Candidate aux sénatoriales en Seine-Saint-Denis (Nord de Paris), la future avocate et militante Anina Ciuciu pourrait devenir, ce 24 septembre, la première Française rom élue sénatrice. Education, violences policières et justice environnementale figurent au coeur de son combat, pour "redonner fierté et dignité", à tous les exclus. Rencontre avec cette candidate qui pourrait incarner le renouveau politique.
Anina Ciuciu manque le Sénat
Anina Ciuciu n’a pas été élue dimanche 24 septembre au Sénat. Les sénateurs et sénatrices élus sur le département de Seine-Saint-Denis, sont Gilbert Roger (union des gauches), Eliane Assassi, Fabien Gay (PCF), Philippe Dallier, Annie Delmont-Koropoulis (LR) et Vincent Capo-Canellas (UDI).
Cependant malgré sa défaite, la candidate estime "avoir remporté une victoire".
« Elle va réussir parce qu’elle réussit tout ce qu’elle commence. » Jacqueline de La Fontaine, ex- institutrice connaît bien Anina Ciuciu. C’est elle qui, un jour de l’année 1999, a empêché l’arrestation policière de la jeune fille et de sa famille alors qu’elle faisait la manche au milieu d’un marché de Bourg-en-Bresse dans l’Ain. Anina Ciuciu n’avait alors que neuf ans.
Elle est née en 1990 à Craiova en Roumanie. Issue d’une famille sédentaire - comme la grande majorité des Roms depuis des générations - elle a vécu dans un quartier réservé à sa communauté avec son père, comptable et sa mère, aide-soignante. Jusqu'au jour où leurs origines furent découvertes, les parents ont été forcés de migrer pour tenter de fuir les discriminations.
Je suis Tzigane et je le reste
Un passeur les achemine vers l'Italie, à Rome, en plein milieu d’un camp de 800 Roms. Pour survivre, Anina Ciuciu n’a alors d’autres choix que de mendier avec sa mère : «
C'est très humiliant de mendier. J'ai vu ma mère pleurer presque chaque soir. Ça reste gravé en moi. » En 1997, la famille arrive en France, à Lyon d’abord et ensuite à Bourg-en-Bresse. C’est ici qu’elle fera une rencontre décisive avec Jacqueline de La Fontaine et son époux qui aident à scolariser Anina et ses sœurs, trouver un logement pour la famille et du travail pour les parents.
Rien ne pouvait arrêter Anina. elle était toujours prête à défendre les grandes causes et manifester ses désaccords.
Jacqueline de La Fontaine, ex-institutrice
Pendant que les filles sont à l’école, la mère fait des ménages et le père enchaîne les petits boulots, passant des abattoirs, à l’entretien des espaces verts.
A l’école, les sœurs Ciuciu se révèlent brillantes. En particulier Anina. Arrivée dans l’établissement, avec deux ans de retard, elle saute une classe et n’a alors qu’un an de décalage. «
Elle avait d’énormes capacités intellectuelles et un tempérament affirmé », confirme Jacqueline de La Fontaine qui connaissait déjà bien la communauté rom grâce à ses voyages en Roumanie où elle fut frappée par les discriminations à l’égard de cette population.
«
Rien ne pouvait arrêter Anina », se souvient-elle « e
lle était toujours prête à défendre les grandes causes et manifester ses désaccords, dans une cour de récréation où les rapports avec les camarades étaient plutôt tendus.» Elle a dû affronter maintes «
brimades et rejets ». D'aileurs, elle a fait le récit de son parcours dans un livre autobiographique, tout en déclarant que «
des filles Roms comme elle, il y en a d'autres mais elles ne sont pas médiatisées ».
« Je suis Tzigane et je le reste » (City Editions) est paru en 2013. La même année, elle a obtenu la naturalisation française.
