Fil d'Ariane
« Je te respecte. Tu me respectes. Ensemble, nous créerons notre liberté » chante Zere Asylbek en kirghize. A 19 ans, cette jeune femme brune à l’air déterminé a sorti son premier tube, « Kyz » (« fille ») cet été. Dos à un lac, vêtue d’une jupe beige, d’une veste noire et d’un soutien-gorge violet, elle pousse la voix entourée de six autres filles. Le but de son clip était de faire réagir et de provoquer le débat dans son pays, le Kirghizistan. « Mais là, ça a dépassé toutes mes attentes. »
On voit souvent des femmes danser en sous-vêtements dans des clips, je ne pensais pas faire réagir en m’habillant ainsi
Zere Asylbek, auteure-interprète
Au moment de publier sa vidéo, Zere pense que ce qui va choquer est le fait de voir plusieurs femmes côte à côte, vêtues différemment, en hijab ou en maillot de bain aussi. « On voit souvent des femmes danser en sous-vêtements dans des clips, je ne pensais pas faire réagir en m’habillant ainsi. » La veille du tournage, elle choisit ses habits sans trop y réfléchir, attrape un soutien-gorge blanc, trouve de la peinture et le peint spontanément en violet. La différence, c’est qu’elle ne danse pas de manière sexy. Elle se tient droite, revendique des droits, sa poitrine n’est alors plus un objet sexuel mais politique. Ça l’attriste de se dire que « si [elle] avai[t] dansé de manière sexy, les gens n’auraient jamais réagi ».
Zere s’est lancée dans ce projet après un échec scolaire. « J’avais quitté mes études de linguistique pour essayer d’entrer dans une école de théâtre et de musique à Londres. J’ai été présélectionnée, je suis allée à Paris pour une audition, mais je n’ai pas été retenue. » Elle rentre chez elle, un village à 20 km de Bishkek, la capitale, et déprime. Très vite, elle se dit qu’elle va profiter de son temps libre pour faire quelque chose d’utile. C’est là qu’elle écrit Kyz. Elle publie d’abord sa chanson en son seul, qui ne provoque que quelques réactions. Ses amis lui disent : « les gens sont visuels. Il faut faire une vidéo. »
Elle prépare le tournage du clip en un mois, le réalise en deux jours et demi, attend une semaine avant de le publier, ne le trouvant pas assez choquant. « Mais apparemment, ça l’était suffisamment ! » s’amuse-t-elle. « Deux heures après la mise en ligne, j’avais des notifications de partout, tous les médias du pays parlaient de moi ».
Bravo, c’est génial ce que tu fais. J’espère que ça changera quelque chose.
Une passante
« Zere, c’est toi ? » une passante d’une vingtaine d’années la reconnaît derrière ses lunettes et sa casquette. « Bravo, c’est génial ce que tu fais. J’espère que ça changera quelque chose. » Un selfie et un câlin plus tard, elle part et laisse Zere avec un grand sourire. Elle a reçu des messages d’encouragements de milliers de femmes en Ukraine, Biélorussie, Kazakhstan. Son visage est apparu dans des médias français, espagnols, américains. « Une Indienne m’a envoyé une photo d’un article sur moi sorti dans un journal de là-bas, c’est juste incroyable. Ça prouve que ce problème est universel. »
Comme elle ne peut plus faire marche arrière, elle fait marche avant. Elle prépare un album de trois chansons, la deuxième est déjà écrite. Elle monte aussi des dossiers pour postuler dans d’autres écoles de théâtre, de musique, d’art de la scène, aux Etats Unis et au Canada, dans le but de faire passer ses idées féministes à travers l’art. Et de conclure, en souriant : « Zere signifie soleil levant en turcique (langues dérivées du turc d'Asie centrale dont le kirghize, ndlr).