Fil d'Ariane
Dans son quotidien, parmi tant d'autres personnages, on croise aussi Coco "qui a du diabète et ne boit qu'à Noël et à l'anniversaire de sa mère. Jérôme, au contraire, aime boire, beaucoup et souvent, pas de cette bière-là, c'est une sous-marque et elle a un goût d'eaux usées".
Comment oublier Izîl "qui fait trois prières, une catholique, une juive et une musulmane, pour mettre de son côté toutes les chances de finir entre de bonnes mains plus tard" ?
Ce livre, au style simple, clair et concis (et qui n'est pas sans évoquer le maître Simenon ) est une immersion dans l'âme humaine. Les ordures que l'on croise ne sont pas forcément celles que charrient les véhicules de la propreté.
Anna a enduré le froid qui perce la peau et gerce les mains, la caresse du soleil printanier, les humeurs de ses collègues. Elle raconte leurs espoirs et leur vie cabossée.
Anna Livart vit aujourd'hui dans le sud de la France. Nous l'avons jointe par téléphone.
Un jour, mon balai m'a servi de mur entre un exhibitionniste et moi
Anna Livart
En passant le concours d'éboueur, vous aviez déjà l'idée d'écrire un livre ?
Je suis quelqu'un de très curieux. Je voulais connaître Paris de l'intérieur. Avant d'exercer ce métier, je me sentais comme dans un train avec une vitre entre moi et Paris, moi et les autres. J'ai décidé de casser la vitre, de regarder, de faire partie, de m'intégrer...
Que retenez vous de cette mosaïque de rencontres au cours de ces deux années ?
Je me souviens d'un collègue qui allait partir à la retraite et qui était très content. Quelques mois plus tard, je le recroise dans la rue. Il avait perdu le moral. La propreté, c'était sa deuxième famille. Il n'avait plus d'utilité dans la vie. Dans la rue, j'avais rencontré un vieil homme arabe de soixante dix ans. Il avait construit une cabane en carton devant l'hôpital. Il vivait là. Il racontait sa vie aux passants...
Le fait d'être une femme a-t-il plutôt été un avantage ou cela vous a-t-il discrédité dans certaines situations ?
Pour pouvoir rencontrer du monde qui se livre facilement à vous, c'est plutôt un avantage. Et puis il y a aussi la tenue d'éboueur, tout le monde a l'impression de vous connaître. Il y a une immense solitude à Paris. Ce n'est pas normal, après tout, de se livrer à une balayeuse dans la rue ! Je me souviens aussi qu'un 14 juillet, un jour où il ne faisait pas très beau, un homme très élégant est venu vers moi. Je m'étais abritée sous un petit balcon. Je m'attendais à un dialogue sur le monde et, en, fait, c'était un exhibitionniste ! Cela m'a amusée. Mon balai m'a servi de mur entre lui et moi, pour ne pas qu'il s'approche !
Vous faites un parallèle avec la maternité. Vous dites qu'il faut 9 mois pour être éboueur !
Pour moi, oui, parce que j'ai la nationalité hollandaise et, d'un point de vue admninistratif, c'était un peu compliqué, il fallait traduire les documents. Le mot magique c'est "fonctionnaire" ! Dans une société en crise, cela fait rêver ! Je n'ai pas gardé de contact avec mes anciens collègues. J'aurai bien aimé. Ils m'ont raconté leur vie avec beaucoup de générosité.
Qu'est-ce qui fait qu'un jour on se dit " stop ! j'arrête d'être balayeuse " ?
C'est la densité de Paris. Je suis quelqu'un de la campagne. La nature me manquait. J'avais envie d'écrire ce livre mais je ne trouvais pas la bonne distance. Chaque jour je vivais encore des choses très oppressantes et je me suis dit : "il faut que ça s'arrête pour commencer à écrire". J'avais des cahiers. Chaque après midi (on commençait le travail à 6h...) , j'écrivais tout ce que j'avais vu. J'étais discipliné !
Et aujourd'hui, vous le referiez ?
Oui, je pense. Je garde en mémoire cette diversité de culture, de religions, d'origines.. Elles cohabitent assez bien ensemble, finalement, pour la propreté de Paris !
Anna Livart, "Il est cinq heures, Paris s'éveille"/Mémoire de balayeuse.
Les éditons de l'Opportun
15,90 euros