Conseillère déçue du Premier ministre roumain
«
Je me revois encore lui dire, lorsqu’elle avait environ 11 ans, 'toi, si tu deviens avocate, ce ne sera pas étonnant'. » Cette institutrice, qui a enseigné dans le primaire durant près de 40 ans, a vu juste. En 2012, sa protégée a validé un Master Justice et Procès à la Sorbonne. «
Ma vocation est de devenir avocate pour défendre les droits de tous et en particulier des plus faibles dans notre société », confie l’élève-avocate de 27 ans, actuellement en stage au sein d’Amnesty international à Londres. D’emblée, elle précise qu’elle n’a «
jamais envisagé embrasser une carrière politique ». Pourtant, voilà deux fois qu’on vient la chercher sur ce terrain et deux fois qu’elle accepte de s’y frotter.
On se disait, Anina est venue en Europe cachée dans un camion et elle repart en Roumanie dans un avion de la République.
Jacqueline de La Fontaine, ex-institutrice et amie d'Anina
En 2014, le Premier ministre roumain Victor Ponta (social-démocrate) l’a en effet nommée conseillère honorifique sur la problématique rom. «
Pensant qu’elle pouvait changer les choses », elle a accepté. Mais dès qu'elle s’est aperçue «
qu’elle n’avait pas de réels pouvoirs pour améliorer la vie des gens et qu’au contraire, ça les éloignait d’eux », elle a tout arrêté. L’absurdité de la situation est à son comble, lorsqu'Anina est invitée à Bucarest. « O
n se disait, Anina est venue en Europe cachée dans un camion et elle repart en Roumanie dans un avion de la République », n'en revient toujours pas Jacqueline de La Fontaine.
Retour à la vie militante
Anina a donc «
préféré retourner sur le terrain » aux côtés de deux associations la Voix des Roms et l’Aset 93, dont elle a été nommée marraine, et qui a pour mission de favoriser la scolarisation des enfants tziganes, français ou étrangers. Les deux organisations sont implantées en Seine-Saint-Denis, fief de la candidate, qui y passe la majeure partie de son temps alors qu’elle habite à Paris. Elle a également co-fondé le mouvement du 16 mai 1944, pour célébrer la résistance des familles Tziganes d’Auschwitz-Burkenau face à l’oppression nazie. «
Une façon de célébrer la résistance d’hier et aujourd’hui, dit-elle.
Parce que, il y a des formes d’oppressions que vivent beaucoup d’hommes et de femmes, en France, que ce soit les Roms mais aussi les réfugiés, les familles pauvres, et les jeunes des quartiers qui ne se sentent pas représentés par nos institutions. » Assitance jurdique, micro-formation, maraude hebdomadaire, son agenda militant est donc plein. Mais une fois de plus son destin la pousse sur le terrain politique.
L'appel à l'investiture au Sénat
Cette fois c’est Aline Archimbaud, sénatrice sortante (Europe Ecologie Les Verts), qui vient la chercher. Elle a décidé de ne pas se représenter aux sénatoriales et a donc encouragé publiquement la candidature d’Anina Ciuciu dont elle connaît le travail de terrain. Elle a été suivie par 200 élus et membres de la société civile qui ont appelé,
dans une tribune publiée sur le site du Bondy Blog, à lui accorder une place éligible sur les listes électorales EELV.
Quand j’ai su qu’elle allait se présenter, je me suis dit dans quel guêpier, elle va se retrouver ?
Président de l’Aset 93, Andréa Caizzi
L’expérience roumaine l’a rendue «
très hésitante ». Mais après concertations avec ses camarades de lutte, elle a vu dans cette opportunité «
un moyen de porter plus loin ses combats. »
«
Quand j’ai su qu’elle allait se présenter, je me suis dit, dans quel guêpier, elle va se retrouver ?, raconte le président de l’Aset 93, Andréa Caizzi.
J’ai pensé que c’était une opération risquée. Le monde politique est un monde dur, où les tactiques priment en général ». Or, la candidate en a déjà fait l’amère expérience, lorsqu’elle a voulu répondre aux encouragements de ceux qui l’appelaient à investir une liste EELV. «
Je me suis confrontée aux calculs cyniques des partis et à la remise en cause de mon intégrité, de ma légitimité, à la réduction "à une image de diversité interchangeable" », peste Anina Ciuciu. «
J’ai vite compris que ma place n’était pas là. J’ai donc créer une liste indépendante « Notre Avenir » car je ne voulais pas décevoir tous ceux qui avec moi avaient nourri l’espoir de voir émerger une politique vraiment différente. »
Andréa Caizzi est convaincue qu’elle a l’étoffe «
d’une grande sénatrice ». «
Mais il ne faut pas lui demander l’impossible, prévient-il.
