Anoushka, réalisatrice, promeut la "pornographie féministe"

"Porno" et "féminisme" ? Deux mots qui, à priori, ne sont pas destinés à se rencontrer. Et pourtant... La réalisatrice Anoushka revendique l'idée que les femmes puissent avoir des fantasmes érotiques et qu'il leur appartient de les transcrire au cinéma. Selon elle, la machine à fantasmes doit aussi, désormais, se conjuguer au féminin.
Image
Anouschka
Anoushka
©SB
Partager8 minutes de lecture
Elles considèrent leurs corps comme l'ultime terrain de liberté et d’expression - pour faire bouger les lignes et intégrer la femme au centre de cette machine à fantasmes qu’est le cinéma pornographique. Elles, ce sont les réalisatrices féministes dites pro-sexe. Anoushka est l'une des leurs.

Réalisatrice de pornos féministes

La jeune femme se lance dans l’aventure un peu par hasard. Après des études en cinéma, elle intègre French Lover TV, une chaîne à but éducatif sexuel... et pornographique. Au départ, elle est chargée de presse et de communication, puis la voici bombardée en qualité de directrice des programmes. Elle y fait la connaissance d’Ovidie, la "prêtresse du porno féministe" en France. Anoushka se reconnaît dans sa manière de vouloir faire du cinéma X et d’envisager la sexualité.

De ce coup de foudre amical va naître une vocation. Anoushka souhaite elle aussi donner une autre image de la sexualité, une autre place à la femme dans ce type de cinéma. Mission réussie. C'est précisément ce qu’elle développe désormais à travers ses productions sur son site Notasexpert.

Adolescente, elle fait partie de ces jeunes filles qui regardent du X avec leur compagnon par amour, pour faire plaisir et qui, comme beaucoup de femmes,  ne se retrouvent pas vraiment dans les clichés véhiculés par ce "porno à papa", mainstream ("classique"), calibré, codifié, souvent kitsch et sans réel scénario. 

Ni bimbo, ni gonzo

affiche blow away

Anoushka n’est pas le stéréotype de la bimbo siliconée. C’est un petit bout de femme d’une énergie débordante et d’une sensibilité à fleur de peau. On s’en aperçoit lors de son discours sur la scène du cinéma le Brady, lors de l’avant-première de son film Blow-Away, son nouveau long métrage destiné à Canal +.

Elle est timide, émue et très fière de pouvoir le présenter  comme on présenterait un film de cinéma "classique", heureuse aussi de pouvoir réunir pour l'occasion une partie de ses "performeurs" - ses acteurs et actrices de films X.

Ce thriller amoureux met en scène des sexualités multiples. Nous sommes loin, très loin, du plombier et de la ménagère ou de la secrétaire sexy retrouvant son patron à la pause déjeuner. Loin du "gonzo" également, du nom attribué à une catégorie de films X sans scénario, où se succèdent uniquement des scènes sexuelles.

Décider de son corps librement est une forme d'affirmation de soi et donc une forme de pouvoir.
Anoushka, réalisatrice

Anoushka fait avant tout du cinéma. Elle le revendique. Un cinéma où le sexe prédomine pour faire passer un message, celui de donner à voir non pas une sexualité mais des sexualités. "Décider de son corps librement est une forme d'affirmation de soi et donc une forme de pouvoir. Décider de ce qu'on veut faire de son corps, baiser à deux, à plusieurs, de manière tarifée ou ne pas baiser du tout est libératoire. Et ça m'a sauté aux yeux : nous manquons terriblement de "vrais" pornos. J'ai alors décidé de me lancer, encouragée par l'experte du genre, Ovidie. Mon premier film, Gloria a été tourné à Berlin pour mélanger la scène alternative berlinoise et mainstream française," précise Anoushka.

Ce serait donc cela, le porno féministe : plus ouvert à la différence, moins phallocentré où l’essentiel ne réside pas dans le "sacro-saint" acte de pénétration. "Le désir est aussi visible par des mains qui se crispent, l’extase des regards, le bruissement des peaux qui s'effleurent, se caressent. Il est évident que je vais mettre dans mon film une part de mes fantasmes, ce qui me plaît".

Féministe et éthique

Ne pas confondre porno féministe et porno féminin. Anoushka confirme qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui regardent ses productions. Des films tournés par une femme, avec un regard différent, une sensibilité différente, mais destinés à un public large et non genré.
 

Quand ça touche à l’intime, il faut savoir prendre le temps de nouer des amitiés, de faire des connaissances, d’expliquer, de rassurer.

Anoushka, réalisatrice

Le cinéma porno féministe se veut aussi éthique, a contrario du mainstream et du X de garage pro-am (pro-amateurisme) étudié par Robin d’Angelo dans Judy, lola, sofia et moi. Les conditions de tournage sont d’une importance capitale. Le respect et le consentement sont des valeurs absolues, des principes de base, explique la réalisatrice : "Ici, les salaires sont égalitaires, on est tous sur le même bateau, l’équipe technique, les performeurs. C’est plus qu’un simple tournage. C’est une aventure humaine. Quand ça touche à l’intime, il faut savoir prendre le temps de nouer des amitiés, de faire des connaissances, d’expliquer, de rassurer pour telle ou telle scène. Si cela doit prendre du temps et bien, on prendra le temps."

Porno de niche pas riche

Et pourtant le temps, et particulièrement au cinéma, c’est de l’argent. Ce cinéma de niche n’est pas le plus riche, les budgets sont évidemment beaucoup moins élevés que ceux du cinéma classique, et encore moins conséquents que ceux des productions célèbres comme, par exemple, celles de Marc Dorcel ou du site Jacquie & Michel Elite. Anoushka ne vit pas de sa passion pour les films X éthiques, elle vit de ses deux passions. Un boulot de réalisatrice free-lance rythme son quotidien et lui donne du recul par rapport à son autre métier. Elle avoue ne pas en être obsédée.

