Fil d'Ariane
Anoushka n’est pas le stéréotype de la bimbo siliconée. C’est un petit bout de femme d’une énergie débordante et d’une sensibilité à fleur de peau. On s’en aperçoit lors de son discours sur la scène du cinéma le Brady, lors de l’avant-première de son film Blow-Away, son nouveau long métrage destiné à Canal +.
Elle est timide, émue et très fière de pouvoir le présenter comme on présenterait un film de cinéma "classique", heureuse aussi de pouvoir réunir pour l'occasion une partie de ses "performeurs" - ses acteurs et actrices de films X.
Ce thriller amoureux met en scène des sexualités multiples. Nous sommes loin, très loin, du plombier et de la ménagère ou de la secrétaire sexy retrouvant son patron à la pause déjeuner. Loin du "gonzo" également, du nom attribué à une catégorie de films X sans scénario, où se succèdent uniquement des scènes sexuelles.
Anoushka fait avant tout du cinéma. Elle le revendique. Un cinéma où le sexe prédomine pour faire passer un message, celui de donner à voir non pas une sexualité mais des sexualités. "Décider de son corps librement est une forme d'affirmation de soi et donc une forme de pouvoir. Décider de ce qu'on veut faire de son corps, baiser à deux, à plusieurs, de manière tarifée ou ne pas baiser du tout est libératoire. Et ça m'a sauté aux yeux : nous manquons terriblement de "vrais" pornos. J'ai alors décidé de me lancer, encouragée par l'experte du genre, Ovidie. Mon premier film, Gloria a été tourné à Berlin pour mélanger la scène alternative berlinoise et mainstream française," précise Anoushka.
Ce serait donc cela, le porno féministe : plus ouvert à la différence, moins phallocentré où l’essentiel ne réside pas dans le "sacro-saint" acte de pénétration. "Le désir est aussi visible par des mains qui se crispent, l’extase des regards, le bruissement des peaux qui s'effleurent, se caressent. Il est évident que je vais mettre dans mon film une part de mes fantasmes, ce qui me plaît".
Ne pas confondre porno féministe et porno féminin. Anoushka confirme qu’il y a autant d’hommes que de femmes qui regardent ses productions. Des films tournés par une femme, avec un regard différent, une sensibilité différente, mais destinés à un public large et non genré.
Quand ça touche à l’intime, il faut savoir prendre le temps de nouer des amitiés, de faire des connaissances, d’expliquer, de rassurer.
Anoushka, réalisatrice
Le cinéma porno féministe se veut aussi éthique, a contrario du mainstream et du X de garage pro-am (pro-amateurisme) étudié par Robin d’Angelo dans Judy, lola, sofia et moi. Les conditions de tournage sont d’une importance capitale. Le respect et le consentement sont des valeurs absolues, des principes de base, explique la réalisatrice : "Ici, les salaires sont égalitaires, on est tous sur le même bateau, l’équipe technique, les performeurs. C’est plus qu’un simple tournage. C’est une aventure humaine. Quand ça touche à l’intime, il faut savoir prendre le temps de nouer des amitiés, de faire des connaissances, d’expliquer, de rassurer pour telle ou telle scène. Si cela doit prendre du temps et bien, on prendra le temps."
Et pourtant le temps, et particulièrement au cinéma, c’est de l’argent. Ce cinéma de niche n’est pas le plus riche, les budgets sont évidemment beaucoup moins élevés que ceux du cinéma classique, et encore moins conséquents que ceux des productions célèbres comme, par exemple, celles de Marc Dorcel ou du site Jacquie & Michel Elite. Anoushka ne vit pas de sa passion pour les films X éthiques, elle vit de ses deux passions. Un boulot de réalisatrice free-lance rythme son quotidien et lui donne du recul par rapport à son autre métier. Elle avoue ne pas en être obsédée.
Si les finances se marient harmonieusement avec l’enthousiasme des performeurs, (qui y voient une autre manière de militer), alors ce type de cinéma pornographique trouvera véritablement sa place. "On discute en amont pour définir les limites de chacun.e. Les corps sortent des stéréotypes. Il y a un respect qui fait que l’on peut faire tomber les barrières" affirme Kay Garnellen, performeur, réalisateur trans et pan-sexuel installé à Berlin et que l’on retrouve dans le film Blow Away d’Anoushka.
En effet, l’Allemagne est beaucoup plus ouverte que la France sur tous les sujets en lien avec la libre sexualité. En 2018, le parti social-démocrate (SPD) a même proposé que le porno féministe soit subventionné par l’état, ce qui, pour beaucoup, serait une véritable avancée dans un pays déjà porteur d’une importante scène alternative.
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Romy Alizée - également à l'affiche de Blow Away- est fière de tourner dans des films féministes pour le message qu’ils véhiculent et l'empouvoirement qu’il lui confère.
Cette jeune artiste, modèle et photographe de 30 ans, a commencé sa carrière de performeuse dans My Body, my rules d’Emilie Jouvet, sorti en 2017, un film questionnant les normes corporelles, la nudité politique. Avant cela, difficile de sauter le pas pour la jeune femme, qui se vouait plutôt à une carrière d’actrice classique. C’est la lecture du livre d’Ovidie, Porno Manifesto, qui lui donna l'envie de se lancer.
Anoushka croit en un cinéma qui fait avancer le débat et qui déconstruit les prés carrés. Pour elle, le cinéma porno féministe est nécessaire, autant pour les femmes qui peuvent s’épanouir dans des scènes plus variées, que pour les hommes qui peuvent sortir de leur rôle de "beauf", de "macho" voire de "brute sexuelle", en éternelle démonstration de performance.
Et puis pourquoi ne pourrait-on pas éduquer à travers le cinéma X ? Par exemple, en donnant à voir une sexualité justement plus réaliste. Réaliser un cinéma porno qui ne soit pas toujours relégué à un cinéma de 3e zone. Pionnier en la matière, L’Empire des sens de Nagisa Oshima, film culte franco-japonais est d'ailleurs l’une des références et des influences de la jeune réalisatrice.
Pour celles et ceux qui soutiennent l’avènement du porno féministe éthique, l'heure est peut-être venue de donner au "X" les moyens de se développer, de privilégier la qualité, et de s’assurer du bien-être de ceux qui en vivent et qui le font exister. Anoushka, avec ses productions, milite pour cela.