Fil d'Ariane
Le festival de la BD d'Angoulême vient de prendre fin. Après Claire Bretécher, Florence Cestac, Rumiko Takahashi, Julie Doucet et Posy Simmonds, la Française Anouk Ricard est la 6e femme lauréate du grand prix.
Twitter @bdangouleme
Le grand prix de la bande dessinée d'Angoulême, référence mondiale pour le 9e art, a été décerné le 29 janvier 2025 à la Française Anouk Ricard pour son oeuvre burlesque mettant en scène des animaux très humains.
Cette autrice et dessinatrice de 54 ans, élue par un panel d'auteurs de BD publiés en français, succède à la Britannique Posy Simmonds et devient la sixième autrice sacrée depuis la création de ce prix, qui récompense depuis 1974 les grands noms de la bande dessinée (Franquin, Art Spiegelman, Riad Sattouf...) En recevant son prix, la lauréate, visiblement très émue, a évoqué un "immense honneur" et fait part de "sa joie" et de "sa fierté".
C'est la première fois dans l'histoire du festival international de la BD d'Angoulême, dans le sud-ouest de la France, dont la 52e édition se tient du 29 janvier au 2 février 2025, que le grand prix est attribué deux années de suite à une autrice. La montée en puissance des autrices à Angoulême, dont son sacre est le reflet, n'a pas échappé à Anouk Ricard, elle qui avait rejoint un collectif en 2016 pour dénoncer la sous-représentation des femmes dans le festival. "Il y a une évolution et c'est tant mieux, salue Anouk Ricard. On a toutes notre place dans la BD".
Cette dessinatrice, qui s'est d'abord fait connaître dans l'édition jeunesse avec sa série Anna et Froga, était en lice face à sa compatriote Catherine Meurisse, autrice éprise de philosophie, et l'Américaine Alison Bechdel, figure de la contre-culture LGBT.
Adepte d'un trait quasi enfantin et de couleurs vives, cette autrice formée à l'école des arts décoratifs de Strasbourg, dans l'est de la France, met souvent en scène des animaux anthropomorphiques dans des situations où le burlesque le dispute à l'absurde, notamment lorsqu’elle revisite des faits divers piochés dans la presse régionale, dans Faits divers 1 et 2.
Son humour décalé lui permet également de brocarder le monde du travail dans Coucous Bouzon, en 2011, dans lequel un canard est recruté par une entreprise d'horlogerie ubuesque, et de moquer les "toutologues", les personnes capables de disserter sur tout et n'importe quoi dans Les Experts, (en tout)".
Pas facile d'être exposée au grand jour quand on fuit la lumière. Autrice et dessinatrice "solitaire", Anouk Ricard avait choisi le dessin pour être "tranquille" mais son sacre au festival d'Angoulême a tout chamboulé. "C'est beaucoup d'émotions, de joie, de fierté, mais aussi de stress", explique l'autrice. Cette soudaine exposition a produit une impression "bizarre" chez cette dessinatrice habituée à fabriquer ses albums humoristiques loin de l'agitation médiatique.
Si je fais du dessin, c'est parce que je ne suis pas capable de faire du théâtre.Anouk Ricard
"Si je fais du dessin, c'est parce que je ne suis pas capable de faire du théâtre. J'aurais peut-être pu faire rire en étant comédienne mais la scène me terrorise," avoue-t-elle. La forêt de caméras qui l'a accueillie lors de la remise du prix l'a d'ailleurs prise de cours. "Je ne pensais pas que ça allait être comme ça. Là j'ai eu l'impression d'être au festival de Cannes", raconte cette virtuose du non-sens. Un de ses albums-phare, Animan, paru en 2022, chronique ainsi la vie d'un homme qui partage la vie d'une grenouille et a la faculté de prendre l'apparence de n'importe quel animal, notamment d'une pieuvre pour peindre plusieurs tableaux à la fois. Une très libre réinterprétation de la série télé des années 1980 "Manimal" où un universitaire se transformait en aigle ou en lion pour résoudre des enquêtes.
Malgré ce pitch décalé, Anouk Ricard tient à injecter ce qu'elle appelle "une dose de réalisme". "Quand mon personnage devient un animal, il y a toujours au sol les habits qu'il vient d'enlever à côté. C'est une forme de cohérence", estime-t-elle.
On croit déceler dans certains des ses ouvrages --sur des petites perles pêchées dans la presse régionale ("Faits divers") ou sur une entreprise d'horlogerie dirigée par un caniche tyrannique ("Coucous Bouzon") -- une forme de satire sociale mais Anouk Ricard préfère ne pas verser dans l'analyse de son œuvre. "A partir du moment où on analyse trop ce qu'on fait, ça enlève de la créativité parce qu'on se ferme, dit-elle. Je pense que pour créer, il faut se laisser aller".
Ses histoires comme ses dessins, elle les bâtit d'ailleurs au fur et à mesure, sans jamais rien écrire à l'avance. "Je ne réfléchis pas trop à ce que je fais, c'est très intuitif. J'improvise toujours", raconte-t-elle, laissant la critique sociale à d'autres. "J'ai l'impression d'être dans mon monde, un peu dans la lune et parfois même à côté de la plaque, dit-elle. Mais ça me donne une liberté artistique".
Le grand prix d'Angoulême pourrait, espère-t-elle, ouvrir la voie vers une adaptation de ses BD en films d'animation ou faire naître d'autres projets. Un de ses rêves ? Reprendre le personnage de Droopy comme d'autres auteurs font revivre Astérix ou Lucky Luke, au prix peut-être d'un nouveau pas vers la lumière.
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