Fil d'Ariane
Régulièrement - souvent pour le pire mais aussi pour le meilleur -Asli Erdoğan se rappelle à notre souvenir. Cette fois, c'est une bonne nouvelle : la romancière turque a été acquittée par un tribunal d'Istanbul, en même temps que la linguiste turque Necmiye Alpay, à l'issue d'un procès controversé qui avait suscité l'inquiétude de la communauté internationale.
Accusée de "tentative de porter atteinte à l'intégrité de l'Etat" et d'"appartenance à un groupe terroriste", Asli Erdogan qui réside maintenant en Allemagne était jugée pour avoir collaboré avec journal prokurde Ozgür Gündem, ainsi que d'avoir aidé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), qualifié de "terroriste" par Ankara. Sur le plateau de TV5MONDE, ce 14 février, elle réitère son innocence.
Mes très chaleureuses félicitations à @aslifeld, lauréate du @PrixBeauvoir pour la #liberté des femmes. Ce prix vient saluer son courage et son engagement sans faille pour l’émancipation des femmes, la défense de la #justice et de la #libertédexpression .
— Francoise Nyssen (@FrancoiseNyssen) 12 décembre 2017
"L'interdiction de voyager a été levée, mais il appartient désormais au ministère de l'Intérieur de trancher sur cette question". Erdal Dogan, l'avocat de la romancière, tempère la décision du tribunal turc qui, le 22 juin 2017, lève l'interdiction de se rendre à l'étranger imposée à Asli Erdogan, poursuivie pour "propagande terroriste". Le défenseur rappelle que les passeports des personnes jugées pour des activités "terroristes" sont confisqués ou annulés par les autorités sous le régime de l'état d'urgence en vigueur depuis le putsch manqué du 15 juillet 2016.
Saluant une "mesure positive", Asli Erdogan a une nouvelle fois rejeté les accusations de propagande. "Je suis innocente. On me fait payer juste parce que j'ai exprimé mon opinion au nom de la liberté d'expression", a-t-elle déclaré à la presse après l'audience. A cause de l'interdiction de sortie de territoire dont elle faisait l'objet, la romancière n'avait pas pu aller récupérer plusieurs prix littéraires qui lui avaient été décernés à l'étranger.
Le 29 décembre 2016, Asli Erdogan a donc quitté la prison pour femmes de Bakirköy, à Istanbul, où elle avait passé 132 jours en détention provisoire dans le cadre d'un procès pour appartenance à une organisation terroriste. "Je ne réalise pas encore, je suis sous le choc", a déclaré l'autrice, désormais en liberté sous contrôle judiciaire. "Je ne m'attendais pas du tout à être libérée", a-t-elle ajouté, les traits tirés et la mine épuisée. Par la suite, elle s'est installée à Francfort-sur-le-Main en Allemagne.
TURKEY Novelist Asli Erdogan hugs her mother after being released after over 4 months in jail on charges of terror propaganda. @ozannkosee pic.twitter.com/URcc0mBnNx
— AFP Photo Department (@AFPphoto) 29 décembre 2016
La linguiste Necmiye Alpay, qui fait partie des huit autres accusés de ce procès, a également bénéficié d'une décision de remise en liberté. Et a quitté la même prison qu'Asli Erdogan, en même temps que sa co-détenue. De même que Zana Bilir Kaya, ancien rédacteur en chef du quotidien Ozgür Gündem, fermé par décret-loi en octobre car accusé de "propagande terroriste" pour le compte de la rébellion kurde.
Les accusés n'étaient toutefois pas acquittés. Tous restaient accusés d'avoir collaboré avec Ozgür Gündem et d'être "membres d'une organisation terroriste", en l'occurrence le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ils risquaient la prison à vie.
Physicienne de formation et lauréate de nombreux prix, Asli Erdogan, qui n'a aucun lien de parenté avec le président Recep Tayyip Erdogan, a vu ses romans traduits dans plusieurs langues. Le dernier paru traduit en français, Le Bâtiment de pierre (Actes Sud, 2013), dénonce la torture et les conditions de détention en Turquie. En 2018, elle déclarait n'ettre toujours pas capable de se remettre à écrire. et préférer se concentrer sur les événements littéraires où elle est régulièrement conviée
En septembre 2016, la romancière et essayiste Mine Kirikkanat avait adressé un émouvant appel d'urgence à la libération d'Asli Erdogan :
Elles sont deux femmes de lettres à partager la même cellule au centre pénitencier de Bakırköy, à Istanbul.
