Asia Argento, figure de proue de #MeToo, accusée d’abus sexuel : l’effet boomerang ?

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Asia Argento et Jimmy Bennett
Asia Argento (en 2012) et Jimmy Bennett (en 2010), ceux par qui le (nouveau) scandale arrive... 
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A quelques jours d’intervalle, le New York Times sort deux affaires de #MeToo renversé : des hommes accusent des femmes de les avoir abusés sexuellement. Après une célèbre philosophe, c’est au tour de la comédienne Asia Argento, figure de proue de la bataille contre Harvey Weinstein et l'industrie américaine du cinéma de passer sur le banc des accusés. L’actrice a démenti 24 heures après la publication. Mais Jimmy Bennett a réitéré ses plaintes. 

Mais qui donc se cache derrière ce mail crypté et anonyme envoyé à la rédaction du New York Times ? Un choix judicieux en tout cas. Le quotidien connu pour ses positions démocrates fut l’un des premiers (avec le magazine The New Yorker) à sortir l’affaire Weinstein, celle qui lança le mouvement #MeToo avec pour figure de proue la comédienne Asia Argento, accusatrice principale du producteur Harvey Weinstein et devenue depuis porte-voix du fameux mot dièse. 

Un dossier très (trop) bien ficelé...

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Une transaction financière avérée entre Asia Argento et Jimmy Bennett

Il y a d'abord ce qui semble certain et qui n'est pas contesté : une transaction financière a bien eu lieu au mois de mai 2018, entre Asia Argento et Jimmy Bennett, un acteur/musicien/rocker de 20 ans son cadet pour des faits qui remontent à 2013. L'actrice a accepté de payer 380 000 $ au jeune homme aujourd'hui âgé de 22 ans qui l'accusait de l'avoir abusé et qui menaçait de révéler les faits. Il affirmait avoir été profondément remué par les accusations qu'elle même maintenait chaque fois qu'elle en avait l'occasion contre son agresseur. Son avocat Gordon Sattro écrit dans son mémoire : "Ses sentiments à l'égard de cette journée ont été ravivés récemment lorsque Mme Argento s'est affichée comme l'une des nombreuses victimes de Harvey Weinstein ". 

Asia Argento fut en effet l'une des premières victimes du producteur à s'exprimer à visage découvert, aux côtés de douze femmes, dont les témoignages avaient été recueillis par Ronan Farrow pour le New Yorker. De conférences en apparitions publiques, dans des lieux aussi prestigieux que l'université Harvard, elle poursuit ses accusations contre les pratiques dégradantes à l'égard des femmes dans l'industrie du cinéma.

Elle récidiva encore une fois au festival de Cannes 2018, 10 jours après cet arrangement monnayé. Comme on peut le voir par un tweet épinglé en haut de son compte : "C'est le discours que j'ai écrit et que j'ai prononcé ce soir à Cannes. Pour toutes les femmes courageuses qui se sont présentées pour dénoncer leurs prédateurs, et pour toutes les femmes courageuses qui se présenteront à l'avenir. Nous avons le pouvoir #metoo", proclamait-elle alors. 

Un selfie, des échanges, et le mutisme des protagonistes

Ce qui est avéré aussi, c'est ce message soigneusement codé adressé au New York Times, contenant en pièces jointes plusieurs éléments qu'en principe seuls les avocats et les intéressés pouvaient connaître. Or le quotidien a échoué à contacter aussi bien Asia Argento, Jimmy Bennett, que leurs avocat.es. Celui du chanteur a même fait savoir que son client ne donnerait aucun entretien sur ce sujet.  "Dans les jours à venir, écrit Gordon Sattro dans un courriel, Jimmy continuera à faire ce qu'il fait depuis des mois et des années, c'est à dire de la musique."

Parmi les éléments envoyés, la copie du contrat et un selfie des deux protagonistes couchés dans un lit, il avait 17 ans, et elle 37 lorsque elle ou lui prit ce cliché. Cela se passait en Californie, un Etat ou l'âge du consentement sexuel est fixé à 18 ans. Avant cette majorité, tout.e adulte peut être passible de condamnation pour détournement de mineur.e avec lequel/laquelle il/elle aurait entretenu des relations sexuelles. 