Elle ne peut pas, toute seule, modifier un sénat dont la moyenne d’âge atteint les 64 ans. » Et composé majoritairement d’hommes faudrait-il ajouter.
Pas de parité au Sénat Au total, 1074 hommes et 897 femmes briguent les 170 sièges soumis au renouvellement cette année sur les 348 que compte le Palais du Luxembourg. Le Sénat est en effet renouvelé par moitié tous les trois ans. Et malgré les règles strictes de la parité, les sénatrices sont toujours en infériorité numérique, elles étaient 87 à siéger lors du dernier renouvellement sénatorial de 2014. Et cela ne va pas en s'arrangeant puisqu'en Mayenne, le bulletin du candidat EELV pour les sénatoriales, Claude Gourvil, a été invalidé pour avoir désigné sa suppléante par le féminin « suppléante ». Or, le code électoral n’emploie que le masculin.
> A lire sur Terriennes : Elections au Sénat 2017 - de l'impossibilité de féminiser les bulletins de vote en France Pour lui, elle est capable «
d’accomplir de grands exploits grâce à ses compétences et sa connaissance du terrain, mais avec les déceptions qui vont avec : des rapports qui resteront dans un tiroir, des questions au gouvernement sans suite mais il en restera un travail de mise à l’agenda de thématiques importantes et sous un angle nouveau. »
Education, violences policières et Etat d'urgence
Parmi ces thématiques, l’éducation figure au premier rang de ses priorités. Anina a conscience de la chance qu’elle a eue en croisant le chemin de Jacqueline de La Fontaine. «
Elle nous a tendu une main pour nous relever et nous aider à franchir tous nos obstacles administratifs. Ce qui est extraordinaire, reconnaît-elle.
Mais ça ne devrait pas dépendre de la chance, c’est le rôle de nos institutions de garantir l’accès à l’école pour tous ».En ce sens,
elle avait également interpellé Emmanuel Macron lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle. «
Nous avons fait des propositions pour faciliter l’accès à l’école des enfants qui vivent dans les bidonvilles, dans les squats et hôtels sociaux et Macron s’est engagé publiquement à rencontrer ses jeunes. » Autre terrain de lutte : les violences policières et la pérennisation de l’Etat d’urgence. La Seine-Saint-Denis étant, selon elle, «
l’un des départements dans lequel a été pris le plus de mesures sur la base de l’Etat d’urgence mais en bafouant les droits des citoyens, puisque très peu de suites ont été données en réalité sur ce motif. »
Je suis extrêmement fière d’être française et roumaine. Je ne serai pas la sénatrice rom ou des Roms, ma vision, mes valeurs, mes combats sont beaucoup plus larges
Anina Ciuciu
Si elle est élue, Anina Ciuciu sera la première Française rom à siéger au Sénat. Mais elle ne veut surtout pas qu’on la réduise à une identité. « Il se trouve effectivement que je suis Rom et j’ai toujours décidé de le porter en fierté », affirme-t-elle.
« Ma mère se cachait du regard des professeurs et des camarades à l’école, parce qu’elle ne voulait pas nous faire honte, poursuit-elle avec une émotion encore vive. C’est extrêmement blessant pour un enfant. C’est pour ça que j’ai toujours décidé d’affirmer mon appartenance à la communauté. Dans le même temps, je suis extrêmement fière d’être française et roumaine. Je ne serai pas la sénatrice rom ou des Roms, ma vision, mes valeurs, mes combats sont beaucoup plus larges. »
« Anina, c’est la possibilité de réussir sans compromis, sans rien renier de ses origines, conclut le président de l’Aset 93. Et je pense inimaginable qu’elle se coupe du terrain et de ses racines à la fois populaire et militante. »
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