Arabie saoudite : nouvelle libération de militantes des droits humains

Les portes des prisons saoudiennes semblent donc s'entrouvrir pour les militantes détenues depuis près d'un an. Quatre d'entre-elles auraient été libérées, selon Reuters. Deuxième vague de libérations après celles de la blogueuse Eman al-Nafjann, la professeure retraitée, Aziza al-Youssef, et l'universitaire Rokaya Mohareb fin mars. D'autres activistes en détention attendent encore .
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six militantes saoudiennes
En photo, six des neuf activistes ayant subi de mauvais traitements dans les geôles saoudiennes. Lujain Al-Hathloul en haut à gauche, jeune militante ayant étudié au Canada, et deux pionnières du mouvement des femmes en Arabie saoudite : Hatoon al-Fassi, en haut au centre, et Aziza Al-Youssef, en bas à droite. Cette dernière a été libérée le 28 mars 2019.
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La nouvelle a été rendue publique par le bureau de Riyadh de l'agence de presse Reuters. Quatre femmes détenues depuis plus d'un an en Arabie saoudite viennent de recouvrer la liberté. Hatoon Al Fassi et Loujain Hathloul feraient partie de cette deuxième vague de libérations, après celle intervenue fin mars, au cours de laquelle Eman al-Nafjann, Aziza al-Youssef et Rokaya Mohareb avaient pu quitter la prison. 

Ces militantes avaient été arrêtées puis jetées en prison en mai 2018, un mois à peine avant la levée historique d'une mesure interdisant aux femmes de conduire dans le pays.

L'organisation de défense des droits humains ​ALQST,  qui documente et promeut les droits humains en Arabie saoudite, l'avait annoncé sur Twitter : "Aujourd'hui, à l'issue de la deuxième audience de leur procès, les militantes saoudiennes ont appris que leur défense était recevable et que la date de la prochaine audience leur serait bientôt communiquée, en l'absence de journalistes et diplomates" :


Elles faisaient partie d'un groupe de plus d'une dizaine de militant.e.s ayant défendu le droit des femmes à conduire ou demandé la levée du système de tutelle qui oblige les femmes à obtenir la permission d'un parent masculin pour de nombreuses démarches. Le procès des militantes, accusées de porter atteinte aux intérêts nationaux et d'aider les "ennemis de l'Etat", a été très suivi.

Des traitements de "choc" en prison

En novembre dernier, Amnesty International et Human Rights Watch avaient publié des témoignages sur leurs conditions de détention faisant trembler d'effroi.

Selon le communiqué d'Amnesty publié mardi 20 novembre 2018, les militantes détenues depuis mai dans la prison de Dhahban, au bord de la mer Rouge, ont été torturées à plusieurs reprises. L'ONG cite trois témoignages. L'un rapporte qu'au moins une militante a été suspendue au plafond, tandis qu'une autre a été sexuellement harcelée par ses interrogateurs, masqués.

{Selon 3 témoignages distincts que nous avons obtenus, les activistes de #ArabieSaoudite ont été à plusieurs reprises torturées par électrocution et flagellation. Dans un cas rapporté, l'une des activistes a été suspendue de force au plafond.]
 

Ces révélations choquantes de cas de torture, de harcèlement sexuel et d'autres abus mettent en lumière, s'ils sont confirmés, d'autres scandaleuses violations des droits humains par les autorités saoudiennes.
Lynn Maalouf, directrice Moyen-Orien chez Amnesty International

Pour Lynn Maalouf, directrice de recherches sur le Moyen-Orient à Amnesty, "Quelques semaines à peine après le meurtre brutal (du journaliste Jamal Khashoggi tué le 2 octobre au sein du consulat de son pays à Istanbul, ndlr), ces révélations choquantes de cas de torture, de harcèlement sexuel et d'autres abus mettent en lumière, s'ils sont confirmés, d'autres scandaleuses violations des droits de l'Homme par les autorités saoudiennes".

L’une des prisonnières ne pouvait plus se tenir debout et qu’une autre était prise de tremblements tels qu’elle ne pouvait pas saisir le moindre objet. L’une d’elles a tenté à plusieurs reprises de se suicider.
Human Rights Watch

Human Rights Watch apporte d'autres détails. Trois militantes ont été "embrassées de force". Selon ces sources, à l'issue de ces interrogatoires, les femmes présentaient des signes physiques de torture, notamment des difficultés à marcher, des tremblements incontrôlables des mains, ainsi que des marques rouges et des égratignures au visage et au cou. "Nous savons qu’à la suite de ces tortures, l’une des prisonnières ne pouvait plus se tenir debout et qu’une autre était prise de tremblements tels qu’elle ne pouvait pas saisir le moindre objet. Nous savons aussi que l’une d’elles a tenté à plusieurs reprises de se suicider", lit-on dans le rapport de HWR.

"Ces cas de torture mettent en évidence qu'il n'existe pas de limites à la cruauté absolue des autorités saoudiennes contre les critiques et les défenseurs des droits de l'Homme", estime Michael Page, directeur adjoint de HRW pour le Moyen-Orient.

Des accusations confirmées par le journal Le Monde qui cite une source souhaitant rester anonyme : "C’est du jamais-vu. Jusque-là, les femmes emprisonnées dans le royaume souffraient des irrégularités habituelles de procédures, comme la privation d’avocat, de médicaments ou de visites. Nous n’avions jamais entendu parler, dans le passé, de mesures aussi agressives."
 

