Son histoire commence par un regard. Derrière son bureau de poste, dans la ville de Shumen, au nord ouest du pays, Dani Dukova reçoit un jour une femme et une petite fille. La discussion s’engage. « J’apprends que cette enfant a été placée dans une famille d’accueil. Son regard triste m’a touché tout comme l’engagement de cette femme d’accueillir des petits abandonnés par leurs parents. » Cinq ans plus tard, la postière est devenue assistante familiale. Elle a démissionné et entrepris les démarches pour obtenir l’agrément de famille d’accueil. Dans son modeste appartement, les rires d’Anna, 4 ans, la comblent. Avec ses couettes coquines, toute de rose vêtue, la fillette ne sait plus où donner de la tête. Dani a préparé un plat de biscuits au chocolat et Anna rêve d’y plonger la main. Une joie de vivre apprivoisée. « Comme elle a changé depuis son arrivée il y a un an ! Au début, à la sortie de son institution, elle se cognait la tête partout. » Souffrant d’un retard mental, la petite revient de loin. Abandonnée, elle a été placée dans l’une des 106 institutions du pays. Ce drame de l’abandon, des milliers d’enfants le subissent en Bulgarie.

Aujourd’hui, 7000 enfants et adolescents vivent séparés de leurs parents. 1500 sont abandonnés chaque année. Le résultat d’un héritage politique encore lourd à porter. « A l’époque soviétique, l’Etat était la mère de substitution pour les enfants abandonnés », explique Jean-Claude Legrand, responsable régional de la protection de l’enfance à l’Unicef. Un cordon ombilical plus idéologique qu’affectif. Car faute de soins, comment grandir et se construire ? C’est pour en finir avec ces terribles images de gamins hagards et livrés à eux-mêmes que la Bulgarie a décidé de fermer ces sinistres institutions. Ce plan de désinstitutionnalisation a été lancé en 2012.

En attendant des lendemains meilleurs, des centaines de femmes oeuvrent, au quotidien, pour adresser aux enfants un regard chaleureux, caresser une main à travers un lit à barreaux, jouer au ballon, donner un biberon, câliner, consoler, soigner. Comme Dani, la mère d’accueil, elles ont fait du sort de ces sans-familles le combat d’un métier, l’engagement d’un bénévolat. Dans la petite ville de Turgovishte, la directrice de l’institution locale ne tarit pas d’éloges sur cette chaîne de mères de substitution : « ce sont elles les héroïnes. Nos maigres effectifs ne nous permettent pas de mettre une soignante derrière chaque enfant. Alors nos personnels doivent se démultiplier. C’est un travail très dur. » A l’heure du goûter, une choupette sur les genoux pour la compote et une autre entre ses jambes prête à jouer, l’infirmière Zlatka Rizaeva n’arrête pas une seconde. « On parle finalement peu de notre métier. Les gens ici ne pensent pas beaucoup de bien de nos institutions. Notre métier est peu valorisé, mal payé. Alors, oui, parfois on est usées mais il faut oublier la fatigue quand on voit tout ce malheur. »

Oublier et patienter. Car la fermeture des institutions prendra des années. Il faut former des familles d’accueil, créer des structures pour les enfants handicapés (42% des enfants abandonnés), développer la prévention, l’adoption, renforcer l’accès aux soins pour les mères les plus précaires notamment les femmes de la communauté Rom, très touchées par le fléau de l’abandon… « Un défi énorme tant il faut changer les mentalités et avoir les moyens de le faire », reconnaît Annetta Semkova, chargée du dossier au ministère de la Santé. Un projet colossal dans un pays à la pauvreté grandissante et abonnée aux soubresauts politiques.
Loin des décisions ministérielles, Dani se console de sa modeste contribution. « Dans une famille d’accueil, nous ne gardons pas les enfants. Soit ils finissent par retourner dans leur famille, soit ils sont adoptés. J’en ai déjà vu partir cinq. Même si je me prépare, je pleure à chaque fois. La séparation est un choc. Mais je suis fière de ce que j’ai pu leur offrir. »
Loin des décisions ministérielles, Dani se console de sa modeste contribution. « Dans une famille d’accueil, nous ne gardons pas les enfants. Soit ils finissent par retourner dans leur famille, soit ils sont adoptés. J’en ai déjà vu partir cinq. Même si je me prépare, je pleure à chaque fois. La séparation est un choc. Mais je suis fière de ce que j’ai pu leur offrir. »