Fil d'Ariane
La dernière fois que nous avions rencontré Anne-Marie Lizin, c'était voilà un an. Elle était à Paris, auprès de ses deux amies Annie Sugier et Linda Weil-Curiel, pour célébrer au Café de Flore, à Saint Germain des Près, trente ans de combat avec la Ligue du droit international des femmes, fondée par Simone de Beauvoir. L'engagement pour les femmes fut une constante de sa démarche politique. "Elle est chaleureuse, elle mène le combat joyeusement", disait d'elle, une autre icône de l'émancipation des femmes, la française Simone Veil.
> Retrouver notre reportage : Trente ans de combats avec la Ligue du droit international des femmes
Annie Sugier rappelle leurs combats communs : "Notre Amie belge, Anne-Marie Lizin, restera pour l’Histoire à la fois une figure marquante de la vie politique internationale et une grande féministe. Son savoir-faire, ses réseaux, son dynamisme, sa capacité à bousculer les conservatismes, Anne-Marie Lizin les a mis au service de la défense du droit des femmes. Vice-présidente de la Ligue du Droit International des Femmes, elle a été de tous les combats des trente dernières années afin de promouvoir l’universalité du droit des femmes, indépendamment des cultures et des religions. Au cours des dernières années, en sa qualité de Vice-Présidente de la Ligue du Droit International des Femmes, elle a mené des enquêtes sur la situation des femmes en Azerbaïdjan, au Kurdistan, puis dans une région particulière de l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh."
En octobre 2011, elle s'était félicitée auprès de Terriennes du choix de trois femmes pour le prix Nobel de la paix, balayant les critiques de certains (il y avait parmi elles Tawakkol Karman, une journaliste yéménite que l'on disait trop proche des islamistes et la présidente Ellen Johnson Sirleaf, alors en campagne pour sa propre succession). Elle concluait avec humour : "On pourrait imaginer que le Nobel récompense tous les ans une ou plusieurs femmes jusqu'à ce que la parité soit établie ! En tant que féministe, cela me paraîtrait une bonne idée même si cela peut choquer ! En tout cas, à la Ligue, nous pensons qu’il existe suffisamment de femmes de valeur dans le monde pour combler cet écart."
> Retrouver l'entretien avec Anne-Marie Lizin sur les Nobel de la paix 2011 : « ces femmes ont osé prendre des positions courageuses »
Mais cette forte personnalité fut parfois aussi sujette à controverse, pour de très bonnes et parfois plus hasardeuses causes. Anne-Marie Lizin s'était fait connaître en 1983 lorsque, alors qu'elle était députée européenne pour le Parti socialiste (PS), elle avait été interpellée en Algérie. Elle s'y était rendue sous une fausse identité pour ramener en Belgique trois enfants enlevés à leur mère belge par leur père algérien.
La même année, elle devient bourgmestre (maire) de Huy, une petite ville de la vallée mosane, à mi chemin entre Liège et Namur en Wallonie, qui abrite la centrale nucléaire de Tihange. Pendant ses 26 années de règne, son style flamboyant et sa maîtrise des médias lui vaudront de nombreux admirateurs, mais aussi de sérieuses inimitiés.
Ministre des Affaires européennes de 1988 à 1992, elle s'oppose régulièrement à la ligne de son parti, notamment en soutenant le droit du Pakistan à disposer de l'arme nucléaire. Elle continue à défendre les droits des femmes et, en 1995, elle représente la Belgique à la Conférence de Pékin sur le sujet.
Elle atteint le sommet de sa carrière lorsqu'elle devient la première femme à présider le Sénat belge, de 2004 à 2007. Chargée en 2006 par l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) de rédiger un rapport sur le camp américain de Guantanamo, elle est la première parlementaire au monde à pouvoir s'y rendre.
Accusée d'avoir utilisé des membres du personnel municipal pour distribuer des tracts lors d'une campagne électorale, elle est exclue du PS en 2009 et perd la mairie de Huy. Elle s'était retirée de la vie politique fin septembre 2015 en démissionnant de son poste de conseillère municipale, après avoir été définitivement condamnée dans l'affaire des tracts électoraux.
Professeur à Sciences-Po Paris depuis 2003, Anne Marie Lizin avait été hospitalisée dans la capitale française le 7 octobre pour des problèmes cardiaques. Rentrée en Belgique il y a quelques jours, elle poursuivait sa convalescence à l'hôpital de Huy, où elle est décédée samedi matin, selon plusieurs sources, dont l'actuel maire de la ville, Alexis Housiaux.