Attentat de Liège : Darifa Imaankaf, le courage calme d'une femme de ménage, héroïne invisible

Darifa Imaankaf, femme de ménage, a conversé avec Benjamin Herman, le terroriste qui venait de tuer deux policières et un civil. Cet échange d'une demi-heure a sans doute permis d'éviter un nouveau bain de sang. Sa bravoure est sobrement saluée par la classe politique... et les réseaux sociaux.
Image
Darifa
Darifa Imaankaf, une simple employée de 47 ans, Belgo-Marocaine et de confession musulmane, aujourd'hui héroïne discrète du drame vécu à Liège
(capture d'écran, retouche FV)
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Depuis les événements qui ont coûté la vie à trois personnes, Darifa Imaankaf ne cherche aucunement à attirer l'attention sur elle. Cette femme de 47 ans Belgo-Marocaine de confession musulmane  a pourtant reçu la visite du Premier ministre Belge, Charles Michel, et celle du ministre de l’Intérieur, Jan Jambon.  L’ensemble du Parlement lui a même rendu hommage. Aucune image n'a filtré.
Pour la députée PS Laurette Onkelinx, Darit Imaankaf, femme de ménage,  "incarne le courage et la bravoure des personnes humbles et anonymes".
Les réseaux sociaux évoquent  sobrement son courage  :
Lycée
Le lycée publique Léonie de Waha à Liège
(source : Wikipédia)
 "Je me suis retrouvée nez-à-nez avec le tireur"
Pour Darifa Imaankaf, ce devait être une journée ordinaire, pareille à toutes les précédentes. Cette femme de ménage sortait les poubelles du lycée quand elle a remarqué une certaine agitation.  Du côté du boulevard, proche de l’établissement,  des gens s'affolaient.

Elle raconte à nos confrères de la RTBF : "Je discutais avec le garde et puis j'ai vu le propriétaire de l'immeuble d'à côté qui rentre en courant dans le bâtiment et trois filles qui se mettent à hurler, puis qui commencent à courir à l'intérieur du bâtiment, j'ai voulu me diriger vers le propriétaire, qui est ressorti, et là, il y avait ma collègue Naima qui criait à la porte, mon collègue Lucien qui essaie d'ouvrir, je me suis dit "qu'est-ce que je fais?", et je suis allée refermer les portes qui se trouvent à l'intérieur du hall d'entrée, et donnent vers l'école. J'ai juste reclapé une porte et fait glisser une autre, et en me retournant je me suis retrouvée nez-à-nez avec le tireur, avec ses deux armes en mains"
policières tuées Liège
Lucile Garcia et Soraya Belkacemi, policières à Liège, ont été tuées par Benjamin Herman
(capture écran Facebook)

Des mains tachées de sang, celui des deux  policières abattues quelques instants plus tôt par Benjamin Herman. Il s'agit d'un délinquant multirécidiviste radicalisé.
Le terroriste les a d'abord poignardées à de multiples reprises avant de s'emparer de leurs armes de poing. Cyril Vangriecken, 22 ans, a été tué dans la foulée alors qu'il se trouvait avec sa mère dans une voiture à l'arrêt.
Darifa Imaankaf, à cet instant, ignore tout de ce triple drame.

"Penser aux frères palestiniens et syriens"

"Il m’a dit : "Je vais te poser deux questions. Tu es musulmane ? Tu fais le ramadan ?" J’ai dit oui. "Alors je vais rien te faire, mais il faut que tu m’écoutes, que tu fasses ce que je te dis et tout ira bien pour toi" .
L'homme transpire beaucoup mais il est calme.
Benjamin Herman
Benjamin Herman
(DR)
Darifa Imaankaf, prenant sur elle,  tente alors de le raisonner :
"Je lui ai dit qu’il n’était pas dans le bon endroit, t’es dans une école ici, il y a plein d’enfants. Et, à un moment, j'ai fait un signe avec mes mains pour montrer aux professeurs qui étaient dans la cour qu’il fallait qu’ils partent de la cour, mais je crois qu’ils ne
 Cyril Vangriecken
Cyril Vangriecken, tué le 29 mai
(Cyril Vangriecken/Facebook via AP)
comprenaient pas".

Elle lui demande : "Mais qu’est ce que tu fais dans une école ? C’est une école, des enfants ! Ce n’est pas ta place ici !" En guise de réponse, Benjamin Herman tire en direction de la cour de récréation. 
Darifa Imaankaf, alors,  craque. Elle pleure, hurle,  lui demande d’épargner les élèves."Il m’a dit d’arrêter, de penser à mes frères palestiniens et à mes frères syriens, que c’est pour eux que je devais pleurer alors je lui ai dit que je pleurais parce que j’étais en choc. Il m’a dit tu ne dois pas, ne te tracasse pas je ne te ferai rien".

Un temps précieux gagné pour l'évacuation des élèves.
Est-ce que cette discussion avec Darifa Imaankaf influence le terroriste ? Lui fait-elle changer ses plans ? Nul ne le saura jamais. Mais le tueur ne semble pas vouloir gagner les classes à proximité où, semble-t-il, l'évacuation des élèves a déjà commencé.

De même, Benjamin Herman ne cherche pas à s'échapper.
Darifa Imaankaf lui indique qu'il existe pourtant une autre issue à l'école. Son attention semble captivée par les forces de l'ordre qu'il sait à proximité : "Il a dit :  "je veux les faire bouillir", en montrant les policiers".
Lors de leur discussion, elle apprend  que Benjamin Herman est prisonnier et qu’il bénéficie d’une permission de sortie. D'autres minutes cruciales qui permettent l'évacuation des élèves. Hors de question pour lui de se rendre. "Si quelque chose doit se passer, c’est aujourd’hui " dit-il.
Belgique Liège
Un tracé à la craie marque l'endroit où une policière a été tuée devant un mémorial de fleurs laissé sur les lieux à Liège, en Belgique, mercredi 30 mai 2018.
(Photo AP / Geert Vanden Wijngaert)
Il a, croit-elle, choisi de finir en "martyr". 
Darifa Imaankaf raconte : "A un moment il m’a dit d’ouvrir la porte, de dire aux policiers de partir. On a ouvert une deuxième fois la porte, là il a jeté sa carte d’identité pour qu’on voit qui il était. Et la troisième fois j’ai vu qu’il ouvrait carrément la porte, moi je me suis retirée, je suis partie, et lui, il est carrément sorti, et voilà. Je crois qu’il avait conscience que c’était fini pour lui. Et il est sorti."
Le terroriste crie " Allahou Akbar "et tire sur les agents. Parmi eux, quatre seront blessés.
Benjamin Herman est aussitôt abattu.
L'attaque sera  revendiquée le lendemain par le groupe Etat Islamique (EI).

Cyril Vangriecken, sera inhumé lundi 4 juin 2018. Un rassemblement en hommage aux deux policières, Lucile Garcia, 54 ans, et Soraya Belkacemi, 44 ans, est prévu  le lendemain à 9H30.
On ignore le jour où Darifa Imaankaf, reprendra son travail au Lycée public Léonie de Waha. Cet établissemeng qui porte le nom d'une féministe belge, et brillante pédagogue du 19ème siècle. De femme à femme en quelque sorte.