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Angelita Meraz León était à la recherche de son frère, disparu depuis 2018. Elle a été tuée par balle mi-février 2024. Son histoire illustre le drame sans fin des mères, soeurs ou femmes de dizaines de milliers de disparus au Mexique.
Angela Meraz León
Perdre la trace d'un fils, d'un frère ou d'un mari, se substituer aux autorités pour les retrouver, morts ou vifs, risquer sa propre vie... L'histoire d'Angelita est celle de dizaines de milliers de proches de personnes disparues au Mexique.
La jeune femme de 27 ans, mère de deux enfants qu'elle élevait seule, a été tuée par balles dans son petit salon de beauté, le 8 février 2024 à la mi-journée, à Tecate, en Basse-Californie, dans le nord-ouest du Mexique.
Angelita Almeras Leon recherchait son frère José, disparu en juin 2018 dans cet état frontalier des Etats-Unis. La jeune femme était très active au sein du collectif Unión y Fuerza por Nuestros Desaparecidos (Union et force pour nos disparus). Comme tant d'autres regroupements du même genre dans le pays, "Union et force" fouille le sol dans l'espoir de retrouver un os ou toute trace d'ADN permettant d'identifier les êtres chers manquant à l'appel.
Il existe des dizaines de collectifs de recherche dans le pays, composés principalement de parents de victimes. Certains d'entre eux partent à la recherche de leurs proches avec des pioches et des pelles, souvent dans des conditions risquées et sous la menace.
Ces collectifs se substituant aux autorités judiciaires débordées et/ou défaillantes, dans des zones parfois contrôlées par le crime organisé, leurs membres, les femmes en particulier, deviennent à leur tour des cibles. "Depuis 2021, au moins huit 'chercheuses' ont été assassinées dans différents Etats du pays", selon l'organisation de défense des droits de l'homme Elementa.
Le travail des chercheuses heurte la logique de dissimulation des cadavres mise en oeuvre par les cartels. David Saucedo
"Leur travail heurte la logique de dissimulation des cadavres mise en oeuvre par les cartels", décrypte le consultant en sécurité David Saucedo qui parle de "narco-cimetières". "Les sicarios (tueurs à gage) cherchent à cacher les cadavres. S'il n'y a pas de cadavre, il n'y a pas d'homicide".
Angelita a-t-elle été tuée pour son travail de recherche au sein du collectif ou pour une autre raison ? Volontairement, son ex-conjoint s'est présenté au parquet pour "éclairer les faits", d'après les médias mexicains. Personne n'a été arrêté pour l'instant, a précisé un porte-parole du parquet de la Basse-Californie.
C'est le président Andres Manuel Lopez Obrador qui instille le doute dans les esprits. "On a déjà identifié le responsable présumé, assure-t-il au lendemain de l'assassassinat d'Angelita. C'est une affaire que nous devons considérer avec calme, sans rien anticiper. Mais tout indique qu'il n'y a pas de relation avec le fait qu'elle continuait de chercher une soeur (sic) disparue en 2018". Une déclaration contestée par les proches de la victime et les collectifs de recherche.
"Ce n'est pas un féminicide !", a réagi le collectif "Union et force", en demandant de ne pas "dévoyer" l'enquête." Comment est-il possible que nos autorités cherchent à refermer le dossier et à ne pas enquêter ?", ajoute Paula Sandoval, une proche d'Angelita, elle-même à la recherche d'un frère disparu en 2020.
Les autorités veulent "se laver les mains en disant que ce n'est pas à cause de son travail" de recherche qu'Angelita a été tuée, lance-t-elle sur Milenio TV : "Et oui, c'est à cause de son travail, parce qu'elle mettait à jour beaucoup de choses à Tecate et dans toute la Basse-Californie". D'autres groupes de recherche de disparus que "Union et force" ont demandé que justice soit faite.
"Par son travail, Angelita était devenue une figure de proue dans la défense des droits des personnes disparues et de leurs proches, ce qui la plaçait dans une situation de vulnérabilité", assure l'ONG Elementa dans un communiqué signé par plus de 200 organisations et personnalités. "Angelita était la cible de menaces, ce qui l'avait conduit à présenter trois plaintes et à chercher la protection des autorités", ajoute Elementa.
"Parmi les pistes d'enquête, il est fondamental de considérer son travail de recherche", estime le bureau des droits de l'homme des Nations unies au Mexique, dans un message de condamnation de l'assassinat publié vendredi, après le commentaire du président.
Un cas a déjà marqué les esprits depuis le début de l'année : le 17 janvier, une femme de 55 ans à la recherche de son frère disparu depuis 2018, a été enlevée dans l'état de Guanajuato par un commando armé qui a assassiné son époux et son fils.
Selon les registres officiels, le Mexique, qui compte 126 millions d'habitants, a enregistré 420 000 meurtres depuis 2006, la plupart d'entre eux attribués à des organisations criminelles. Le pays fait état de 114 000 disparitions depuis 1952, dont un grand nombre depuis 2006, après le lancement d'une offensive militaire controversée contre la drogue par le président de l'époque, Felipe Calderon.
La barre des 100 000 personnes "officiellement reconnues comme disparues" a été franchie en mai 2022, indique l'ONU, parlant d'une "tragédie déchirante". En outre, le pays fait état de quelque 52 000 corps non identifiés dans les morgues, parmi lesquels des disparus. Mi-décembre 2023, le gouvernement de López Obrador a revu ce chiffre à la baisse, annonçant que 16 681 personnes portées disparues avaient été localisées.
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