Née en 1967 et physicienne de formation, Aslı Erdoğan était destinée à une belle carrière scientifique. Mais elle s'est consacrée à la littérature. Plusieurs de ses nouvelles et romans sont traduits en français.
Aslı Erdoğan n'est pas kurde. Mais une écorchée vive, une âme qui souffre pour l'humanité et une conscience qui demande justice
Mine Kirikkanat
Elle écrivait aussi des chroniques pour le quotidien kurde Özgür Gündem.
Aslı n'est pas kurde. Mais une écorchée vive, une âme qui souffre pour l'humanité et une conscience qui demande justice pour les victimes de cet état de guerre qui s'éternise, s'enlise entre Turcs et Kurdes.
Le journal Özgür Gündem fut interdit de publication le 16 juillet 2016 et l'on embarqua Aslı Erdoğan avec d'autres responsables du quotidien. C'était le lendemain de la tentative de putsch militaire, qui a échoué devant la force de la rue fidèle au président régnant.
La chasse aux putschistes est ouverte et continue en même temps que celle contre d'autres personnes supposées nuire à l'Etat et à l'unité du peuple - entendez les opposants au régime du président.
Aslı Erdoğan est en détention provisoire depuis le 19 aout 2016, inculpée de "propagande en faveur d'une organisation terroriste", "appartenance à une organisation terroriste", "incitation au désordre". Les chefs d'accusation sont liés à sa collaboration fictive avec le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, en guerre ouverte avec le pouvoir à Ankara, ndlr) via son engagement au quotidien Özgür Gündem.
Pourtant aucune de ses centaines de chroniques n'a été poursuivie en justice ; Aslı n'a jamais cité le nom du PKK dans ses articles. Son point de départ fut toujours de dénoncer les violations des droits humains et son point d'arrivée, d’appeler inlassablement à respecter les droits humains.
Elle souffre des séquelles de graves opérations chirurgicales subies dans le passé, elle a des douleurs, des peurs, des doutes et une sensibilité a fleur de peau.
En début de semaine, le 12 septembre 2016, Aslı a été conduite a l'hôpital et les journalistes qui ont suivi son retour à la prison ont fait un triste constat : elle qui n'a jamais manié une arme, mais seulement les mots, on lui a mis les menottes comme à une dangereuse criminelle. Ses geôliers qui, eux, manient plutôt les armes, ont les mains libres pourtant...
Necmiye Alpay, âgée de 70 ans, n'écrivait même pas des chroniques pour Özgür Gündem. Elle est académicienne. Linguiste reconnue de la langue turque, et francophone accomplie, elle a fait ses études à l’Institut d’études politiques d'Ankara, et a obtenu son doctorat à l'université de Paris-Nanterre. Elle écrit des articles pour la presse et publie des livres dont le sujet est invariable : la langue turque, ses mots, ses maux, le bien parler et le bien écrire.
En tant que linguiste, Necmiye Alpay a ses opinions sur le droit des kurdes à suivre l'enseignement dans leur langue maternelle
Mine Kirikkanat
Necmiye Alpay non plus n'est pas kurde, mais en tant que linguiste elle a ses opinions sur le droit des kurdes à suivre l'enseignement dans leur langue maternelle et comme Aslı Erdoğan, prône la paix entre Turcs et Kurdes.
Son nom apparaissait dans l'ours d'Özgür Gündem comme membre du comité des conseillers éditoriaux. Elle avait accepté ce titre totalement honorifique, pour soutenir la liberté de la presse. Pour que les Kurdes aussi puissent avoir pignon sur rue, dans la presse nationale.
Necmiye Alpay a été mis en garde vue et aussitôt déférée devant le parquet, le 31 août 2016, puis mise en détention provisoire aux côtés d'Aslı Erdoğan. Elle était inculpée d'appartenir à une "organisation terroriste", et de "nuire à l'Etat et l'intégrité du peuple".
Décidément, les hommes du pouvoir turc aiment les armes, n'aiment pas les mots, surtout dans la bouche des femmes, et mettent en prison celles et ceux qui font parler les mots sous la menace de leurs armes, en les accusant de s'armer !