Au Brésil, David Miranda, candidat aux élections législatives, contre le sexisme et l'homophobie

David Miranda, 33 ans, journaliste et militant LGBT de gauche, se présente à la députation ce 7 octobre 2018. Une élection qui se déroule conjointement à une présidentielle à l'occasion de laquelle l'extrême droite pourrait revenir aux affaires. Entretien à la veille d’un scrutin de toutes les incertitudes…
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David Miranda
David Miranda, du PSOL,  Partido Socialismo e Liberdade, en campagne pour être élu le 7 octobre 2018
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Au delà des frontières du Brésil, David Miranda fut d’abord connu comme le "compagnon de", celui de Glenn Greenwald, journaliste américain du Guardian britannique, qui publia les confidences en forme de révélations explosives d’Edward Snowden. Mais ce jeune Brésilien incarne surtout en ces temps d’élections générales au Brésil, l’anti Jair Messias Bolsonaro, ce militaire homophobe et sexiste (entre autres) qui aimerait tant restaurer la dictature dans son pays, avec l’aide des puissantes sectes évangéliques, et qui caracole au sommet des sondages pour le premier tour de la présidenttielle du 7 octobre 2018.

David Miranda, des bidonvilles à l'engagement, l'autre Brésil

David Miranda, journaliste, est lui candidat du "Partido Socialismo e Liberdade", abrégé en PSOL, né d’une scission en 2004 du Parti des travailleurs qui ne trouvait plus le parti de Luiz Inácio Lula da Silva devenu president assez révolutionnaire… David Miranda milite aussi pour les droits des homosexual.les au Brésil, des droits qui pourraient disparaître avec les succès grandissants des homophobes dans le plus grand pays d’Amérique du Sud. Entretien

J'ai décidé d'entrer en politique parce que j'ai réalisé l'importance de défendre la cause LGBT
David Miranda, candidat du PSOL

David Miranda : J'ai été élu conseiller de la municipalité de Rio de Janeiro par le parti de gauche PSOL (Socialisme et Parti de la liberté) à l'âge de 31 ans (en 2016, ndlr). Je suis né à Jacarezinho, un bidonville de Rio où j'ai vécu jusqu'à l'âge de 13 ans. J'ai travaillé depuis mon enfance pour survivre, ai été diplômé en marketing et me suis spécialisé en communication. Je suis le premier conseiller LGBT de Rio, marié au journaliste américain Glenn Greenwald. Je faisais partie de l'équipe de Glenn lorsque des reportages sur l'espionnage américain, ciblant des gouvernements de plusieurs pays, ont été publiés, espionnage dénoncé par Edward Snowden, analyste système dans une agence affiliée à la CIA. Pour cet acte, j'ai été détenu par le gouvernement britannique de manière illégale, dans le cadre de la loi antiterroriste. J'ai poursuivi l'Etat et gagné le procès. Depuis lors, je travaille avec les mouvements pour la démocratisation des médias et de l'information. A la Mairie, je consacre mon travail à la défense des droits de l'homme et de la justice sociale. Je veux souligner également ma lutte contre les LGBTphobies, le racisme et la criminalisation de la pauvreté, ainsi que pour la garantie des droits des fonctionnaires.

Terriennes : Qu’est-ce qui vous a décidé à vous engager politiquement ?

David Miranda : J'ai décidé d'entrer en politique parce que j'ai réalisé l'importance de défendre la cause LGBT, une confrontation qui implique les droits de l'homme. Je suis également devenu militant pour la liberté d'expression et le droit à la vie privée. Je veux me consacrer à ces causes, qui sont, à mon avis, des lignes directrices qui renforceront la citoyenneté à l’avenir. C’est pourquoi j’ai voulu briguer un mandat fédéral au Brésil, car je comprends que ce sont des défis plus larges que ceux d’un conseil municipal, ce sont des questions d’intérêt national et international. Alors, je me suis porté candidat pour siéger au Congrès brésilien aux élections législatives d'octobre 2018.