Le quotidien cite plusieurs témoignages qu'il a recueillis auprès de ses informateurs : "les actes de torture ont cessé à partir du mois de septembre ou d’octobre, mais les mauvais traitements n’ont pas pris fin (...) Certaines des femmes sont toujours à l’isolement, sans pouvoir communiquer avec leurs proches. Les autres ont droit à un coup de téléphone toutes les semaines et seulement une visite de leur famille par mois »

Une liberté de conduire qui coûte cher

Plus d'une dizaine de militantes avaient été arrêtées entre les mois de mai et juillet 2018, les autorités les accusant de trahison mais aussi d'avoir voulu saper la stabilité du royaume. Une vague d'arrestations qui coincidait "étrangement" avec la levée de l'interdiction faite aux femmes de conduire. Décision présentée comme un signe d'ouverture sans précédent du régime saoudien.
 
Retrouvez ici notre article sur les Saoudiennes arrêtées:
>Droits des femmes en Arabie saoudite : conduire ou s'exprimer, il faut choisir
Certaines de ces militantes, notamment les plus âgées ont été relaxées. Pour les autres, au nombre de neuf, elles sont à ce jour encore derrière les barreaux, sans inculpation, et sans avoir pu bénéficier de la présence d'un avocat, précise Amnesty qui réclame leur libération "immédiate", appellant aussi les autorités saoudiennes à "lancer une enquête rapide, approfondie et efficace" sur les accusations d'abus et de torture.
 
aziza et loujain
Aziza Al-Yousef (à gauche), universitaire saoudienne et Loujain Al-Hathloul (à droite) ex-étudiante à l'Université de Colombie-Britannique (Canada).
©DR
Parmi elles, Aziza Al-Youssef, âgée de 60 ans. Cette universitaire, professeure et spécialiste en informatique est une pionnière de la cause des femmes dans le pays, et dont les premières actions remontent aux années 1990. Toujours en prison également, l'historienne Hatoun Al-Fassi, âgée d'une cinquantaine d'années.


Mais aussi des activistes plus jeunes, héritières des combats engagés par leurs ainées, comme Lujain Al-Hathloul. La jeune femme a déjà connu l'ombre des geôles saoudiennes. Il y a huit ans, elle avait arrêtée puis détenue pendant deux mois et demi, après s’être présentée à la frontière entre l’Arabie saoudite et les Emirats au volant d’une voiture.
 

Que fait le gouvernement pour demander que toutes ces militantes pour le droit de la personne soient libérées et capables de travailler en toute sécurité en Arabie saoudite ?
Hélène Laverdière, députée canadienne

Le 8 juin, la députée canadienne Hélène Laverdière avait pris la parole devant les parlementaires pour plaider la cause de Lujain Al-Hathloul, ancienne étudiante de l'Université de la Colombie-Britannique et celle de ses consoeurs, afin d'interpeller les autorités canadiennes.
 

Le rapport d'Amnesty cite aussi les noms des autres activistes toujours en prison : 
al fassi saoudienne militant
Hatoon al-Fassi, éminente militante pour les droits des femmes, également emprisonnée en Arabie saoudite.
DR
Iman al-Nafjan, Aziza al-Yousef, Samar Badawi, Nassima al-Sada, Mohammad al-Rabe’a, le Dr Ibrahim al-Modeimigh, ainsi que les défenseurs des droits des femmes Nouf Abdulaziz et Maya'a al-Zahran, et encore celui des activistes qui avaient déjà été persécutés dans le passé pour leurs activités en faveur des droits humains, tels que Mohammed al-Bajadi et Khalid al-Omeir.

Figure aussi sur cette liste, Hatoon al- Fassi, éminente militante des droits des femmes et universitaire. Cette dernière aurait également été arrêtée peu de temps après la levée de l'interdiction de conduire, elle a reçu début novembre le prix de la liberté académique de l’Association des études du Moyen-Orient, remis en son absence à la réunion annuelle de l’association.

Début octobre, dans un entretien accordé à l'agence Bloomberg, le prince Mohammed Ben Salmane, désormais connu sous le diminutif MBS déclarait ne disposer "d'aucune information suggérant qu’elles n’ont pas été traitées conformément au droit saoudien et aux procédures en vigueur en Arabie saoudite".
 

Les autorités saoudiennes n'ont pas réagi pour l'instant aux accusations des deux ONG, qui viennent ternir un peu plus encore l'image du régime saoudien, mis en cause dans l'affaire Khashoggi. Un royaume, qui, sous la houlette du prince héritier cherche depuis des mois à s'acheter une nouvelle conduite concernant les droits des femmes.
 
L'autorisation de conduire justement a été saluée à travers le monde. Un geste historique une nouvelle fois mis en avant le 4 octobre sur le compte twitter de l'ambassade de l'Arabie saoudienne en France, qui publiait un message félicitant les "120.000 Saoudiennes qui avaient demandé à passer leur permis". Silence twitter en revanche quelques semaines plus tard lorsque des Saoudiennes osaient défier les lois en portant leur abaya noire à l'envers.
Au royaume wahhabite, la libération des femmes se fait à deux vitesses, au volant des berlines de luxe, et à reculons à l'ombre de ses prisons.