Fil d'Ariane
Indécentes, trop courtes. C'est ainsi qu'ont été jugées les tenues de deux jeunes coiffeuses marocaines de 23 et 29 ans. Vêtues de robes, elles traversent, le 16 juin 2015, le souk d'Inezgane près d'Agadir.
Rapidement, elles sont prises à partie par des hommes, encerclées, agressées. Elles trouvent refuge dans une boutique en attendant le secours de la police. Mais les forces de l'ordre les conduisent au poste pour les interpeller.
De victimes, elles deviennent accusées et comparaissaient ce 6 juillet pour "outrage à la pudeur" devant le tribunal d'Agadir. Selon le code pénal, elles risquaient d'un mois à deux ans de prison. Le verdict de leur procès a été rendu le 13 juillet. Elles sont acquittées. Pas de condamnation pour une tenue vestimentaire. Il faudra maintenant attendre le jugement des deux hommes arrêtés et qui auraient participé à l'agression des deux jeunes femmes.
Depuis leur arrestation mi-juin, elles ont porté plainte le 3 juillet pour « harcèlement, agression, menaces, discrimination, insultes, diffamation et non-assistance à une personne en danger », raconte le magazine Telquel dans lequel on apprend le même jour, l'interpellation par la police de deux jeunes hommes de 17 et 18 ans. Ces derniers auraient participé au lynchage des deux coiffeuses. Ils auraient harcelé les deux jeunes femmes pour leurs tenues puis la situation a dégénéré en « une agression verbale et physique et atteinte flagrante à la pudeur, lorsque l’un des suspects s’est livré à des actes suggestifs attentatoires à la pudeur », écrit la Sûreté nationale dans un communiqué. Les deux jeunes hommes risquent, eux aussi, jusqu'à deux ans de prison.
Les arrestations mi-juin des deux Marocaines a suscité la consternation d'un partie de la population. Des centaines de personnes ont manifesté fin juin dans les rues de Casablanca et de Rabat sous les bannières "Mettre une robe n'est pas un crime".
#Mettre_une_robe_nest_pas_un_crime Casablanca, hier soir. pic.twitter.com/QSpD6oBTgl
— OUM (@OUM_ELGHAIT) 29 Juin 2015
Le lundi 6 juillet, des groupes de soutien aux deux jeunes filles se sont réunis devant le tribunal d'Inezgane.
#mettre_une_jupe_nest_pas_un_crime des manifestants de tous le Maroc sont présents #inzegane
Posted by Mettre une robe n'est pas un crime on Monday, July 6, 2015
Les messages de ralliement ont notamment été publiés sur la page Facebook d'un groupe appelé "Mettre une robe n'est pas un crime" qui compte plus de 13 000 adhérents. Le groupe a lancé un appel à manifester le 6 juillet à 22h30 dans plusieurs villes marocaines (Marrakech, Tanger, Casablanca, ...) pour une « Journée nationale pour nos libertés individuelles».
Un appel lancé pour défendre les libertés individuelles et les droits de l'homme alors que le Maroc fait face à une série de controverses liées aux moeurs. L'arrestation des deux coiffeuses a notamment ravivé les tensions entre conservateurs et progressistes. Mais ce n'est pas le seul cas.
Début juillet, une vidéo suscite l'émoi des médias et scandalise une partie du pays. Elle montre un homme roué de coups par une foule à Fès - centre du pays - en raison de son homosexualité présumée. L'homosexualité est passible de trois ans de prison au Maroc, selon le code pénal.
Le 19 juin, deux hommes accusés de s'être embrassés en public à Rabat sont condamnés à quatre mois de prison ferme.
Quelques jours plus tôt, c'est la Une de l'hebdomadaire Maroc Hebdo qui suscite l'effroi en titrant "Faut-il brûler les homos ?" Elle finit par être supprimée des kiosques.
Début juin, une plainte est déposée au Maroc contre la chanteuse américaine Jennifer Lopez après son concert dans le pays retransmis sur une chaîne publique. Ses gestes et ses attitudes porteraient atteinte à la pudeur. Une prestation que le ministre de la Communication avait aussi condamnée.
Au mois de mai, c'est le film marocain Much loved qui fait débat. A peine présenté au Festival de Cannes 2015, ce film qui s'attaque à l'industrie du sexe au Maroc, est interdit dans le pays par des censeurs qui ne l'ont même pas vu. Le réalisateur Nabil Ayouche et plusieurs de ses acteurs sont menacés de mort.
Dans Terriennes, Ibtissame Betty Lachgar, co-fondatrice de M.A.L.I.-Maroc ( Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles) s'élevait contre cette censure : " Ces ministres, tout comme leur gouvernement, se positionnent donc en critiques (...) en donneurs de leçons quitte à fermer les yeux sur l’oppression des femmes, sur cette industrie du sexe dont le patriarcat tire bénéfice. Noyer le poisson constitue la plus répugnante des hypocrisies. Rien d’étonnant de la part d’un gouvernement misogyne dans le plus beau pays du monde…"
Mais ces débats publics sur les moeurs ne s'émergent pas qu'au Maroc. Une histoire de robe trop courte a aussi fait polémique en Algérie. Début mai, une étudiante en droit n’a pas été autorisée à entrer dans une salle d'examen de son université à Alger à cause de sa robe jugée « indécente » par un agent de sécurité. En solidarité, des internautes, femmes et hommes, ont posté des photos de leurs jambes. En Algérie et au Maroc, tous indignés contre ces atteintes aux libertés ?
Au Maroc, comme ailleurs, méfiez vous du selfie…
Au Maroc, ‘Much loved’, un film critiqué, vilipendé, interdit… sans avoir été vu
Robe trop courte : l'Algérie dévoile ses jambes