Depuis quand militez-vous pour les droits et la reconnaissance des personnes LGBTQ ?

David Miranda : Mon engagement pour la cause LGBT est ancienne. J'ai toujours agi contre les préjugés, l'intimidation, la LGBTphobie depuis l'université.

387 personnes LGBT, tuées au Brésil en 2017

transgenre Brésil

Cristian Lins, candidat transgenre du Parti du travail, aux élections du 7 octobre 2018

AP Photo/Silvia Izquierdo

Selon un rapport de l'ONG Grupo Gay de Bahia, dont le Guardian se fait l'écho, 387 personnes LGBT ont été tuées pour la seule année 2017 au Brésil, statistiques auxquelles il faut ajouter 58 suicides recensés en raison de ces violences, qui plus est en hausse de 30% par rapport à l’année 2016… Quelles sont les ressorts de ces LGBTphobies, dans le Brésil actuel ?

David Miranda : Il existe plusieurs raisons. Ici, dans la ville où je suis conseiller, à Rio de Janeiro, par exemple, le maire actuel est un évêque de l’Église universelle du Royaume de Dieu. Il confond souvent la religion et la politique et encourage ainsi les préjugés. Au cours de la première année de son administration, le défilé LGBT a presque été retiré du calendrier des événements de la ville. Avec cette attitude, le maire de Rio a pu dresser une partie de la ville contre la marche LGBT, sous prétexte que des fonds publics allaient y être consacrés. Ce qu'il n'a pas dit, c'est que le budget public pour l'événement est minime, puisque les besoins pour la parade sont des infrastructures publiques, comme des toilettes chimiques sur les trottoirs, par exemple.

Une des raisons à ce taux d'homicide, outre le nombre de meurtres records dans tout le pays, est selon Amnesty International l'absence de loi pénalisant les discours de haine LGBTphobes au niveau fédéral, créant un sentiment d'impunité. Allez-vous dans ce sens ? Pourquoi ?

David Miranda : L'homophobie n'est en effet pas un délit ou un crime car le projet de loi intérieure (PLC 122/2006) qui prévoit sa criminalisation a été définitivement abandonné. Si je suis élu député fédéral à cette élection, je m'efforcerai de reprendre ce débat et de formuler un nouveau projet de loi, avec la remise à jour de cet enjeu par le mouvement LGBT brésilien.

Les thérapies de reconversion sexuelle constituent une violation des droits de l'homme et n'ont aucun fondement scientifique
David Miranda

Depuis 2017, une décision du juge fédéral, Waldemar de Carvalho, autorise désormais les psychologues à proposer des prétendues thérapies de reconversion aux homosexuels. Ces thérapies avaient pourtant été interdites par le Brésil en 1999 pour leurs effets désastreux sur les patients… Quel regard portez-vous sur cette décision ?

David Miranda : Cette décision a provoqué l’indignation dans une bonne partie de la population. Le Conseil fédéral de psychologie lui-même s'est opposé à cette mesure en déclarant comprendre que les thérapies de reconversion sexuelle constituent une violation des droits de l'homme et n'ont aucun fondement scientifique. Il y a des poursuites en justice contre la décision de ce juge. J'ai fait plusieurs enquêtes publiques à ce sujet. C'est un autre sujet que nous avons l'intention de présenter à la Chambre des députés.

En 2013, le pasteur évangéliste, Marco Feliciano, accusé de propos racistes et homophobes, est élu président de la Commission des droits de l’Homme et des minorités. Sa présidence illustre-t-elle la montée en puissance des pasteurs et élus évangélistes, qui, au parlement comme au temple, sont les grands défenseurs de ses thérapies ?

