Fil d'Ariane
Carnet rose : "Ana Brnabic et Milica Djurdjic ont la joie de vous faire part de la naissance de leur fils Igor". Une naissance qui fait le tour des médias serbes : “La belle docteure Milica Djurdjic, qui a accouché d’un petit Igor, est la compagne de la Première ministre serbe, Ana Brnabic” titre le tabloïde Kurir.
Ou encore "Ana Brnabic et Milica Djurdjic ont eu un fils après neuf ans d’amour”, annonce le quotidien belgradois Blic, le 20 février :
Sauf que cette naissance dans un couple lesbien n'est pas qu'une bonne nouvelle en Serbie, qui ne reconnaît pas les droits des familles jugées atypiques. Dans ce pays de 7 millions d’habitants, dont 80% de chrétiens orthodoxes, près de 40 % de la population estime que l'homosexualité est une maladie, selon un sondage réalisé en 2015 par l'Institut national démocratique à Washington. Nombre d’homosexuels serbes, notamment les jeunes, choisissent l’exil. Certains se suicident.
En juin 2017, la nomination de cette femme de 43 ans par le président nationaliste Aleksandar Vucic, pouvait apparaître comme un message de détente envoyé aux minorités. Ethniques, puisque Ana Brnabic est d’origine croate. Politiques, car elle n’est affiliée à aucun parti. Et sociétales, car ouvertement lesbienne, militante et aujourd’hui mère d’un enfant né dans un couple de femmes.
Elle ne pourra pas emmener l’enfant à l’école ou encore chez le médecin, ni obtenir un droit de garde
Et pourtant, nulle mesure en faveur des minorités sexuelles n’a suivi cette nomination. A la tête du gouvernement depuis presque deux ans, Ana Brnabic n’a marqué aucun point pour faire avancer le droit des familles homosexuelles ou monoparentales. Pas plus que pour les droits des personnes LGBTQ, malgré sa participation à la Marche des fiertés LGBT en septembre 2017.
Ce statu quo se retourne aujourd’hui contre la cheffe du gouvernement. Le petit Igor né d’une PMA n’aura pas deux mères, mais une seule. La Première ministre n’aura ni le bonheur ni le droit de figurer sur le livret de famille. Elle n’aura pas le droit “en regard des lois serbes, de bénéficier du statut de mère. Elle ne pourra donc pas emmener l’enfant à l’école ou encore chez le médecin, ni obtenir un droit de garde dans l’éventualité d’une rupture avec son actuelle compagne”, selon un hebdomadaire serbe.
D’un côté la femme engagée, pro-européenne, ancienne dirigeante d’ONG oeuvrant pour le développement économique, homosexuelle revendiquée. De l’autre, une Première ministre qui était très attendue mais n'a pas à ce jour fait progresser le droit de ces minorités dont elle fait partie.
De quoi accréditer la thèse d’une bonne partie de la classe politique, tous bords confondus, qui a vu en Ana Brnabic, lors de sa nomination, l’alibi d’ouverture du président conservateur Aleksandar Vucic, notamment auprès de ses partenaires européens.
Diplômée de l’université de Hull, en Grande-Bretagne, parlant couramment anglais, sa protégée offre un visage rassurant aux Européens. Le pays ouvertement nationaliste, conservateur et homophobe a, en effet, bien peu pour plaire à la majorité des 28, dans la perspective de son intégration à l’Union espérée pour 2025. Pas sûr que la nomination d’une dirigeante, fusse-t-elle d’ouverture, suffise.
D’autant qu’au niveau national, l’agitation monte. Le président Vucic, accusé d’autoritarisme et de museler les médias, est contesté depuis trois mois par la rue. Sans réaction de l’Europe qui soutient les stabilocraties des Balkans - Serbie, Albanie et Monténégro, ces régimes autoritaires politiquement encombrants mais garants de la stabilité de l’ancienne poudrière balkanique - contre les exigences des citoyens qui, eux, revendiquent plus de liberté et moins de corruption de leurs gouvernants.