Fil d'Ariane
Rencontrer Diala Brisly est tout un programme. Dans son appartement beyrouthin entièrement meublé par la récupération et des travaux manuels, décoré de tous ses dessins, elle tient à préciser avant de commencer l'interview qu'elle n'est « pas féministe », mais qu'elle « aime à travailler sur la cause des femmes ». Son engagement est pourtant très visible, « mais pour la cause humaine, être féministe serait me mettre dans une case et je n'aime pas les labels ».
Les gens en Syrie ne pensent pas qu'être artiste est un vrai métier
Diala Brisly
Une fois ce point clarifié, elle enchaîne rapidement. L'art lui est venu très tôt, grâce à un oncle maternel qui l'a encouragée à dessiner en lui fournissant matériel et conseils. Pourtant, à Damas, elle étudie la littérature arabe puis le génie civil, mais ne passe pas l'examen « parce que je ne voulais pas soudoyer l'examinateur afin de réussir ». « Les gens en Syrie ne pensent pas qu'être artiste est un vrai métier », souligne-t-elle. « Mais un ami m'a parlé d'une compagnie cherchant des artistes pouvant faire de l'animation. J'ignorais que ça existait dans mon pays ! »
Elle travaille pendant cinq ans en tant qu'animatrice, mais arrête à 25 ans afin de se consacrer au dessin en tant qu'indépendante, notamment pour des magazines de bande dessinée et pour les enfants, localement et internationalement. « Je déteste travailler dans une entreprise. Tu accomplis les mêmes tâches, tu ne peux pas créer, tandis qu'avec tous les projets auxquels je participe j'apprends tous les jours. »
Le siège de la ville de Deraa, où a commencé la révolution syrienne, change son univers pour toujours. En 2012, elle rejoint une connaissance dans la collecte de vêtements, nourriture et médicaments pour les habitants encerclés, privilégiant la distribution aux manifestations auxquelles elles prend également part. Et ce malgré les dangers, notamment l'arrestation par les services secrets syriens ou l'armée, ce qui arrive à bon nombre de ses proches activistes, ainsi qu'à sa sœur.
Dans le même temps, son art commence à être affecté par la situation ambiante : « Au début, j'ai changé mon nom pour Elvis Brisly afin de ne pas être reconnue car nos posts sur les réseaux sociaux étaient surveillés, mais j'ai vu un post qui disait "ils [les activistes] sont arrêtés et même tués et on ne devrait pas mettre nos noms sur Facebook, quelle est cette révolution ?" donc j'ai mis de nouveau mon vrai nom ».
Ses amis proches du régime ne la dénoncent heureusement pas, mais la disparition de gens proches de son réseau l'inquiète. Son nom apparaît dans le dossier du frère d'une amie, et les postes de contrôle autour des localités ayant besoin de livraisons produits de première nécessité achève de la convaincre : l'artiste déménage en Turquie, un choix stratégique du fait de sa proximité avec le sud de son pays. « Mais il y a tellement d'ONG là-bas, c'était impossible de continuer l'activisme. J'ai visité des amis au Liban et j'ai vu qu'il était facile d'aider ici, les camps ont besoin de tout, donc j'ai pris mes affaires et suis revenue m'installer. »
Je veux juste aider, surtout les enfants qui bien souvent ne vont plus à l'école et se trouvent dans un affreux univers
Diala Brisly, artiste
Une de ses amis ouvre une bibliothèque publique pour les enfants à Ersal, où elle lui propose de réaliser une fresque murale. « Je n'avais jamais peint sur un mur, mais je me suis lancée et ça m'a beaucoup plu. Nous avons fait ce projet juste avant les attaques [En août 2014, des militants des groupes Al Nosra et Daech attaquent l'armée libanaise dans la ville]. » Diala Brisly continue depuis à donner des ateliers aux enfants des camps et à réaliser des fresques murales, chaque fois avec une ONG ou association différente afin de « donner un maximum à un maximum d'enfants avant de pouvoir partir d'ici ».
Le manque de services élémentaires comme l'eau, l'électricité et un internet rapide lui pèsent au Liban, ainsi que le coût de la vie et le racisme manifesté contre les Syriens, surtout après les événements de Ersal et les huit bombes ayant explosé dans le village chrétien d'Al Qaa à la frontière syrienne. « Un de mes amis a été arrêté il y a deux jours [le 4 juillet] par des hommes en civil dans une voiture. Ils l'ont amené chez lui en l'insultant et ont consulté ses papiers et pris de l'argent. Il y a deux ans, c'étaient des graffitis insultant les Syriens dans les rues de Geitaoui [quartier chrétien de Beyrouth], et certains de mes amis ont été battus dans la rue. »
Aujourd'hui, elle rêve de s'envoler dans d'autres pays ayant subi récemment des conflits, comme la Bosnie, partout où elle pourrait apprendre de l'expérience d'autres et transmettre un peu de bien-être. « Ce que je fais, les gens l'appellent thérapie artistique, mais je n'ai pas étudié cette pratique. Je veux juste aider, surtout les enfants qui bien souvent ne vont plus à l'école et se trouvent dans un affreux univers. J'adore les initiatives réunissant les jeunes libanais, palestiniens et syriens, cela permet de leur faire réaliser à quel point le racisme de leurs parents est nocif. Se rencontrer permet de se connaître et donc ne plus se baser sur des préjugés. »
La jeune femme expose en Suisse, France, Italie ou encore en Espagne, sans jamais pouvoir s'y déplacer du fait de son passeport syrien et du refus des consulats concernés de la laisser voyager, ce qui la frustre et inspire nombre de ses créations « basées sur les droits de l'homme, mais d'une façon indirecte ». « Je me focalise sur les sentiments qu'on peut en tirer, en utilisant des personnages pour rappeler que nous sommes tous humains. Par exemple, j'ai beaucoup de personnages féminins. Les femmes ont eu beaucoup de poids au début de la révolution syrienne, et je n'aime pas l'idée que la politique soit réservée aux hommes. Mais j'estime que tout le monde est important. Par exemple, les ONG se concentrent sur des fonds pour les femmes et les enfants, toujours les femmes et les enfants, mais qu'en est-il des hommes ? Ils vivent en famille, ensemble, on ne peut pas les séparer et on doit travailler en parallèle avec tous ! Les femmes participent à des projets et à des ateliers, tandis que les hommes restent assis chez eux à ne rien faire, ça crée un fossé. »
Est-ce que ça veut dire qu'on doit partir d'ici afin d'avoir une chance dans la vie ?
Diala Brisly
Elle aimerait vraiment avoir l'opportunité de voyager, non seulement pour découvrir son public mais aussi d'autres artistes « afin de développer mes compétences ». Elle regrette également le peu de bourses et d'aides pour les artistes syriens dans le monde arabe : « Tout se trouve en Europe, mais pour des artistes y résidant déjà, donc ici les gens nous oublient, quelques bourses peu conséquentes existent mais je n'ai jamais rencontré personne en ayant eu une. Est-ce que ça veut dire qu'on doit partir d'ici afin d'avoir une chance dans la vie ? ».
Diala Brisly a répondu d'elle-même à cette question en recevant, enfin, une porte d'entrée légale pour la France, qui l'attend dès décembre 2016 pour une nouvelle page de vie loin de son pays.