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Quatre skieuses canadiennes de haut niveau ont pris le risque de sortir de l'anonymat pour prévenir les systèmes de prédation sexuelle dans le sport Récit de notre partenaire Radio-Canada. Durée : 3'05
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Au Canada, des skieuses agressées par leur entraîneur réclament des changements majeurs dans le sport

C’est la voix coupée par l’émotion, encore très vive, que quatre ex-skieuses canadiennes ont raconté, ce 5 juin 2018, le calvaire qu’elles ont enduré avec leur entraîneur Bertrand Charest qui a abusé d’elles – et de 5 autres skieuses – physiquement et psychologiquement, des années durant.

Elles ont parlé, pour se libérer, mais surtout pour prévenir : pour éviter que des jeunes athlètes subissent à leur tour de telles horreurs.

Prédateur sexuel

Bertrand Charest a été condamné à 12 ans de prison ferme, en décembre 2017 pour ces agressions sexuelles à répétition sur 9 skieuses qu’il entraînait. Il a été reconnu coupable de 37 chefs d’accusation pour des crimes à caractère sexuel commis entre 1991 et 1998 sur ces jeunes filles qui étaient alors âgées de 12 à 18 ans.  Et il a fait appel de ce jugement. 

Mais le public ignorait, jusqu’à mardi, qui étaient ses victimes. On sait maintenant que les skieuses Geneviève Simard, Gail Kelly, Anna Prchal et Amélie-Frédérique Gagnon en faisaient partie. Elles ont raconté durant le procès comment l’entraîneur les avait agressées sexuellement à répétition. Ce mardi 5 juin 2018, alors que par le hasard des calendriers, de l'autre côté de la frontière Harvey Weinstein plaidait non coupable pour les mêmes chefs d'accusation, elles l’ont raconté publiquement. 

Un appel pour prévenir

Si ces quatre femmes ont décidé de prendre la parole alors que le procès est terminé, c’est pour demander aux gouvernements de mettre en place le plus vite possible des mesures efficaces pour éviter la répétition de tels drames. Car pour rajouter à l’horreur de ces histoires, il semble que plusieurs personnes qui frayaient dans le milieu du ski canadien étaient au fait des agissements de Bertrand Charest, mais elles n’ont rien fait pour y mettre fin. 

Amélie-Frédérique Gagnon a déclaré : « dans mon cas, il y avait des adultes responsables qui étaient au courant de mon histoire et des abus et ils ont choisi de fermer les yeux et de ne pas me protéger, il y a eu 11 autres victimes après moi, ça, ça m’attriste énormément, j’ai encore beaucoup de colère pour cette personne qui aurait pu sauver ces personnes après moi ». La jeune femme a dû subir un avortement alors qu’elle n’avait que 15 ans. 

Cette complicité des adultes est aujourd'hui dénoncée par nombre de personnes publiques ou éditorialistes. Dans le Journal de Montréal, Richard Martineau dénonce cette complicité collective et coupable :
"Pour chaque pédo qui agresse, combien de gens savent, mais ne disent rien ?
Combien de témoins passifs ?
Combien d’autruches ?
Combien de complices silencieux ?
Ce n’est pas vrai qu’un prêtre, un comédien, un réalisateur, un entraîneur ou un chef scout peuvent agresser des enfants ou des ados pendant des années sans que personne autour ne soit au courant.
C’est impossible.
La force de ces gens-là, c’est notre silence.
Notre peur.
Notre complaisance devant l’argent, le pouvoir et la célébrité
."

Ça m’a pris tout mon petit courage d’adolescente pour dénoncer mon entraineur et tout de suite on m’a demandé de signer une décharge…
Gail Kelly, skieuse

Gail Kelly réclame des changements pour que le sport de haut niveau soit pratiqué en toute sécurité par les jeunes : « Je suis maman de trois enfants qui pratiquent déjà des sports et en ce moment, sous aucune considération, je ne les verrais évoluer dans un sport au niveau provincial ou national avec les mesures de sécurité qui sont en place » a-t-elle précisé. Gail Kelly a raconté qu’en 1998, elle avait participé, avec d’autres skieuses, à une rencontre avec les responsables de Canada alpin pour parler des rumeurs entourant les agissements de Bertrand Charest. Elle avait alors vidé son sac : « Je venais de dénoncer mon entraîneur. Ça m’a pris tout mon petit courage d’adolescente pour le faire et tout de suite on m’a demandé de signer une décharge… on m’a résumé ça en deux lignes que c’était pour les protéger eux et que jamais on ne pourrait revenir contre eux ». Autrement dit, la jeune fille d’alors venait de se faire museler, ni plus ni moins. 

J’aurais aimé ne pas tomber dans son piège, mais je n’avais pas la maturité, j’étais une enfant
Geneviève Simard, skieuse

Geneviève Simard, qui a participé à deux Jeux olympiques, dénonce elle aussi cette omerta qui a permis au monstre de poursuivre ses agissements. Dans une entrevue à la journaliste Jacinthe Taillon de Radio-Canada, elle raconte comment cet homme a détruit son adolescence, comment elle a dû trouver refuge dans la baignoire d’une chambre d’hôtel à Toronto un jour parce qu’il avait décidé de ne prendre qu’une seule chambre pour elle et lui et que c’était le seul endroit pour elle d’être en sécurité après avoir refusé ses avances insistantes. Comment il manipulait ses victimes en montant les jeunes filles les unes contre les autres ou en refusant de les coacher si jamais elles refusaient ses avances. Comment elle continue de livrer une bataille tous les jours pour se débarrasser de ce sentiment de honte qui lui colle à la peau : «  J’avais tellement honte, si je pouvais ne pas être une de celle à qui c’est arrivé, je serai tellement contente, j’aurais aimé ne pas tomber dans son piège, mais je n’avais pas la maturité, j’étais une enfant »

Geneviève Simard regrette de n’avoir jamais eu d’excuses officielles de la part de Canada alpin, encore moins de la part de Bertrand Charest : « Pendant le procès, je n’ai jamais senti qu’il avait des remords, il avait l’air de s’en foutre, zéro zéro zéro remords… il a 12 ans pour réfléchir ».  

