Au Brésil, quand l'interdiction de l'avortement nourrit le système mafieux

A dix jours du 2ème tour de la présidentielle brésilienne qui oppose la sortante du Parti des Travailleurs Dilma Rousseff  au social-démocrate Aecio Neves, la police brésilienne a démantelé le principal réseau d'avortements clandestins de Rio de Janeiro et sa banlieue, incluant des médecins, des policiers et des avocats. L'organisation demandait jusqu'à 7.500 reais (près de 2.500 euros) par avortement, pratique qui reste illégale au Brésil (comme presque partout en Amérique latine) sauf en cas de viol ou de risque vital pour la femme enceinte. Un sujet sensible dans ce pays catholique, devenu enjeu électoral...
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Au Brésil, quand l'interdiction de l'avortement nourrit le système mafieux
Manifestation pour le droit à l'avortement au Brésil (Photo : AFP)
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En 2010, une enquête révélait une situation sanitaire effrayante pour les Brésiliennes qui cherchaient à avorter. Selon les données du Service unique de santé (SUS, public), une femme avortait alors toutes les 33 secondes au Brésil, et l'avortement clandestin tuait une Brésilienne tous les deux jours, soit deux cents décès en moyenne chaque année. L'interruption volontaire de grossesse est soumise à un régime très stricte au Brésil, où l'église catholique reste très influente, comme dans la plupart des pays d'Amérique latine. Elle est interdite dans l'absolu, autorisée seulement dans certains cas, notamment en cas de viol avéré ou lorsque la vie de la mère est en danger.

Les médecins avaient pourtant demandé à ce que l'avortement soit dépénalisé en 2013, et le sujet n'a pas été oublié dans la campagne électorale de cet été et début d'automne 2014, surtout parce que deux femmes s'y affrontaient avec des positions divergentes. L'évangéliste écologiste Marina Silva était hostile à son extension tandis que Dilma Rousseff promettait de trouver une réponse au sein de la santé publique, et dans le cadre de la loi, pour éviter les malheurs de cette pratique clandestine. Mais du bout des lèvres, comme lors de sa campagne en 2010. Le 21 mai 2014, sous son impulsion, un arrêté avait été promulgué par le ministère de la Santé visant à faciliter les avortements légaux. Une avancée minime tout de suite supprimée sous la pression des partis conservateurs et la peur de perdre des électeurs dans l’optique des élection présidentielle 2014.

Un cas d'école, cqfd

C'est dire que le coup de filet opéré ce 14 octobre 2014 peut rebattre les cartes sur ce sujet, et obliger les deux finalistes, la sortante du Parti des Travailleurs Dilma Rousseff et le social-démocrate Aecio Neves (hostile à l'IVG), à s'engager de façon plus directe. La clandestinité où sont poussées les candidates à l'avortement dévoilant un système mafieux, indigne d'une grande puissance des BRICS comme le Brésil.

A dix jours du 2ème tour de la présidentielle brésilienne la police brésilienne a donc démantelé le principal réseau d'avortements clandestins de Rio de Janeiro et sa banlieue, incluant des médecins, des policiers et des avocats. L'organisation demandait jusqu'à 7.500 reais (près de 2.500 euros) par avortement...

57 personnes ont été arrêtées, dans le cadre de cette opération policière baptisée "Hérode" et lancée le 14 octobre 2014 à l'aube. L'un des chefs présumés de l'organisation, le médecin Aloisio Soares Guimaraes, qui pratiquait des avortements depuis 1972 à Copacabana, a été interpellé, tout comme le major de la police militaire Paulo Roberto Nigri et l'inspecteur de police Alexandre Vieira de Lima, qui "protégeaient" la clinique d'avortements de Copacabana - la plus rentable.
                 
"Cela se faisait aussi dans des locaux insalubres et sans aucune condition d'hygiène, mettant en risque l'intégrité physique et la santé des patientes", a souligné la police.
                 
Sept centres clandestins ont été démantelés dans les quartiers de Copacabana, Botafogo, Tijuca, Campo Grande, Bonsucesso, Rocha et Guadalupe dont le chiffre d'affaires allait jusqu'à 300.000 reais (près de 100.000 euros) par mois.
                 
Parmi les détenus et recherchés (75 mandats d'arrêt au total ont été lancés) figurent des médecins, des policiers, des avocats, des pompiers et des militaires de l'armée de terre.
                 
Cette opération mobilise 70 commissaires et 430 policiers, ainsi que des inspecteurs de la police militaire et de l'armée.
                 
L'enquête, la plus importante de ce genre, a duré 15 mois et a montré que 2.000 femmes auraient avorté dans des cliniques clandestines du réseau dont 80 ont été entendues par la police.

La tragédie au quotidien
              
Deux cas récents ont attiré l'attention de la société, rappelle le site d'informations G1. Jandira Magdalena dos Santos, 27 ans, est morte fin août 2014 pendant un avortement clandestin dans la zone ouest de Rio. Son corps a été retrouvé carbonisé dans un véhicule. Après un mois d'enquête, neuf personnes ont été arrêtées.

Elizangela Barbosa, 32 ans, est morte le 20 septembre 2014 après un avortement à Niteroi (banlieue de Rio). Elle était enceinte de cinq mois. Lors de l'opération, un tube en plastique a été oublié dans son utérus, selon les médecins légistes. Son mari a déclaré à la police qu'elle avait payé 2.800 reais (plus de 900 euros) pour avorter.

Si Dilma Rousseff est réélue aura-t-elle le courage de faire bouger les lignes sur ce qui reste un tabou ? Rien n'est moins sûr... Reconduite à la tête du Chili en décembre 2013, Michelle Bachelet, qui fut aussi la première directrice de ONU Femmes, n'a toujours pas tenté de réformer le non droit à l'avortement dans son pays, l'un des plus sévères en la matière, contrairement à ses promesses de campagne...
 
Au Brésil, quand l'interdiction de l'avortement nourrit le système mafieux
Jandira Magdalena dos Santos, morte en août d'une ivg clandestine, suivie par Elizangela Barbosa, décédée en septembre...