David Miranda : Les pasteurs fondamentalistes néo-pentecôtistes prennent place dans chaque chambre législative du pays. Ici, à Rio, comme je l'ai dit auparavant, il y a un ancien maire de l'Eglise Universelle, dont l'élection a influencé le choix de plusieurs conseillers. Ce groupe crée une atmosphère de préjugés avec leurs discours rétrogrades et emplis de haine. La position de M. Marco Feliciano n'est pas conforme aux objectifs de la Commission des droits humains et des minorités de la Chambre des députés. Il a déjà été dénoncé, notamment par la presse, pour avoir expulsé des LGBT de lieux publics où ils étaient présents et pour avoir déclaré qu'il abhorrait le comportement homosexuel. Les manifestations ont été nombreuses lorsqu'il a été nommé président de la Commission. Donc, je le répète, il est nécessaire d’avoir plus de députés à la Chambre fédérale pour faire face à ces parlementaires fondamentalistes.

Poursuivre le combat Marielle Franco

Marielle Franco
Fresque murale de rue de l'artiste Aria Crespo à Rio de Janeiro de Marielle Franco, sociologue et militante des droits humains, assassinée le 14 mars 2018 à Rio, sans doute par des groupes paramilitaires
(AP Photo/Leo Correa)

Jadis, présidente de la Commission de Défense de la Femme, votre amie et collègue, Marielle Franco avait souhaité faire de son mandat un lieu de débat sur le genre, la sexualité, la favela et la  négritude. Que reste-t-il de ses actions plusieurs mois après son assassinat ?

David Miranda : Marielle Franco a été tuée en mars 2018 et à ce jour nous ne savons pas qui l'a assassinée. Mais grâce à la pression populaire, cinq projets de loi présentés par Marielle à la mairie ont été approuvés cinq mois après son décès. La plupart des propositions visent à lutter contre l'homophobie et le racisme et à défendre les droits des femmes. Malheureusement, les parlementaires conservateurs n’ont pas appuyé un projet de loi qui consiste a créé une journée de lutte contre l’homophobie, la lesbophobie, la biphobie et la transphobie. Nous essayons de faire adopter ce projet qui vise à mettre fin aux préjugés et aux brimades à l’égard des LGBT. L'un des projets approuvés propose la création d'une campagne permanente de sensibilisation et de lutte contre le harcèlement et la violence sexuelle dans les espaces publics de la municipalité, et les transports collectifs. Je peux vous garantir que, siégeant au sein du PSOL, nous surveillerons en permanence l'application des lois créées par Marielle Franco.

Son assassinat est-il un message à toutes les personnes dont elle se faisait la porte-parole ?

David Miranda : Celui qui a tué ou fait tuer Marielle a voulu faire taire tous ceux qui luttent pour les droits humains dans notre État. Faire taire la voix de la favela, de tous ceux qui réclament le droit à l'égalité sociale et à une vie plus digne. Mais ils ne nous feront pas taire. Au contraire, notre lutte s'est renforcée. Il y a eu une forte répercussion internationale. La population a signé une pétition avec plus de 20 000 personnes appelant à la justice pour Marielle et la population opprimée. Elle, qui est née dans la favela de Maré - l'une des plus pauvres de la ville de Rio, ndlr - est devenue une graine pour la libération du peuple brésilien.

Depuis plusieurs jours, la vidéo du calvaire de Tatiane Spitzner une avocate de 29 ans par son mari choque le brésil. Ce genre de meurtre est-il monnaie-courante ?

David Miranda : Tatiane Spitzner a subi une série de violences mortelles assénées par son mari. Quelques jours plus tard, une autre femme la courtière en immobilier Karina Garofalo a été tuée devant son fils de 13 ans à la demande de son ex-mari. Ce type de meurtre existe dans toutes les couches sociales du Brésil. Les hommes tuent parce qu'ils sont sexistes et tuent des femmes pauvres, riches ou de la classe moyenne. Dans l’État de Rio de Janeiro, une enquête nous a présenté des données alarmantes : une femme a été agressée toutes les 15 minutes. La plupart de ces crimes ont été commis par le compagnon. En dépit des chiffres importants, selon les experts, les données des postes de police ne représentent pas la réalité, car de nombreuses femmes ont encore honte de se signaler, ou craignent les menaces des hommes. Malheureusement, le gouvernement du président Michel Temer a conduit à un net retour en arrière, réduisant les ressources pour lutter contre la violence à l'égard des femmes, entraînant la fermeture de nombreux centres de soins pour femmes.

