la vie, à la santé, à l’information,…
Dans son dernier rapport, publié le 9 juin, Amnesty international convoque le droit international et les droits de l’Homme pour faire pression sur l’Irlande où une femme qui avorte (et toute autre personne qui l’y aiderait comme son médecin) encoure jusqu’à 14 ans de prison.
- 10 à 12 femmes et jeunes filles résidant en Irlande se rendent chaque jour en Angleterre ou au Pays de Galles pour avorter. Depuis 1971, elles seraient au moins 177 000 à avoir fait ce douloureux voyage. Ces chiffres ne prennent pas en compte celles qui se rendent dans d’autres pays européens.
- 14 ans de prison pour une femme qui avorte ainsi que pour toute personne qui l’y aiderait.
-1000 à 1500 euros nécessaires pour pratiquer un avortement à l’étranger.
(source Amnesty International)
L’avortement y est totalement illégal. En cas, par exemple, de malformation grave ou mortelle du foetus, d’inceste, ou de viol, impossible pour les femmes d’avorter sauf dans les cas très restreints de danger pour la santé de la mère ou de risque de suicide.
Cet infléchissement précis de la législation irlandaise fait partie de la loi 2013 votée après la mort de Savita Halappanavar qui avait scandalisé le pays. Cette jeune femme s’était heurtée à un refus d'interruption volontaire de grossesse alors qu’elle était en train de faire une fausse couche à 17 semaines de grossesse.
Avec ce nouveau rapport, Amnesty plaide pour une modification plus forte de la législation de ce pays européen où l’omerta règne sur l'avortement, comme en Pologne ou à Malte, autres pays très catholiques, comme l'Irlande.
Car c’est un silence pesant, ostracisant pour les femmes, qui entoure l’IVG en Irlande. Quelle que soit la raison pour laquelle une femme veut ou doit arrêter sa grossesse (santé, malformation du foetus, viol, difficultés économiques ou sociales, ..), cela reste très tabou et mal considéré. Les femmes se retrouvent souvent seules face à leur situation, très isolées, peu conseillées, mal prises en charge jusque dans l’hôpital.
Lupe, 39 ans, qui témoigne dans le rapport d’Amnesty, nous raconte les difficultés rencontrées avec le corps médical pour son avortement. « La pire chose » qui lui soit arrivée. Espagnole, elle arrive en Irlande en 2011 avec son mari et son fils, et tombe enceinte un an après. Elle découvre à 14 semaines de grossesse qu’elle porte un embryon mort, en fait, depuis deux mois et qui n'avait pas été décelé lors d'une précédente échographie en dépit de ses saignements.
Même si le médecin reconnaît le décès de son foetus, lui exprimant ses condoléances, il lui dit ne pas pouvoir l’aider. « J’ai eu peur, raconte Lupe. C’était évident qu’ils n’allaient rien faire, même si j’avais un problème, car c’est dans ce même hôpital qu’ils ont laissé mourir Savita. Ils n’avaient aucune compassion. Ils s’en foutent des femmes. Ils me voyaient comme un objet, un incubateur défectueux. Pour eux, la seule chose qui comptait était le foetus alors qu’ils savaient parfaitement qu’il était mort. » En témoignant auprès d'Amnesty et des journalistes, elle dit avoir eu besoin « égoïstement de rendre justice » pour exorciser aussi, peut-être, ce traumatisme : « perdre un bébé c’est très très dur mais, en plus, être traitée de cette manière, c’est encore pire. Je ne me suis pas sentie humaine », nous confie-t-elle.
En plus d’être mal prise en charge du fait de l’illégalité de l’acte subi, les femmes sont surtout très mal informées sur les démarches à suivre, les options qui s’offrent à elles.« Celles que nous recevons ont beaucoup de questions sur le sujet : ''est-ce que cela peut se faire en un jour ? Comment me sentirais-je après ? Est-ce que je vais saigner ? Combien de temps vais-je saigner ?'' Ce sont des questions de base auxquelles nous répondons », raconte Alison Begas, présidente de l’association Dublin Well Woman.
