Anna Livart : poubelle la vie ! Mémoires d'une balayeuse

Pendant deux ans, Anna Livart a balayé les rues de Paris. Elle nous offre la réalité de son quotidien avec "Il est cinq heures, Paris s'éveille", un ouvrage épatant qui nous fait découvrir la capitale française sous un jour inédit.
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Anna Livart
Anna Livart, dans le secret des rues parisiennes pendant deux ans.
(éditions de l'Opportun)
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"Voir, tout est là !" disait Maupassant.
Anna Livart à vu.
Les yeux de cette Néerlandaise ont tout enregistré pendant deux ans.  Les rues de Paris étaient son territoire, son lieu de travail, bref,  un champ d'observation précieux. 

Au concours de balayeur, 460 hommes et 40 femmes


Après avoir réussi son concours de balayeuse comme cinq cent autres personnes (dont quarante femmes), Anna Livart a été l'une de ces employées municipales habillées de vert et de jaune fluo citron,  une de ces personnes, balai à la main,  que l'on croise sans jamais les distinguer  : les éboueurs font partie du paysage.  Mais Anna, elle, vous a peut être remarqué !
Sa pupille a digéré l'étonnante faune qui peuple les rues de Paris. Dans l'océan des anonymes, on trouve de tout : des poètes qui promènent leur solitude, des clodos qui trimballent leur désespoir et des aristos qui font pisser leur chien.  Chacun sa route, chacun son chemin !

Anna  a picoré ces miettes de confidences. Elles font notre festin aujourd'hui. Puisant dans le maquis de sa mémoire, elle nous fait ainsi revivre, par exemple,  Fabienne et ses chiens.
Le mari de Fabienne se meurt d'un cancer et sa chienne Nana ne va pas bien fort, elle non plus. Quand Fabienne rentrait le soir, écrit Anna, "les chiens l'attendaient, gémissant ou hurlant de solitude. La véritable, fin, plusieurs semaines après, elle vint me la raconter, stoïque. C'était arrivé dans la nuit, il l'avait senti venir, elle était restée avec lui, il lui avait dit qu'il l'aimait, ils s'étaient tenu la main, il l'avait remerciée pour le temps qu'ils avaient passé ensemble, et puis il était parti, au ciel."

Anna Livart
Anna Livart. "Une de ses collègues ne comprenait pas ce qui l'attirait là-dedans. "Ramasser la merde des autres" appelait-elle ça, en faisant la grimace."
© Les éditons de l'Opportun

Dans son quotidien, parmi tant d'autres personnages, on croise aussi Coco "qui a du diabète et ne boit qu'à Noël et à l'anniversaire de sa mère. Jérôme, au contraire, aime boire, beaucoup et souvent, pas de cette bière-là, c'est une sous-marque et elle a un goût d'eaux usées".
Comment oublier Izîl "qui fait trois prières, une catholique, une juive et une musulmane, pour mettre de son côté toutes les chances de finir entre de bonnes mains plus tard" ?

Ce livre, au style simple, clair et concis (et qui n'est pas sans évoquer le maître Simenon ) est une immersion dans l'âme humaine. Les ordures que l'on croise ne sont pas forcément celles que charrient les véhicules de la propreté.
Anna a enduré le froid qui perce la peau et gerce les mains, la caresse du soleil printanier, les humeurs de ses collègues. Elle raconte leurs espoirs et leur vie cabossée. 
Anna Livart vit aujourd'hui dans le sud de la France. Nous l'avons jointe par téléphone.

Un jour, mon balai m'a servi de mur entre un exhibitionniste et moi
Anna Livart


En passant le concours d'éboueur, vous aviez déjà l'idée d'écrire un livre ?

Je suis quelqu'un de très curieux. Je voulais connaître Paris de l'intérieur. Avant d'exercer ce métier, je me sentais comme dans un train avec une vitre entre moi et Paris, moi et les autres. J'ai décidé de casser la vitre, de regarder, de faire partie, de m'intégrer...

Que retenez vous de cette mosaïque de rencontres au cours de ces deux années ?

Je me souviens d'un collègue qui allait partir à la retraite et qui était très content. Quelques mois plus tard, je le recroise dans la rue. Il avait perdu le moral. La propreté, c'était sa deuxième famille. Il n'avait plus d'utilité dans la vie. Dans la rue, j'avais rencontré un vieil homme arabe de soixante dix ans. Il avait construit une cabane en carton devant l'hôpital. Il vivait là. Il racontait sa vie aux passants...

Le fait d'être une femme a-t-il plutôt été un avantage ou cela vous a-t-il discrédité dans certaines situations ?

Pour pouvoir rencontrer du monde qui se livre facilement à vous, c'est plutôt un avantage. Et puis il y a aussi la tenue d'éboueur, tout le monde a l'impression de vous connaître. Il y a une immense solitude à Paris. Ce n'est pas normal, après tout, de se livrer à une balayeuse dans la rue ! Je me souviens aussi qu'un 14 juillet, un jour où il ne faisait pas très beau, un homme très élégant est venu vers moi. Je m'étais abritée sous un petit balcon. Je m'attendais à un dialogue sur le monde et, en, fait, c'était un exhibitionniste ! Cela m'a amusée. Mon balai m'a servi de mur entre lui et moi, pour ne pas qu'il s'approche !

Vous faites un parallèle avec la maternité. Vous dites qu'il faut 9 mois pour être éboueur !

Pour moi, oui, parce que j'ai la nationalité hollandaise et, d'un point de vue admninistratif, c'était un peu compliqué, il fallait traduire les documents. Le mot magique c'est "fonctionnaire" ! Dans une société en crise, cela fait rêver ! Je n'ai pas gardé de contact avec mes anciens collègues. J'aurai bien aimé. Ils m'ont raconté leur vie avec beaucoup de générosité.

Qu'est-ce qui fait qu'un jour on se dit " stop ! j'arrête d'être balayeuse " ?

C'est la densité de Paris. Je suis quelqu'un de la campagne. La nature me manquait. J'avais envie d'écrire ce livre mais je ne trouvais pas la bonne distance. Chaque jour je vivais encore des choses très oppressantes et je me suis dit : "il faut que ça s'arrête pour commencer à écrire". J'avais des cahiers. Chaque après midi (on commençait le travail  à 6h...) , j'écrivais tout ce que j'avais vu. J'étais discipliné !

Et aujourd'hui, vous le referiez ?

Oui, je pense. Je garde en mémoire cette diversité de culture, de religions, d'origines.. Elles cohabitent assez bien ensemble, finalement, pour la propreté de Paris !

Anna livart le livre


Anna Livart, "Il est cinq heures, Paris s'éveille"/Mémoire de balayeuse.

Les éditons de l'Opportun
15,90 euros