Au Japon, des femmes victimes de stérilisation forcée témoignent

16 500 femmes et hommes ont été stérilisés de force au Japon entre 1946 et 1998. Une politique eugéniste qui visait à interdire aux personnes atteintes de handicap mental ou de déficience intellectuelle d’avoir des enfants. L’une de ces victimes a décidé de porter plainte, pour la première fois, contre l’Etat au début de cette année 2018. D’autres témoignent, depuis, dans les colonnes de The Guardian
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hôpital japon
25 000 personnes ont subi des stérilisations au Japon entre 1946 et 1996. Aujourd'hui, des victimes non consentantes sortent de leur silence. 
©AP Photo/Mark Baker
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« On m’a donné des anesthésiants et, après cela, je ne me souviens plus de rien ». Junko Iizuka raconte ainsi à nos confrères du quotidien anglais The Guardian avoir subi une opération mystérieuse en 1963. A 16 ans, on lui ligature les trompes. Elle n’apprendra la vérité sur cet acte chirurgical que des années plus tard, en surprenant une conversation entre ses parents. Sortir de son silence reste, aujourd'hui, une gageure pour cette femme.

« Je me suis rendue à Tokyo pour voir si cette opération était réversible mais on m'a dit que cela ne serait possible, confie-t-elle à nos confrères du Guardian. Ils m'ont volé ma vie. »

Junko Iizuka fait partie de ces 16 500 femmes - à 70% -  et hommes, qui ont subi des stérilisations forcées au Japon entre 1946 et 1996. Cette politique eugéniste a touché en tout, en 50 ans, 25 000 personnes. Certaines consentantes, d'autres non comme Junko Iizuka.

En quoi consiste la loi ?

La loi de "protection eugénique" promut en 1948 venait remplacer celle qui avait été établie dès 1940 au Japon. Après la Seconde guerre mondiale, elle devait répondre à la volonté politique du pays d'"améliorer la qualité du pays". 
Elle autorise alors la stérilisation des femmes pour qui une grossesse pouvait être dangereuse ou si un membre de leur famille était atteint d'une maladie génétique.
Cette loi légalise aussi l'avortement dans les cas de grossesses liées à un viol, ou lorsque la mère était atteinte de la lèpre, ou d'une maladie héréditaire.
Mais cette loi de "protection eugénique" a surtout pour les autorités une autre utilité : stériliser de force des femmes présentant des handicaps mentaux ou physiques. Une discrimination, un eugénisme légal qui a pris fin en 1996 grâce à une révision de la loi. 

L’une de ces victimes a d’ailleurs porté plainte contre l’Etat japonais fin janvier 2018. Une première. Cette femme, âgée aujourd’hui de 60 ans, a été stérilisée sans son consentement en 1972 alors qu’elle n’avait que 15 ans. La raison invoquée : « faiblesse d’esprit héréditaire » !

En réalité, elle souffrait de troubles mentaux après avoir subi une opération pour son bec de lièvre d’après les documents de la cour de justice où elle a déposé plainte. Adolescente, elle est diagnostiquée « déficiente intellectuelle » et condamnée à une stérilisation forcée. 
 
Des conséquences médicales la contraignent, des années plus tard, à se faire enlever les ovaires. Son infertilité l'empêche, à plusieurs reprises, de se marier dans une société nippone encore très traditionnelle. « A cette époque, la pensée commune voulait que vous vous marriez pour avoir des enfants alors il était difficile de se marrier si vous ne pouviez pas avoir d'enfants », témoigne la belle-soeur de la victime qui a pris la parole pour elle dans les médias japonais.

Droits humains bafoués

Pour cette femme qui a souhaité gardé l’anonymat, ses droits humains et la constitution japonaise ont été bafoués. Elle demande réparation à l’Etat japonais et une compensation financière pour le préjudice subi : 11 millions de yens soit plus de 80 000 euros. 

Un responsable du ministère de la Santé a alors indiqué que le gouvernement était prêt à discuter d’une aide individuelle, tout en soulignant que le gouvernement n’avait pas l’intention de prendre des mesures générales. 
 

C’était conçu pour éliminer de notre société des personnes handicapées. 

La belle-soeur de la victime dénonce une loi « qui instaure que certaines personnes devraient avoir des enfants, et d’autres non. C’était conçu pour éliminer de notre société des personnes handicapées », raconte-t-elle à nos confères du Guardian.  

Certains comparent même cette pratique à la stérilisation imposée par les nazis aux juives et aux tsiganes. En Suède ou en Allemagne, les gouvernements ont déjà présenté leurs excuses aux victimes et payé des compensations financières. 

Au Japon, rien de cela n'a encore été fait. Cette première plainte déposée pourrait faire date dans un pays où les idées eugénistes ont toujours cours. En 2016, 19 résidents d'un centre d'accueil pour les personnes handicapées du centre du pays, sont tués. C'est un ancien membre du personnel qui en était l'auteur. Ce dernier considérait que « les personnes atteintes de handicaps graves devaient être éliminées parce qu'elles n'apportent que de la tristesse. » Le pays a encore une forte réflexion à mener sur le sujet.