Elles menaient le combat depuis presque 3 ans. Celles que l'on ne voit pas, ces invisibles qui avaient choisi de devenir visibles pour dénoncer leurs conditions de travail: les femmes de chambre de l'hôtel Ibis Clichy-Batignolles. Après des mois de grève, elles ont enfin obtenu un accord. Nous les avions rencontrées quelques mois après le début de leur action.
"L’incroyable bonne nouvelle du jour : les femmes de chambre de l’hôtel Ibis-Batignolles ont gagné ! Elles ont obtenu gain de cause pour la plupart de leurs revendications ! 23 mois de lutte. 8 mois de grève. Et au bout, un accord historique !", tweete une journaliste. "Formidable! Un accord s'annonce pour les femmes de chambre d'
#IbisBatignolles, en lutte depuis 23 mois", tweete un autre internaute. La bonne nouvelle a vite circulé sur les réseaux sociaux, et c'est ainsi qu'elle est parvenue jusqu'à nous. De quoi provoquer des "youyou" de joie chez les groupes de soutien, syndicats et militantes féministes...
Un protocole d’accord, qui doit être finalisé mardi 25 mai, a été négocié entre la CGT des hôtels de prestige et économiques (CGT-HPE), AccorInvest, la foncière immobilière d’Accor, et STN, le sous-traitant du nettoyage employeur des salariés. Selon les syndicats, les avancées obtenues comprennent notamment des revalorisations salariales de 250 à 500 euros par le biais d’une prime de panier de 7,30 euros, d’une augmentation des qualifications, le passage de sept personnes à temps complet, et la cadence de travail dite "indicative" de 3,5 chambres nettoyées par heure passe à 3 chambres. Par ailleurs, 12 salariés, dont le contrat avait soit été rompu "illégalement", ou qui avaient été mutés sous couvert de "restrictions médicales", pendant le mouvement de grève sont réintégrés.
Les femmes de chambre
ont décidé de cesser leur mouvement qui durait depuis près de 22 mois, dont huit de grève et 14 d’activité partielle. Quelques mois après le début de leur action, nous étions allées à la rencontre de ces femmes pour recueillir leurs témoignages.
Sous-traitance = maltraitance !
"Mal au dos, mal aux pieds, frotter, frotter, il faut payer !" Tambours, microphones et banderoles à la main, elles sont plusieurs à s'activer devant la façade sans âme du Novotel de Chatêlet, en plein coeur de Paris. "
La sous traitance, c'est la maltraitance !" scande, comme un slogan, Ndiaye, femme de chambre depuis dix ans à l'Ibis Clichy-Batignolles. Avec 700 chambres, cet Ibis situé dans le 17e arrondissement est le deuxième plus grand de France et d'Europe, derrière celui de l'aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle. Jeudi 28 novembre 2019, les femmes de chambre de l'hôtel Ibis-Batignolles, à Paris, étaient réunies devant le Novotel de Châtelet pour protester contre leurs conditions de travail.
Ces femmes ne sont pas employées par le groupe AccorHotels (qui détient Novotel, Sofitel, Mercure, Ibis...) mais par un sous-traitant, la société de services STN. "On nous demande d’aller toujours plus vite, de faire toujours plus, s’indigne Ndiaye. On a toutes des problèmes de santé à cause du travail. J’ai une tendinite qui me fait très mal, certaines ont des blocages aux dos, d’autres le canal carpien bouché." Elles ont, pour la plupart, des contrats à temps partiel, des salaires qui ne sont pas fixes, et pas, ou peu de possibilité d’évolution de carrière malgré leur ancienneté.
Des avancées timides
Après dix-huit semaines de grève, les femmes de chambre obtiennent l’installation d’une pointeuse et une indemnité repas par jour travaillé de 3,62€, contre 7,24€ initialement demandés.
"Insuffisant" selon Sylvie, femme de chambre depuis sept ans.
"On demande le ralentissement de la cadence, ils nous installent une pointeuse ! Ils nous prennent pour des imbéciles," s’énerve-t-elle. Elles ont, la veille, rencontré le directeur de STN :
"sans succès", déplore Boubacar, équipier et unique homme participant à la grève.
"Il a affirmé ne rien pouvoir faire de plus pour nous." Parce que nous sommes des femmes, noires, pour la plupart immigrées, ils pensent pouvoir nous réduire au silence et ne pas respecter nos droits.Sylvie, gréviste
La sensation de ne pas être écoutées règne au sein de ces grévistes.
"Parce que nous sommes des femmes, noires, pour la plupart immigrées, ils pensent pouvoir nous réduire au silence et ne pas respecter nos droits. Nous avons une collègue qui a été sexuellement agressée par l’ancien directeur de l’Ibis Batignolles. Elle est en arrêt depuis deux ans. L’affaire est au pénal, mais ça n’a pas fait scandale", explique Sylvie
. Quelques chiffres : ► Dans le monde, une femme salariée sur 25 est une travailleuse domestique (
OIT, 2018)
► En France, 66% des femmes dans le secteur de la propreté gagnent moins 900€ par mois. 36% des salariés ont plusieurs employeurs. (
Le monde de la propreté, 2019)
► En France, les salariés de l’hôtellerie sont particulièrement exposés aux troubles musculosquelettiques (TMS). 98% des maladies professionnelles dans ce secteur sont liées aux TMS. (
CNAMTS, 2016)
► En France, 20 % des emplois du nettoyage sont occupés par des immigrés, une part deux fois plus élevée que pour l’ensemble des salariés. (
Dares, 2019)
Bien que galvanisées par le collectif, les grévistes commencent à accuser la fatigue et la lassitude.
"Au début, ça allait. Mais là, financièrement, ça commence à devenir très difficile de tenir", confie Ndiaye, qui ne perçoit plus qu’une compensation de salaire de la part des syndicats.
"J’élève seule mes enfants. Il faut continuer à payer le loyer, les courses, la cantine des enfants, l’électricité… Ça nous met un sacré coup au porte-monnaie."