Fil d'Ariane
Tandis que dans l'hémisphère nord, Américaines ou Européennes des régions septentrionales s'affichent librement et fièrement dans les parcs, aux terrasses de café, dans le métro, au travail, etc, un bébé cramponné au sein, d'une part, la main tapotant des textos sur un téléphone portable, de l'autre, il est des régions du monde occidental où il ne fait pas bon être une "bonne mère nourricière" selon les critères d'organistations internationales comme l'OMS. Partout les vertus du lait maternel sont vantées, parfois même jusqu'à la culpablisation des femmes qui s'y refuseraient.
Au Chili aussi, des député.es font pression pour que le lait naturel prenne le pas sur l'artificiel. Mais malgré moulte tentatives, il est toujours très difficile à une postulante chilienne de donner le sein à son bébé en public. Elle prendrait le risque d'être vilipendée par des passants peu enclins à goûter le spectacle. Et elle trouverait bien peu de défenseur.es pour la féliciter de son geste citoyen (l'allaitement maternel quand c'est possible pour la mère et l'enfant est effectivement gratuit, sans emballage, et sans préparation).
Au Chili, une femme est plus sûre de montrer ses seins dans un cabaret que dans un lieu public
Campagne Lactancia Libre
Face à ces nombreux cas de discrimination, un vent activiste pour le lait maternel partout et tout le temps souffle sur le Chili pour bousculer ou épouser (tout dépend de la façon d'envisager le rôle de mère) la gouvernance conservatrice qui a succédé à Michelle Bachelet depuis qu'elle a été remplacée à la présidence du pays par Sebastián Piñera, son éternel adversaire, homme d'affaires richissime, très marqué à droite : cinq député.es ont déposé un projet de loi afin de verbaliser, voire pénaliser les agressions contre les femmes allaitantes dans l'espace public, initiative accompagnée d'une vidéo en passe de devenir virale au Chili "Lactancia Libre", réalisée par une agence de communication.
Le clip d'à peine plus d'une minute, montre des femmes qui travaillent dans une boîte de nuit où elles se produisent en "topless". Les unes après les autres, elles lancent qu'"une femme est plus sûre de montrer ses seins dans un cabaret que dans un lieu public".
Selon ceux qui mènent cette campagne par le biais de la provocation, il n'y a actuellement aucune protection efficace pour l'allaitement maternel au Chili. Pire, selon des études d'opinion, 50 % des mères chiliennes se sont senties victimes de discrimination (vexations, rejet, agressions), une fois ou l'autre, lorsqu'elles allaitaient dans des lieux publics. Or il n'existe actuellement aucune protection juridique permettant à ces femmes d'exercer ce qu'elles estiment être un droit fondamental.
Pourtant, on peut lire sur un blog de maman "parfaite" que le lait naturel est fortement recommandé aux Chiliennes, à condition sans doute qu'elles ne travaillent pas et s'adonnent à cette activité à la maison, comme on peut le lire entre les lignes de cette description idéalisée.
On peut aussi voir sur le site de la ministre de la Femme et de l'égalité entre les sexes, Isabel Plá, dans une note du 9 avril 2018, que parmi "les priorités de l'agenda législatif à promouvoir par le ministère", entre les violences faites aux femme, l'écart salarial et la crèche pour tous/toutes, "l'allaitement maternel libre" tient sa place. "Pour nous, il est important d'aller de l'avant avec un programme législatif qui fournit aux femmes les outils nécessaires et prévient toute forme de discrimination. C'est pourquoi, en tant que gouvernement, nous évaluons la possibilité de donner un caractère d'urgence au projet d'allaitement libre, afin qu'une mère ne soit plus jamais discriminée pour avoir allaité son enfant", a-t-elle déclaré lors d'une rencontre avec deux élues de son bord, la sénatrice Carolina Goic et la députée Joanna Pérez. On les voit poser toutes les trois, heureuse de cet engagement maternel...
Parlamentarias DC solicitan a Ministra Plá agilizar proyecto de Lactancia Libre https://t.co/sA5VgjYB6w pic.twitter.com/YmZQdtDh8J
— Diario Concepción (@DiarioConce) 10 avril 2018
Sans doute est-elle poussée à cette "urgence" par ces autres député.es qui ont déposé au tout début du mois d'avril 2018 un texte de loi qui rendrait passible d'amendes tous ceux et celles qui se dressent contre les mères allaitantes. Les élu.es (écologistes ou de centre gauche) Carolina Marzan, Loreto Carjaval, Cristina Girardi, Marisela Santibanez et Andrea Parra propose d'infliger des sanctions pécuniaires "à ceux qui interdisent l'allaitement maternel, tant dans les lieux publics que privés en menaçant, perturbant ou entravant les droits de ces femmes."
Le tribunal de la famille sera chargé de prononcer les peines à l'aune de ce qui est prévu par le code de la santé, c'est à dire environ 5000 pesos chiliens, soit environ 7 euros (le salaire moyen au Chili est de 500 000 pesos, à peu près 700 euros).
L'objectif principal de ce projet de loi est de définir "l'allaitement maternel comme un droit fondamental de l'enfance, mais aussi des mères, qui doit pouvoir s'exercer librement, en tout lieu ou cadre, parce qu'il s'agit d'un acte naturel de l'espèce humaine, en dehors de toute connotation moralisatrice".
En 2015, une initiative similaire était arrivée sur les bancs du Congrès (le parlement chilien),... restée dans les tiroirs depuis trois ans.
Cela dit, projet de loi répressif ou non, la question ne sera pas résolue. Il se trouvera toujours des personnes incommodées par des bébés tétant les seins gonflés de leur maman - et après tout c'est leur droit... Tout le monde n'est pas forcément bouleversé et ému à la vue d'un allaitement. Des femmes ayant fait d'autres choix peuvent même s'en trouver culpabilisées...
Voici quelques années avaient déferlé aux Etats-Unis et dans l'Europe du Nord des images, et des actions invitant les femmes à se consacrer corps et âme à la maternité triomphante, un mouvement appelé "attachment parenting ". Des Unes de grands magazines s'en faisaient l'écho aux Etats-Unis, tandis que de l'autre côté de l'Atlantique les Danoises organisaient des happening d'allaitement...
Et si on laissait le libre choix - allaiter ou pas ; en public ou pas ; grogner ou se réjouir face à ces scènes nourricières...
Et surtout ne pas renvoyer les femmes à cette essence maternelle, que toutes ne partagent pas...