Fil d'Ariane
Le Brésil a beau évoquer des images de corps sculpturaux exhibés sur les plages, plus de la moitié des adultes, en réalité, y sont en surpoids. Des rondes qui ont aussi envie de mode, et pas seulement de vêtements pour cacher leurs formes. De jeunes entrepreneuses y veillent.
Letticia Munniz, mannequin XXL et animatrice télé au Brésil, fait la Une de Elle Brésil en avril 2023.
Dans le monde entier, la mode a montré, ces dernières années, qu'elle pouvait faire évoluer ses canons de beauté, avec davantage de créations dans des grandes tailles. Au Brésil, pays le plus peuplé d'Amérique Latine, avec 203 millions d'habitants, 57,25% des adultes sont en surpoids et 22,5% sont obèses, loin des stéréotypes de corps fins en maillots minimalistes sur les plages de Rio. Là aussi, le marché et les mentalités changent.
Lassée de ne pas trouver de vêtements à son goût dans les grandes tailles, Amanda Momente a créé sa propre ligne de mode pour les femmes rondes. Cette entrepreneuse de 34 ans qui vit à Sao Paulo explique qu'elle a été motivée par le fait d'avoir "longtemps été jugée par la société".
Concevoir des vêtements destinés aux personnes rondes, ce n'est pas faire l'éloge de l'obésité. On veut juste donner plus de choix. Amanda Momente
"Concevoir des vêtements destinés aux personnes rondes, ce n'est pas faire l'éloge de l'obésité. On veut juste donner plus de choix. La mode doit s'adapter aux corps, pas le contraire", estime Amanda Momente, qui vend ses articles en ligne ou dans des salons spécialisés. Lors d'une séance photo, elle arbore une combinaison noire cintrée de sa marque Wondersize, créée en 2017.
L'idée lui est venue en faisant du sport : les seuls vêtements qu'elle trouvait étaient trop serrés et devenaient transparents en s'étirant. Cette jeune femme à la crête rose et au cheveux ras sur les côtés a alors décidé d'abandonner son emploi d'agent immobilier pour se lancer dans le textile.
Si les marques les plus connues ont encore une offre limitée dans les grandes tailles, de petites entreprises visent à "répondre à la demande réprimée", dit Marcela Liz, présidente de l'Association Brasil plus Size (ABPS). Ce secteur a connu selon elle une croissance de plus de 75% en dix ans jusqu'en 2021, avec un chiffre d'affaires d'environ 9,6 milliards de réais (soit environ 1,77 milliard d'euros). "L'offre a augmenté, mais elle est encore inférieure à la demande", avec suffisamment de marge "pour que le chiffre d'affaires atteigne 15 milliards de réais (2,76 milliards d'euros) d'ici 2027". Mais le secteur doit faire face au défi "des coûts élevés pour produire à petite échelle, avec une plus grande quantité de tissus", tempère-t-elle.
La mode, ce n'est pas juste un bien de consommation, elle représente notre identité, notre dignité. Flavia Durante
Hauts transparents, jupes brillantes, t-shirts à messages... Au salon Pop Plus, qui a lieu en ce moment à Sao Paulo, des dizaines de clients, hommes et femmes, cherchent leur bonheur parmi des vêtements allant jusqu'à la taille 70 (164 cm de tour de hanches).
"Le marché voyait les personnes rondes comme des gens qui ne s'intéressent pas à la mode, avec pour seule intention de cacher leur corps", rappelle Flavia Durante, activiste et fondatrice de ce salon qui a lieu plusieurs fois par an, depuis 2012. "Il y a eu une évolution. Avant, on ne trouvait que des vêtements, pas des articles de mode. La mode, ce n'est pas juste un bien de consommation, elle représente notre identité, notre dignité", affirme-t-elle.
Letticia Munniz, présentatrice de télévision et mannequin plus-size de 33 ans, a fait la couverture de magazines et défilé dans plusieurs éditions de la Sao Paulo Fashion Week. Malgré certaines avancées, elle considère que la mode n'est pas encore assez inclusive. "Nous ne sommes pas sur un pied d'égalité", dénonce cette jeune femme aux longs cheveux bruns.
Tout change quand tu portes des vêtements qui mettent ton corps en valeur au lieu de le cacher. Letticia Munniz
La plupart du temps, dans les défilés comme dans les publicités ou dans les émissions de télévision, les personnes rondes apparaissent au compte-goutte, "comme s'il fallait un quota", déplore-t-elle. Et cette présence ponctuelle ne se traduit pas forcément par une plus grande gamme de grandes tailles dans les rayons des grandes marques, dénonce cette mannequin suivie par plus d'un million d'abonnés sur Instagram.
La plupart des vêtements qu'elle porte lors de campagnes publicitaires ou sur les photos qu'elle publie sur les réseaux sociaux sont faits sur mesure. "Tout change quand tu portes des vêtements qui mettent ton corps en valeur au lieu de le cacher", écrit-elle dans une de ces publications.