Les dirigeants de Canada alpin font maintenant leur mea culpa : « C’est inacceptable, nous ne voulons pas que ces choses-là se répètent, et nous sommes désolés de ce qui s’est passé, il faut apprendre de ces situations »  a déclaré Vania Grandi, présidente de Canada alpin. 

« Des officiers de sécurité indépendants » dans chaque fédération sportive

Geneviève Simard et les trois autres femmes ont voulu briser le silence pour que la jeune génération ne subisse pas ce qu’elles ont subi. 

Accompagnées de leurs avocats, elles réclament que les gouvernements imposent de nouveaux règlements aux fédérations sportives canadiennes afin que les jeunes athlètes puissent pratiquer leur sport, s’entraîner et atteindre l’excellence en toute sécurité, à l’abri de toute agression sexuelle ou psychologique. Elles proposent que les fédérations embauchent d’ici le 1er avril 2020 des « officiers de sécurité indépendants » qui pourront recueillir les témoignages de présumées victimes advenant agressions. L’octroi de subventions par les gouvernements devrait être conditionnel à la présence de ces officiers. 

Lorraine Lafrenière, la présidente de l’Association canadienne des entraîneurs qui était aux côtés des quatre skieuses lors de la conférence de presse de mardi, croit qu’il est temps en effet de « transformer le paysage sportif canadien ». Elle se dit favorable à l’intégration de ces agents indépendants au sein des Fédérations, et à ce que les entraîneurs, quels qu’ils soient, aient suivi une formation et respectent un code pour offrir un environnement sécuritaire et respectueux au sein de leur sport. Enfin elle préconise la fameuse mesure du deux, soit que le jeune soit toujours en présence de deux adultes, et jamais seul avec un adulte : « qu’aucun athlète mineur ne se retrouve seul avec un entraîneur ou un autre responsable adulte pendant les déplacements, l’entraînement ou d’autres activités ». Une mesure simple à mettre en place et à faire respecter…  

Un groupe de travail sur l’égalité des sexes dans le sport

Les demandes des ex-skieuses ont été bien reçues par le gouvernement du Québec et celui du Canada. Le ministre québécois de l’Éducation, Sébastien Proulx, a déclaré que son équipe était déjà à pied d’œuvre dans ce domaine : « Le message que je veux lancer aujourd’hui à ces gens, ces femmes qui se sont présentées avec beaucoup de courage devant les caméras, et à tous ceux qui pratiquent un sport, c’est qu’il faut les protéger, il faut mettre les mesures pour s’assurer que lorsque, comme société, on supporte les fédérations, ce soit fait dans un contexte où l’environnement est sain et sécuritaire ».

Du côté du gouvernement canadien, on fait valoir que plusieurs fédérations sportives ont déjà intégré un certain nombre de ces mesures. On promet que des annonces seront faites prochainement concernant ces changements : « Nous avons aussi mis en place un Groupe de travail sur l’égalité des sexes dans le sport, formé de leaders du monde du sport, qui a pour mandat de se pencher sur plusieurs enjeux, notamment celui du harcèlement dans le sport. De plus, nous sommes en train de revoir nos politiques de financement afin de nous assurer que les organisations continuent de promouvoir des environnements sains et sans harcèlement. Nous allons annoncer un renforcement de nos politiques dans les prochaines semaines » a précisé par courriel l’attachée de presse de la ministre intérimaire des Sports Kirsty Duncan. 

Certaines fédérations sportives ont déjà mis en place des mesures intéressantes, comme Synchro Canada qui a fait former ses athlètes, ses entraîneurs et ses bénévoles aux notions de respect, de harcèlement, d’intimidation, avant les JO de Rio en 2016. Un premier pas intéressant, mais il faut aller encore plus loin. 

La balle est maintenant très clairement dans le camp des pouvoirs publics. Mais dans leur combat, ces sportives de haut niveau ont trouvé beaucoup de soutien, à commencer pour leur combat judiciaire.

D'autres voix se font entendre

En soutien à ces quatre ex-skieuses, quatre autres femmes sont sorties de l’ombre, elles aussi victimes de Bertrand Charest : Émilie Cousineau est l’une des 9 victimes de l’entraîneur, Allison Forsythe, Katie Bertram et Gillian McFetridge sont les trois autres plaignantes, pour lesquelles Bertrand Charest n'a pas été condamné. Elles réclament elles aussi des changements rapides dans le monde du sport au Canada pour mettre les jeunes à l’abri de tels abus. 

Des histoires d’horreur du même genre, il y en a beaucoup dans le merveilleux monde du sport. Beaucoup trop. Au Canada ou ailleurs. Des vies d’adolescentes – puis d’adultes – détruites par des entraîneurs-agresseurs qui profitent de leur relation d’autorité, du manque d’expérience de ces jeunes, de leur naïveté, de leur jeunesse, de leur passion pour leur sport et leur ambition pour atteindre leurs buts pervers et leur petit plaisir vicieux. Un entourage complaisant qui ferme les yeux sur l’inacceptable pour ne pas nuire à la réputation de tel ou tel club sportif, telle ou telle fédération, tel ou tel organisme et qui sont presque aussi coupable que l’agresseur en question. C’est zéro tolérance. Cela ne doit plus survenir. Merci, mesdames les skieuses, d’avoir eu le courage de venir le dire publiquement.