Anca Damian réalisatrice roumaine : le choix de l'animation plutôt que de la fiction

Pour évoquer un fait divers tragique, celui de la mort du roumain Claudio Crulic à l'âge de 33 ans, au terme d'une grève de la faim dans une prison polonaise en 2008, la réalisatrice roumaine Anca Damian a choisi le biais de l'animation. Un choix obligatoire, selon la cinéaste, pour raconter une telle histoire. Elle présentait son film au festival de Namur 2011. Notre envoyée spéciale Estelle Martin a été conquise.
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Anca Damian réalisatrice roumaine : le choix de l'animation plutôt que de la fiction
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Anca Damian réalisatrice roumaine : le choix de l'animation plutôt que de la fiction
Ce fait divers aurait pu donner lieu à un documentaire, à une fiction. Mais Anca Damian a choisi le film d’animation. La réalisatrice et scénariste roumaine, qui est venu présenter son film au festival international du film francophone de Namur, s’en explique dans un français parfait : « l’animation me donnait une grande liberté pour raconter ce qu’il avait ressenti. Ce qui m’intéressait dans l’histoire de Claudio, c’était son côté kafkaïen. Il a été pris au piège d’un système, je voulais dénoncer ce système, cette société qui peut vous broyer. Et puis, il y avait cette mort si particulière, quand on se laisse mourir de faim, on se voit mourir, partir dans l’au-delà. ». Approcher au plus près le désespoir de Claudio Et le documentaire d’animation permet de recréer le ressenti du jeune homme, son désespoir. Un calvaire raconté à la première personne. Claudio Crulic commente sa vie et sa mort mais sans pathos, bien au contraire... Le ton est ironique, doux-amer : « cela correspondait à sa personnalité, mais aussi à ses origines. Il était moldave et les Moldaves ont cette délicieuse auto-ironie qui leur vient de leur sagesse ». Le spectateur découvre comment cette vie banale va basculer après son arrestation pour vol en Pologne. Claudio Crulic plaide non coupable, crie à l’injustice mais en vain. Il sera balloté de prison en prison, et entamera une grève de la faim. Personne ne viendra à son secours. Et cette tragédie prend forme avec des dessins, des pliages, des photographies : « voir son visage, ses effets personnels pris en photo lors de son incarcération je trouve que ça nous rapproche encore plus de lui, ça rend la vérité encore plus forte  et moi-même, j’avais l’impression de le connaître, d’être liée avec ce garçon que je n’avais jamais rencontré».  
Anca Damian réalisatrice roumaine : le choix de l'animation plutôt que de la fiction
« Personne n’est venu à l’aide de Crulic, je ne pouvais pas l’abandonner, moi aussi »   C’est ce qui lui a permis d’aller au bout de ce projet difficile à mener... Le sujet déjà : elle a eu du mal à enquêter en Pologne mais aussi en Roumanie où l’affaire avait fait grand bruit, le ministre roumain des Affaires étrangères de l’époque avait dû démissionner. Le sujet était sensible, personne n’avait envie d’en parler : « j’ai bien failli laisser tomber mais je me suis dit que si j’arrêtais en cours de route, ce serait faire comme les autres, l’abandonner encore une fois. Personne n’est venu à l’aide de Crulic, ni sa famille, ni son pays... Je ne pouvais pas l’abandonner, moi aussi ».  Faire face au machisme à l'oeuvre dans l'industrie cinématographique roumaine Enfin il a fallu convaincre, trouver les financements et son expérience dans le cinéma ne lui a pas été d’une grande aide. Anca Damian a été cheffe opérateur, et sa première fiction en tant que réalisatrice, « Rencontres croisées » a été sélectionnée dans plusieurs festivals mais « Crulic » étaitsa première incursion dans le monde de l’animation. Un saut dans l’inconnu qui a pu effrayer les producteurs mais ce n’est pas la seule raison. « Le hic c’est que dans le cinéma je représente une minorité : en Roumanie, le monde du cinéma est un monde de macho. Après toutes ces années où j’ai fait opérateur cinéma, je puis affirmer sans me tromper que la misogynie, dans ce milieu est on ne peut plus réelle ». Mais il en fallait plus pour la décourager et le résultat est là : Crulic marque par son sujet, par son esthétique. Le film a tout du conte de fée macabre, poétique. Le film sort en Roumanie ce vendredi mais les festivaliers de Locarno et de Namur ont pu le découvrir en avant-première. Anca Damian est déjà sur un autre projet, mais pas dans l’animation, elle se laisse avant tout porter par ses émotions, ses désirs de réalisatrice.

La bande-annonce de Crulic, le chemin de l'au-delà

05.10.2011