Argentine : les voleurs de bébés devant la justice

Vol, enlèvement et usurpation d'identité de mineurs de moins de dix ans. Un délit considéré comme un crime contre l'humanité. D'anciens militaires argentins de haut rang répondent devant les tribunaux des cas de 34 enfants enlevés à leurs parents durant la dernière dictature. Le procès devrait durer plusieurs mois.
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Argentine : les voleurs de bébés devant la justice
“Elles ont toutes été dépouillées de leurs enfants“ : une affiche de l'association des Grands-Mères de la place de Mai, à la recherche de leurs disparus depuis 1976.
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La société civile a déjà condamné ce que ces gens ont fait. Maintenant nous voulons une condamnation institutionnelle. Et c’est cette solennité que l’on ressentait au tribunal». Luciano Hazan est avocat. Depuis huit ans, il fait partie de l’équipe juridique des Grands-Mères de la place de mai, l’association à l’origine de ce procès pas comme les autres en Argentine : celui de 34 bébés volés sous la dictature (1976-1983). Au total, quelque 500 enfants ont été soustraits à leurs parents détenus. Beaucoup ont vu le jour dans les centres de torture clandestins où les mères accouchaient, encagoulées et menotées. La plupart des nouveaux-nés étaient placés dans des familles de militaires. Objectif : les couper de leur environnement familial considéré comme subversif par les militaires. TERRORISME D’ÉTAT Le 24 mars 1976, l’armée prend le pouvoir et l’Argentine entre en « processus de réorganisation nationale ». Toute contestation doit être éliminée, en particulier si elle vient de gauche. Les activités politiques ou syndicales sont interdites, les instances judiciaires et le parlement placés en coupe réglée, exit les droits de la défense, même Freud est proscrit. Symbole des « grupos de tareas », ces groupes d’action qui agissent comme des escadrons de la mort, la fameuse Falcon noire dans laquelle tout suspect est embarqué. Les arrestations, sans mandats, ont lieu en pleine rue ou même au travail. Direction un des 340 centres de détention secrets répartis à travers le pays. C’est le terrorisme d’Etat.
CEUX QUI DONNAIENT LES ORDRES «Il y a déjà eu des procès pour ces vols d’enfant, explique Luciano Hazan, mais ils concernaient ceux qui remettaient les mineurs et ceux qui s’en appropriaient, c’est-à-dire les parents adoptifs. Cette fois-ci, c’est la hiérarchie, qui est sur le banc des accusés, ceux qui donnaient les ordres». Ils sont huit, dont Jorge Videla et Reynaldo Bignone, anciens chefs de la junte, actuellement derrière les barreaux pour d’autres crimes commis sous la dictature. Il y a aussi Jorge Acosta, surnommé « El Tigre », le tigre, de sinistre réputation : il était le chef des groupes d’action de l’ESMA, l’école de la marine. Cette caserne immense – 17 hectares - située dans le nord de Buenos Aires, verra passer 5 000 opposants ou supposés tels. C’est dans un des bâtiments des officiers que se trouvaient les salles de torture, à quelques mètres de la salle d’accouchement. L’ESMA est aujourd’hui transformée en lieu de mémoire et elle est ouverte aux visites.
Argentine : les voleurs de bébés devant la justice
La façade d'un des bâtiments de l''ESMA, une école de la Marine, à Buenos Aires, devenu centre de torture clandestin entre 1976 et 1983. (Crédit : SC)
D’après Luciano Hazan, la défense a peu d’alternatives. «Il y a beaucoup de preuves. Par exemple, le rôle de Videla est indiscutable. A l’époque de la dictature, il passait à la télévision. C’était public et notoire». Le procès pourrait durer un an. Il verra passer 370 témoins à la barre. Ils aideront le tribunal à déterminer si oui ou non il y a bien eu un plan systématique de vol de bébés. À ce jour, les Grands-Mères de la place de Mai ont retrouvé 102 de leurs petits-enfants. Parmi les autres, il y a ceux qui ignorent leur véritable identité et ceux qui refusent de la chercher. Des cas polémiques ont défrayé la presse, comme ceux de Marcela et Felipe Noble, les enfants adoptés par la propriétaire du puissant groupe de presse Clarin, soupçonnés d’avoir été volés.

Vidéo

par Silvina Carbone, Eric Falaiseau, Lionel Perron
Manuel s'est appelé Claudio jusqu'à l'âge de 19 ans. Il est fils de disparus. Depuis qu'il a retrouvé sa véritable indentité, Manuel s'est associé au travail d'Estela B. de Carlotto, présidente des Grands-Mères de la place de Mai, cette association de femmes argentines qui cherchent sans relâche leurs petits-enfants enlevés sous la dictature. Rencontre à Paris, en mars 2010.
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Ci-dessus, la "une" du quotidien Pagina 12 (gauche) sur l'ouverture du procès des enfants volés sous la dictature : "Voleurs de bébés". Tous les jours, le journal publie une photo d'un disparu. Les organisations des droits de l'Homme estiment à 30 000 le nombre de victimes de la dictature.
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Le Centre d'Information Judiciaire argentin met en ligne les premières minutes du procès des bébés volés. Huit militaires grisonnants, dont deux anciens dictateurs, sont sur le banc des accusés.