Fil d'Ariane
"Le vêtement doit échapper aux conventions", pensait André Courrèges. Celles de la société des années 1960 en l'occurrence. Pantalon, mini-jupe, collant, le couturier français avant-gardiste a participé en son temps à révolutionner la garde-robe des femmes et leur a insufflé un peu plus de liberté en s'appropriant différemment leur corps.
Après un combat contre la maladie de Parkinson pendant plus de 30 ans, il s'est éteint le jeudi 7 janvier 2016, à 92 ans dans son domicile de Neuilly-sur-Seine, banlieue chic Paris. La maison de couture l'a annoncé par un communiqué en ces termes : "Le grand couturier français, connu pour avoir révolutionné l'univers de la haute couture dans les années 1960, s'est éteint hier soir".
André Courrèges qui avait cessé ses activités professionnelles dans les années 1990 représentait en effet un symbole de la révolution vestimentaire des femmes dans les "sixties".
Né en 1923 à Pau, en France, il fait ses études dans la prestigieuse école nationale des Ponts-et-Chaussées de Paris où il découvre l’architecture. Cette discipline ainsi que le sport vont considérablement influencer ses créations. " Si mon sujet est une femme, peut-être que je ferais une robe. Mais parfois il arrive qu’une robe ne soit pas capable de communiquer toutes les émotions que je souhaite exprimer. J’essaie d’exprimer mes idées par d’autres moyens comme l’architecture ", disait-il.
Il commence sa carrière à Paris où il arrive en 1945. Ses premiers pas dans la couture, André Courrèges les fait aux côtés de Balenciaga en 1950 avec qui il travaille onze ans. C'est là qu'il rencontre son épouse Coqueline Barrière, indissociable de ses créations.
Un créateur visionnaire qui voyait déjà ce que serait le XXIe siècle.
Frédéric Torloting et Jacques Bungert, co-présidents du groupe Courrèges.
Onze ans plus tard, il ouvre sa propre maison de haute couture à une période où la société et surtout les femmes ne demandent qu'à se libérer des traditions. André Courrèges se lance donc juste avant la révolution sexuelle et les manifestations étudiantes de 1968.
1961 marque pour André Courrèges le début de longues années de création, d'invention, d'innovations vestimentaires et de succès phénoménal.
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— Hingant Anne-Laure (@Alhingant) 8 Janvier 2016
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— Laurent Guyot (@laurentguyot) 8 Janvier 2016
"Toute sa vie, André Courrèges, avec [son épouse] Coqueline, n'a cessé d'avancer, d'inventer pour toujours devancer : un créateur visionnaire qui voyait déjà ce que serait le XXIe siècle et qui croyait dans le progrès. C'est ce qui rend si moderne Courrèges aujourd'hui", ont déclaré Frédéric Torloting et Jacques Bungert, actuels co-présidents du groupe Courrèges.
Grâce au talent révolutionnaire de ce couturier, les femmes découvrent le pantalon en 1963, la mini-jupe trapèze en 1965 (créée et baptisée "mini" par l'Anglaise Mary Quant) accompagnée des bottes blanches plates à mi-mollet et ensuite du collant en 1967.
Pourquoi la façon de vêtir une femme ne subirait pas aussi une évolution?
André Courrèges, 1965
A cette époque, sa mode scandalise, notamment Coco Chanel (une femme pourtant!). Le pantalon pour femme qui ponctue ses défilés est critiqué par certains créateurs : "Une femme déguisée en homme, c'est tellement triste!" considère J.Crahay qui travaille pour Lanvin. Idem du côté de Pierre Cardin : "Rester toute la journée en pantalon, pour une femme, c'est rester toute la journée en robe de chambre. Espérons que les femmes ne seront pas assez folles pour le porter dans la journée."
Ce vêtement était toujours interdit pour les femmes par une loi de 1800 qui fut abrogée... en 2012. « Toute femme désirant s'habiller en homme doit se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l'autorisation » disait le texte, avant qu'un amendement apporté en 1909 ne l'autorise que « si la femme tient par la main un guidon de bicyclette ou les rênes d'un cheval »...
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— Leticia García (@Ms_Golightly) 5 Janvier 2016
Pour André Courrèges, le pantalon simplifie la vie des femmes pour qui la mode doit évoluer avec son temps à une époque où elles s'émancipent. Ses propos sonnent très féministes : « La conception actuelle de la mode est démodée, confiait-il au Figaro en 1965. La féminité doit changer d'aspect. Je veux voir une femme différente. La vie a tellement évolué. Pourquoi la façon de vêtir une femme ne subirait pas aussi une évolution? On n'a qu'à voir vivre une femme. Elle veut être l'égale de l'homme, elle assume souvent autant de responsabilités. Elle va de l'avant. Pourquoi resterait-elle en arrière vestimentairement? Il ne s'agit pas qu'elle porte un pantalon comme un homme. C'est toute une garde-robe qu'elle devra changer. Je crois fermement que la future mode sera dans la «tenue pantalon» qui s'adaptera pour toutes les heures et toutes les circonstances.»
Des crayons d'André Courrèges sortent des silhouettes de femmes libres vêtues de tenues aux lignes futuristes, comme surgies d'un film de science fiction, souvent parées de blanc, sa couleur fétiche. Il utilise beaucoup deux matières : le vinyle et le nylon.
En avance sur d'autres créateurs, il lie sa marque à toutes sortes de produits : parfum, papeterie et même planche à voile relève le magazine L'Express.
A l'époque, Jacky Kennedy, Brigitte Bardot, Claude Pompidou - l'épouse du président français Georges Pompidou (1969 à 1974) - sont ses clientes ainsi que la chanteuse yé-yé Françoise Hardy, l'une de ses égéries.
Entre 1966 et 1967, le succès de Courrèges est tel qu'il est beaucoup copié. Lassé, il arrête la haute couture et ses défilés pour se lancer dans le prêt-à-porter, une couture accessible à tous car elle est produite en série.
Deux ans après la naissance de sa fille Marie en 1970, il ouvre une usine à Pau, dans les Pyrénées, où sont réalisées ses collections. Cette même année il crée tous les uniformes pour les Jeux olympiques de Munich.
Véritable artiste, il fait de ses défilés des vrais concepts. Ainsi en 1980, une immense bulle transparente est installée au Jardin des Plantes.
En 1994, André Courrèges prend sa retraite et passe les commandes de sa maison à son épouse. La marque entre ensuite dans un long sommeil et finit par être réveillée par un duo de publicitaires qui la rachète en 2011 : Frédéric Torloting et Jacques Bungert. La relève est aujourd'hui assurée par deux jeunes créateurs : Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer. Seront-ils aussi visionnaires ?