Fil d'Ariane
Les faits se sont déroulés alors que le couple venait de quitter la piste lors de la demi-finale. La jeune femme, également de nationalité russe, est l’épouse du danseur. Elle a "refusé de déposer plainte".
"L’agression a eu lieu et, dans la foulée, l’organisation du Mondial a condamné les faits, a porté assistance à la victime et pris la décision de disqualifier le danseur", a déclaré une source à l'AFP, sous couvert d’anonymat. L’organisation a refusé de donner l’identité des danseurs.
L’incident a été dénoncé par le Mouvement féministe du tango (MFT). Selon le MFT, plusieurs témoins ont rapporté que le danseur avait asséné un "coup de poing" à son épouse. Le collectif féministe a présenté un protocole à suivre en cas de violence contre les femmes dans le milieu du tango, intitulé: "L'importance de savoir comment agir face à différentes situations de violence".
"Nous avons la ferme conviction, qu'à l'image de notre société, nous ne pouvons plus invisibiliser les situations de violence de genre, nous exprimons notre solidarité avec notre consoeur danseuse agressée. (...) La violence physique est la pointe de l'iceberg, car il existe de nombreuses violences cachées, quotidiennes, considérées comme normales, qui forment un terreau culturel dans le milieu du tango.", lit-on dans ce communiqué publié sur Facebook.
A l'Usina del arte, le centre culturel de la capitale argentine qui accueillait la manifestation, 744 couples originaires de 36 pays et âgés de 18 à 99 ans participaient à la compétition. Des centaines d'autres couples amateurs ont pu assister à des cours, des concerts et des bals durant deux semaines. Tous et toutes réuni.e.s autour de la même passion, le tango, même si leurs visions divergent parfois.
"L'essence même du tango joue avec l'idée de la soumission de la femme, d'un homme macho et dominant. Mais si tel n'était pas le cas, serait-ce encore du tango ?", se demande Mariana Argüello, une Argentine de 26 ans assidue des milongas, soirées ouvertes aux initiés comme aux curieux et aux touristes. Il s'agit pour elle "d'un jeu de rôles nécessaire qui se met en place le temps que dure la musique".
Dans les coulisses, pendant que des candidates se maquillent et ajustent leur robes, dans un salon annexe, le Mouvement féministe du tango remet en question le côté macho de cette danse, classée par l'Unesco au patrimoine culturel de l'humanité en 2009.
Sur une petite piste, des apprentis danseurs assistent à un cours d'"échange de rôles", une variante du tango de plus en plus populaire où c'est la femme qui guide et non l'homme.
"Dans le tango traditionnel, il y a toujours eu une inversion des rôles car les hommes pratiquaient entre eux. Mais c'est nouveau pour la femme, car elle a toujours eu une attitude passive jusqu'ici", explique Adriana Vasile, danseuse et chorégraphe en charge de cette initiation.
Avec cette variante, "c'est la femme qui propose (les pas) et ça c'est fantastique", s'enthousiasme-t-elle à propos de ce qu'elle qualifie d'"évolution de la danse". "Le tango doit accompagner la marche du monde où (le rôle de) la femme a beaucoup changé et cela est en train d'arriver au tango", conclut-elle.
Cette nouvelle façon de danser, moins codifiée, se répand de plus en plus dans les milongas de Buenos Aires, où les soirées "classiques" côtoient celles dites "amicales", prisées par les plus jeunes.
Il y est normal de voir des danseurs du même sexe ou des couples mixtes qui échangent les rôles sur le parquet. "A un moment donné, ils changent (l'emplacement) du bras et c'est l'autre qui prend le contrôle", explique Soraya Rizzardini Gonzalez du MFT. Dans ces soirée "amicales", on ne danse plus sur certains tangos traditionnels dont les paroles sont trop machistes, voire violentes envers les femmes.
"Clairement, les premières paroles de tango étaient machistes, misogynes ou constituaient une véritable apologie du féminicide", affirme la militante en citant une chanson au titre trompeur: "Amablemente" ("Aimablement"). Elle raconte l'histoire d'une femme surprise dans les bras d'un autre homme et qui reçoit, à la toute fin, "34 coups de couteau".
Autre évolution liée à cette nouvelle tendance, c'est la femme qui invite l'homme sur la piste, ce qui est totalement proscrit par les codes traditionnels du tango.
"C'est ce qui s'est assoupli le plus rapidement. Avant, c'était mal vu et désormais, ça fait partie du nouveau paysage du tango", fait valoir Soraya Rizzardini Gonzalez. "En tant que féministes, nous faisons une critique de toute la logique de domination du tango, nous voulons que la danse soit un dialogue entre pairs".
Mais au Mondial de tango, c'est le modèle traditionnel qui domine encore. "Ce que l'on voit ce sont des stéréotypes sexistes: une femme sexualisée qui montre son corps et un homme dominant dont on ne voit que le visage et les mains. Mais il y a de nouvelles façons de vivre le tango, il faut juste les
découvrir", conclut la militante. Lors du concours en 2010, une nouveauté avait fait son apparition : l'acceptation de couples du même sexe.
Lors du 12e Mondial de Tango en août 2014, l'image avait fait sensation. A l’issue de la finale de la catégorie « Scène », le couple composé de Germán et Nicolás Filipeli s’est distingué comme la première paire de danseurs du même sexe à atteindre ce stade de la compétition, terminant même avec les honneurs à la 4e place du classement, à seulement 0,3 points derrière le couple vainqueur. Petite précision, s'ils portent le même nom, c'est parce qu'ils sont jumeaux et non un couple marié. Ce qui a sans doute changé la donne...
En septembre 2016, pour la première fois une exhibition de tango queer a été organisée à Buenos Aires, avec sur la piste, autant de couples d'hommes que de femmes. Figure après figure, à petit pas, note après note, et sans contrainte, le nouveau tango crée son empreinte.