Elle y reçoit et conseille des femmes, entre 18 et 30 ans pour la majorité, même si certaines sont plus jeunes, d’autres plus âgées. « Elles savent que nous leur parlerons calmement et ouvertement d’avortement, d’adoption, d’éducation des enfants. Nous ne cherchons pas à les convaincre de choisir parmi ces trois options. Nous ne les jugeons pas. Nous les informons davantage, si elle le demande, sur l’avortement pratiqué dans d’autres pays. »
Lupe, comme d'autre, a donc dû partir. Face à l’inertie des médecins, elle est retournée avorter dans son pays, en Espagne. Comme elle, en bateau ou en avion, des centaines de femmes quittent l’Irlande où elles résident pour bénéficier d’une IVG dans un cadre médical à l'étranger. Entre 10 à 12 femmes vont, chaque jour, rien qu'Angleterre ou au Pays de Galles. D'autres vont en Ecosse, aux Pays-Bas, ... Deux réalisatrices que nous avions rencontrées leur ont d’ailleurs consacré un documentaire intitulé Take the boat (prendre le bateau, ndlr).
Partir, souvent seules, reste une épreuve très douloureuse en plus de l'avortement : « Devoir garder le choix qu’elles font pour elles-mêmes, raconter des mensonges pour justifier leur absence au travail de deux à trois jours, ou mentir à leur famille, ... La constitution et la loi irlandaises les font se sentir comme des criminelles », souligne Alison Begas de Dublin Well Woman. Alors que légalement, elles ont, paradoxalement, le droit de voyager pour bénéficier de cet acte médical ailleurs.
Un déplacement qui, en plus, coûte cher, comme le souligne Lupe : « En tout, le voyage nous a coûté à peu près 1 000 euros. Nous avons dû faire un emprunt à la banque parce que l’on n’est pas pauvres mais on n’est pas riches non plus. »
Des femmes ont recours à d’autres moyens : boire de la javel, créer un accident de voiture...
Alison Begas de Dublin Well Woman.
Celles qui se trouvent dans l’impossibilité de réunir la somme suffisante, mènent leur grossesse à terme, d'autres commandent des pilules abortives sur Internet. Leur livraison n’est pas garantie car elles peuvent être saisies par la douane irlandaise. « Mais à la frontière avec l’Irlande du Nord, il y a des arrangements transfrontaliers qui se sont mis en place. Ainsi les pilules sont livrées à des adresses de femmes vivant en Irlande du Nord et sont ensuite acheminées à des Irlandaises », nous raconte Alison Begas.
Certaines optent pour d’autres solutions extrêmes qui rappellent des pratiques d’un autre âge : « Des femmes boivent de la javel, créent un accident de voiture pour mettre fin à leur grossesse sans se tuer pour autant… »
Face à cette situation dramatique Amnesty appelle donc à modifier la loi de 2013 et la Constitution. Plus que les politiques, la population irlandaise, traditionnellement très catholique, pourrait être ouverte à évoluer vers une légalisation. « L’opinion publique est plus en avance que nos politiques sur ce sujet, observe Alison Begas. Quand vous regardez les derniers sondages d’opinion, des indices indiquent clairement que la plupart des Irlandais soutiennent l’avortement dans le cas d’une anomalie mortelle du foetus ou dans le cas d’une grossesse qui résulte d’un inceste ou d’un viol même si ce n’est pas encore autorisé pour le moment. »
Les opposants à l'avortement savent pourtant donner de la voix et mobiliser les foules : « Je ne pense pas que ceux qui sont contre l’avortement (pro-life, pour la vie, ndlr) soient si nombreux, mais ils font beaucoup de bruit », considère la présidente de Dublin Well Woman.
Le pays serait-il donc prêt, comme pour le mariage gay, à soumettre cette question à la population par référendum ? « On n’en est pas là, nous expliquait récemment Catherine Maignant spécialiste des questions religieuses en Irlande. L’avortement reste un lieu de résistance très fort. A cause, sans doute, du passé identitaire catholique de l’Irlande. Mais il y a quand même des pas en avant dans cette direction. (…) Je crois que les jeunes générations vont faire évoluer les choses. »
Outre les campagnes menées par les organisations comme Amnesty, c’est peut-être de la population que pourrait venir le changement. Mais quand ?
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