Anoushka caméra
©SB

Respect, fierté - les acteurs s'y retrouvent

Si les finances se marient harmonieusement avec l’enthousiasme des performeurs, (qui y voient une autre manière de militer), alors ce type de cinéma pornographique trouvera véritablement sa place. "On discute en amont pour définir les limites de chacun.e. Les corps sortent des stéréotypes. Il y a un respect qui fait que l’on peut faire tomber les barrières" affirme Kay Garnellen, performeur, réalisateur trans et pan-sexuel installé à Berlin et que l’on retrouve dans le film Blow Away d’Anoushka.

En effet, l’Allemagne est beaucoup plus ouverte que la France sur tous les sujets en lien avec la libre sexualité. En 2018, le parti social-démocrate (SPD) a même proposé que le porno féministe soit subventionné par l’état, ce qui, pour beaucoup, serait une véritable avancée dans un pays déjà porteur d’une importante scène alternative.

Romy Alizée - également à l'affiche de Blow Away- est fière de tourner dans des films féministes pour le message qu’ils véhiculent et l'empouvoirement qu’il lui confère.
Cette jeune artiste, modèle et photographe de 30 ans, a commencé sa carrière de performeuse dans My Body, my rules d’Emilie Jouvet, sorti en 2017, un film questionnant les normes corporelles, la nudité politique. Avant cela, difficile de sauter le pas pour la jeune femme, qui se vouait plutôt à une carrière d’actrice classique. C’est la lecture du livre d’Ovidie, Porno Manifesto, qui lui donna l'envie de se lancer.

Anoushka croit en un cinéma qui fait avancer le débat et qui déconstruit les prés carrés. Pour elle, le cinéma porno féministe est nécessaire, autant pour les femmes qui peuvent s’épanouir dans des scènes plus variées, que pour les hommes qui peuvent sortir de leur rôle de "beauf", de "macho" voire de "brute sexuelle", en éternelle démonstration de performance.

Sexe éducation

Et puis pourquoi ne pourrait-on pas éduquer à travers le cinéma X ? Par exemple, en donnant à voir une sexualité justement plus réaliste. Réaliser un cinéma porno qui ne soit pas toujours relégué à un cinéma de 3e zone. Pionnier en la matière, L’Empire des sens de Nagisa Oshima, film culte franco-japonais est d'ailleurs l’une des références et des influences de la jeune réalisatrice.

Pour celles et ceux qui soutiennent l’avènement du porno féministe éthique, l'heure est peut-être venue de  donner au "X" les moyens de se développer, de privilégier la qualité, et de s’assurer du bien-être de ceux qui en vivent et qui le font exister. Anoushka, avec ses productions, milite pour cela.
 

Pornographie féministe, mouvement né aux Etats-Unis

Le féministe « pro-sexe » est apparu aux Etats unis dans les années 1980 suite à la controverse « Sex Wars » qui scinda les militantes féministes en deux clans : d’un côté celles qui étaient opposées à la prostitution et à tout acte pornographique, allant jusqu’à en demander l’interdiction. A la tête de ce mouvement, Catherine Mc Kinnon considère la pornographie comme une incitation au viol et Andrea Dworkin, encore plus virulente, compare tout acte sexuel impliquant une pénétration vaginale avec un homme à un viol par essence.
De l’autre côté figurent toutes celles favorables à une liberté totale de la femme (le corps y compris). La philosophe Judith Butler et l’anthropologue Gayle Rubin défendent l’idée qu’une autre pornographie est possible, que le BDSM est une sexualité qui a aussi sa place et qui rend possible le « gender fucking » (qui fléchit les rôles de genre, ndlr). On est à la limite du féminisme queer (queer : idée, pratique, personne ou identité allant à l’encontre des normes structurant le modèle social hétéronormatif, ndlr).


>Références universitaires obligatoires féminines en Suède : Judith Butler contre Judith Butler
>Judith Butler, philosophe américaine, honorée et malmenée en Suisse


 
Annie sprinkle
« Public Cervix Annoucement  » d'Annie Sprinkle en 1990.
Annie Sprinkle , actrice, performeuse, écrivaine féministe américaine, porte ce message lors d’une performance qui reste à coup sûr la plus célèbre baptisée « Public Cervix Annoucement  » en 1990. Elle invite le public à contempler son col de l’utérus grâce à un spéculum inséré dans son vagin. Elle souhaite grâce à cette performance artistico-pornographique faire passer deux messages : tout d’abord lutter contre la méconnaissance de l’appareil génital féminin, mais aussi inverser les rapports et faire en sorte que la femme et son corps ne soient plus des objets passifs, mais bien des sujets actifs.

 
ovidie
Ovidie, sur le plateau du 64', à retrouver ici.

En France, l'ex-actrice de porno dit traditionnel, devenue réalisatrice et écrivaine, Ovidie est la figure majeure du mouvement prônant une pornographie féministe. Elle réalise une quinzaine de films X, mais aussi de nombreux documentaires. En 2016, elle co-réalise X-Girl contre Supermacho, film pornographique en deux volets avec la vedette américaine Stoya. Les deux parties du film montrent respectivement une vision féminine (réalisée par Ovidie) et une vision masculine (réalisée par Dist de Kaerth). En 2017, elle publie Libres ! Manifeste pour s'affranchir des diktats sexuels, illustré par Diglee (Éditions Delcourt).

Nos autres articles :

>La pornographie s’expose à Bruxelles, grandeurs et misères d’une mécanique de l’intime
>En Espagne, Amarna Miller s’affiche actrice, réalisatrice porno, et féministe
>Inde : la pornographie bannie d'Internet ?