Dans la colonne des choses établies, il y a encore cette demande initiale adressée à l'actrice au nom de Jimmy Bennett : 3,5 millions de dollars en dommages-intérêts pour avoir infligé intentionnellement de la détresse émotionnelle, une perte de salaire, des voies de fait, des coups et blessures. Le chanteur affirmait que jusqu'à cet événement survenu dans sa vie d'enfant à succès, il avait gagné plus de 2,7 millions de dollars au cours des cinq années précédant la rencontre avec Mme Argento en 2013, mais que depuis son revenu avait chuté à une moyenne de 60 000 $ annuels, une perte qu'il attribue au traumatisme sexuel.

Tout est absolument faux, je suis très choquée. Il n’y a jamais eu de relations sexuelles entre Jimmy et moi, juste de l’amitié. Nous avons agi par compassion
Asia Argento

Après avoir gardé le silence 24 heures durant, Asia Argento a déclaré au Guardian britannique que « jamais il n’y avait eu d’agression sexuelle contre Jimmy Bennett ». Les 380000 euros qui lui ont été versés ? C’est à l’insistance de son compagnon Anthony Bourdain que cela s'est fait, en raison des difficultés financières du chanteur, explique-t-elle encore. Et aussi, ajoute-t-elle, s’il l’a fait c’était pour éviter une publicité négative à celle qui venait de s’attaquer à Harvey Weinstein... « Tout est absolument faux, je suis très choquée. Il n’y a jamais eu de relations sexuelles entre Jimmy et moi, juste de l’amitié. Nous avons agi par compassion » conclut-elle... 

Ces propos n'ont pas plu à Jimmy Bennett qui lui a répliqué via son compte instagram : "Je n'ai rien dit ces derniers jours ou dernières heures, car j'avais honte et peur d'être pris dans le débat public. (.../...) J'étais mineur à l'époque (...) Je croyais qu'une telle situation, pour un homme, dans notre société, serait stigmatisée. Je ne pensais pas que les gens comprendraient ce qui s'est passé du point de vue d'un adolescent."

Hasards et conditionnel...

A ce stade de la lecture de l'article du New York Times, une étrange coïncidence surgit : Richard Hofstetter, l'un des autres défenseurs de Jimmy Bennett (il avait déposé la demande de dédommagement en novembre 2017) est aujourd'hui celui de l'ex-femme d'Anthony Bourdain, chef-cuisinier et vedette de la télévision, qui s'est suicidé le 8 juin 2018, et qui vivait avec Asia Argento depuis un an, la soutenant de toutes ses forces dans son combat #MeToo... Serait-ce là, la source anonyme des révélations médiatiques ? (Sur les réseaux sociaux circulent déjà des rumeurs autour de la mort de cette artiste des fourneaux et du petit écran qui pointent l’actrice... )

Et puis, il y a le conditionnel, ce que l'on devine à travers les assertions relayées du chanteur et les réponses de Carrie Goldberg en défense de Asia Argento. "Nous espérons que rien de tel ne vous arrivera plus jamais ", a-t-elle écrit à sa cliente. "Vous êtes une créatrice puissante et inspirante et c'est misérable de voir des individus minables exploiter vos forces et vos faiblesses."

Il y a aussi cette relation ambiguë, qui avait commencé à l'occasion d'un premier tournage entre cet enfant prodige de 7 ans et cette jeune interprète/réalisatrice de 27 ans, issue d'une lignée du cinéma italien  (Dario Argento, célèbre réalisateur italien - le père, Salvatore, grand producteur - le grand-père). "The Heart Is Deceitful Above All Things" (Le coeur est toujours trompeur, titre prémonitoire), réalisé (et interprété) en 2004 par Asia Argento, raconte la relation toxique entre une mère prostituée et son fils. 

Dix ans et des échanges épistolaires ou par réseaux sociaux interposés plus tard, ils se retrouvent, et voilà que le New York Times donne tous les détails, même les plus sordides, dont certains ne peuvent plus être vérifiés (nous avons rajouté les conditionnels dans la traduction) : 