A retrouver dans Terriennes sur le meurtre de Tatiane Spitzner : 
> Féminicides et violences conjugales meurtrières au Brésil, la preuve par la vidéo surveillance
David Miranda en compagnie de Luciana Genro
David Miranda en compagnie de Luciana Genro, avocate et une femme politique brésilienne, candidate féministe à l'élection présidentielle brésilienne en 2014 sous l'étiquette des trotskystes du Parti socialisme et liberté. 
(c) Wikicommons

Que pensez-vous sur cette libération de la parole des femmes, ce #MeToo qui, depuis l’affaire Weinstein le 8 octobre 2017, s’étend internationalement ?

David Miranda : Les formes de lutte évoluent. Tout comme la mobilisation en faveur des droits des LGBT progresse, les organisations de femmes qui revendiquent la liberté ont acquis une nouvelle influence. Les unes et les autres sont en proie à l'oppression. Les femmes doivent s'unir de plus en plus, elles doivent montrer leurs particularités et leurs expériences pour exiger le droit d'être libre.

Les groupes d'extrême-droite n'ont plus honte de dévoiler leurs préjugés et leur haine.
David Miranda 

Depuis plusieurs mois, plusieurs gouvernement occidentaux (France, USA, Italie) durcissent leurs législations anti-immigration. Quelles conséquences cela peut-il avoir, à votre sens, pour les demandeurs d’asiles et réfugiés LGBT ?

David Miranda : Il est extrêmement important de créer des centres de soins pour les personnes LGBT persécutées dans leur pays et qui cherchent un soutien dans d'autres régions. Si tous les réfugiés devraient avoir droit à des politiques d'accueil, les LGBT ont besoin d'un soutien encore plus important, car ils subissent souvent des persécutions très violentes dans des pays qui ne respectent pas la liberté d'orientation sexuelle et l'identité de genre. Ils ont besoin d'un abri pour survivre, pour obtenir du travail et surtout pour avoir un soutien psychologique.

Croyez-vous que la société brésilienne va évoluer sur ces questions ?

David Miranda : Au Brésil, les groupes réactionnaires réagissent de plus en plus aux progrès que nous avons réalisés après des décennies de lutte. Les droits conquis et actés au Congrès national, tels que les quotas raciaux, mais aussi les droits garantis par la Cour suprême, tels que le mariage civil entre personnes du même sexe. Il y a des groupes d'extrême-droite qui n'ont plus honte de dévoiler leurs préjugés et leur haine. C'est un secteur de la société qui était caché parce qu'il n'y avait pas de place pour ce type de posture. Mais à partir du moment où les fondamentalistes ont accru leur espace de pouvoir, ces réactions ont augmenté.
Il y a peu de temps, un groupe de Brésiliens a expulsé des familles du Venezuela qui campaient dans le nord du pays, mettant le feu à leurs affaires. Un signe fort de xénophobie que nous n'avions pas encore vu au Brésil. Mais d'un autre côté, il existe un contrepoint très important provenant d'une partie de la société, qui n'est pas disposée à renoncer aux droits acquis, tels que le mouvement LGBT et la mobilisation croissante des femmes. À mesure que les actes d’intolérance se développent, il en va de même pour le rejet de ces groupes et la mobilisation pour les droits universels. 

Quels sont vos combats futurs ? Que préconisez-vous pour faire évoluer les mentalités ?

David Miranda : Nous sommes à un moment décisif pour notre pays, car nous avons besoin d’avancer dans la conquête de plus de droits. Toute tentative de conciliation avec les secteurs réactionnaires du pays nous mènera à des reculs importants. Nos futures batailles seront nécessairement menées dans les rues pour renforcer nos actions dans les parlements. Nous devons redonner au peuple brésilien l'espoir que le pays progressera dans la conquête de plus de droits. Que ce soit dans le domaine des droits individuels, ou principalement dans la restauration des droits historiques des travailleurs, qui ont été attaqués ces dernières années.