Extrait du New York Times du 19 août 2017
"Le 9 mai 2013, donc le jour où ils devaient se retrouver au Ritz-Carlton à Marina del Rey, en Californie, Asia Argento poste sur son compte Instagram : "Dans l'attente de mon fils perdu depuis longtemps, mon amour @jimmymbennett impatiente, à #marinadelrey fumant des cigarettes comme s'il n'y avait pas de semaine prochaine."
M. Bennett répond : "J'y suis presque! :-)".
M. Bennett, qui souffre d'un trouble oculaire qui l'empêche de conduire, se présente dans la chambre accompagné de son chauffeur. Mme Argento demande alors au membre de la famille de partir afin qu'elle puisse être seule avec l'acteur. Elle lui aurait donné de l'alcool à boire, montré une série de notes qu'elle lui avait écrites sur le papier à lettres de l'hôtel. Puis elle l'aurait embrassé, poussé sur le lit, enlevé son pantalon et lui aurait offert un geste d'amour oral. Enfin, elle se serait mise à califourchon sur lui pour une pénétration. Elle lui aurait ensuite demandé de prendre un certain nombre de photos.
Plus tard dans la journée, elle poste un gros plan de leurs visages sur Instagram avec la légende "Happiest day of my life reunion with @jimmymbennett" (le plus beau jour de ma vie), et ajoute que "Jimmy sera dans mon prochain film".
Ce post et d'autres ont été inclus dans la demande de transaction, ainsi que trois photos apparemment prises par M. Bennett qui le représentent lui et Mme Argento au lit, leur torse nu exposés. (Une seule des photos prises au lit montre les deux visages).
C'est au retour chez lui,  dans sa famille que selon ses dires, Jimmy Bennett commença à se sentir "extrêmement confus, mortifié et dégoûté". Une famille qu'il accusera d'escrocrerie peu après... 
Un mois plus tard, le 8 juin 2013, il envoie à Mme Argento un message Twitter, "Miss you momma !!!!!!" (tu me manques maman !!!!)."

Et maintenant le grand bazar numérique

Inutile de dire que tous ces messages ont disparu du grand bazar numérique..., le compte de Jimmy Bennett a même été désactivé, puis réactivé, depuis ces révélations. 

Ce qui n'empêche pas la toile de se déchaîner entre ceux qui se réjouissent de voir l’accusatrice démasquée, ou qui se désolent des effets dévastateurs de cette transaction... on évitera de rapporter ici les pures injures.

J'ai dit à maintes reprises que le #metooMVMT est pour tout le monde, y compris pour ces jeunes hommes courageux qui sortent maintenant de l’ombre
Tarana Burke​, militante féministe américaine

On trouvera dans le florilège transatlantique ci-dessous, des donneurs de leçons, des attristés, des révoltés... Mais des moments de réflexion aussi, comme ce long monologue de l'une des autres initiatrices de #MeToo, la militante américaine, et directrice des programmes au Girls for Gender Equit, Tarana Burke : "J'ai dit à maintes reprises que le #metooMVMT est pour tout le monde, y compris pour ces jeunes hommes courageux qui sortent maintenant de l’ombre. Et oui, nous continuerons à être choqué.es lorsque nous entendrons les noms de certaines de nos championnes liées à la violence sexuelle, à moins que nous nous passions de parler des individus pour commencer à d’abord parler de rapports de pouvoir. La violence sexuelle est une question de pouvoir et de privilèges. Cela ne change pas si son auteur.e est votre actrice, activiste ou professeure préférée, quel que soit le sexe."

De quoi répondre par anticipation aux moralisateurs de tout poil... 
"Oh l'ironie, Jimmy Bennett est maintenant un #MeToo, écrit ce twitter à Asia Argento. Vous devriez nous rembourser !"

Ou encore :

Est-ce un hasard ? Le 15 août 2018, le New York Times s'interrogeait déjà à la Une, autour d'une autre affaire de #MeToo au masculin.

Ces histoires à leur tour très médiatisées mettront-t-elles un terme à cette parole des femmes sur tous ces actes de machisme, de sexisme, ces abus sexuels, ces viols, dont elles sont et restent victimes, beaucoup plus souvent que les hommes ?  

Nul doute qu'elles donneront du grain à moudre aux avocats d'Harvey Weinstein qui doivent se frotter les mains : plus que jamais ils diront que ces rappports sexuels étaient consentis et ils poursuivront à plaider non coupable. Déjà, Ben Brafman l’avocat du producteur déchu attaque : "tout cela révèlle niveau frappant d’hypocrisie d’Asia Argento, une des principales voix à avoir tenté de détruire Harvey Weinstein" qui dénonce aussi la « duplicité de son comportement », ajoutant que cette affaire « devrait démontrer à tous que les accusations contre M. Weinstein ont été mal vérifiées ».
 A suivre... 

Suivez Sylvie Braibant sur Twitter : @braibant1