Le viol en réunion d'une jeune femme par un groupe d’adolescents à bord d’un bus à Casablanca, relance au Maroc le débat sur le harcèlement et les violences envers les femmes dans l’espace public. Pour Jamal Khalil, professeur de sociologie à Casablanca, "on n'a pas encore réglé la question de la femme à l'extérieur de la maison".
D'après les derniers éléments de l'enquête, il subsiste une confusion autour de l'identité de la victime du viol collectif.
Le Maroc demeure sous le choc après la diffusion d’une vidéo montrant le viol collectif d’une femme à l’arrière d’un bus par un groupe de mineurs à Casablanca. Au cours de 57 interminables secondes, qui se déroulent en pleine journée, on assiste à une scène insoutenable, filmée à l’aide d’un smartphone. On y voit une jeune femme se faire sauvagement agresser par quatre individus. Ils la dénudent violemment, lui touchent les parties intimes, tout en éructant de rires sardoniques. La victime, elle, est en pleurs. Elle hurle, se débat et supplie sans discontinuer qu’on la laisse partir, dans l’indifférence totale du chauffeur qui poursuit sa course.
Cette vidéo, que nous avons choisi de ne pas publier, a été mise en ligne sur les réseaux sociaux dans la nuit du 20 au 21 août 2017. Mais les faits remontent à trois mois et non au vendredi 18 août, comme l’a avancé à tort dans un communiqué, M’dina, la société de transport en commun qui acheminait la jeune femme. C’est ce qui ressort en effet des premiers éléments de l’enquête, d'après une journaliste locale que nous avons interrogée. Dans ce même communiqué, la compagnie prend la défense de son chauffeur, au motif que la vidéo ne permet pas d’établir à elle seule s’il est ou non intervenu.
Les six agresseurs arrêtés
L’affaire a suscité l’émoi au Maroc et dans le reste du monde. Et l’effet viral de cette séquence sordide aura néanmoins permis l’intervention rapide de la DGSN (Direction générale de la sûreté nationale) après sa diffusion. Les six agresseurs présumés, «
tous âgés entre 15 et 17 ans », «
ont été arrêtés à leurs domiciles » dans le quartier Mâaguiz à Bernoussi (Casablanca).
Qui est la victime ?
Pour l'heure, un doute subsiste sur sa véritable identité.
Au début de leur enquête, les policiers avaient annoncé que la victime répondait au nom d'Imane, qu'elle serait née en 1993, et qu'elle serait sujette à « des troubles mentaux ».
Suite à ces déclarations, la presse locale s'est rendue dans le quartier où habite cette victime supposée pour interroger son entourage. Dans le reportage ci-dessous, on entend la tante, qui semble alors croire à la première version des policiers brosser le portrait de sa nièce, désignée comme la victime. Selon son témoignage, Imane est une «
mère célibataire », «
maman d’un petit garçon » «
en attente d’être placé dans un orphelinat ». Toujours d'après cette tante, celle-ci est «
sous traitement médical » en raison de son handicap mental « e
t vit avec son père adoptif, un marchand de menthe ambulant ». Les trois témoignages, également contenus dans cette vidéo, laissent entendre très maladroitement que la pathologie d’Imane la conduisait souvent à « vagabonder » dans les rues. Au Maroc et dans de nombreux pays, l'état mental de la victime constitue une circonstance aggravante pour les agresseurs, en l'espèce au lieu de 5 à 10 ans de prison, ils encourent une peine de 10 à 20 ans.
Si une majorité de messages en soutien à la victime se sont multipliés sur la toile, d’autres posts et témoignages en défense des agresseurs ne se sont pas fait attendre. Certains hommes mais aussi des femmes justifiant - comme dans de trop nombreux pays encore après des viols - l’agression sexuelle de la jeune femme en raison de «
sa tenue vestimentaire » ou encore «
de sa simple présence dans les transports en commun ». L’un d’entre eux a suscité la colère de plusieurs internautes à commencer par la psychologue, militante féministe et des droits humains,
Ibtissame Lachgar qui a vivement réagi.
Le sociologue et professeur à l'université Mohammed V de Rabat, Mohammed Ennaji, a lui emprunté le célèbre «J'accuse» de Zola «
car il est le seul», écrit-il dans
une tribune, «
qui exprime ma révolte devant les images horribles d’un viol collectif, social oserai-je dire, et l’adjectif n’est pas à la mesure du crime en question ». «
J’accuse tous ceux qui sont derrière ces faits, directement ou indirectement. »
D’autres, en voulant dénoncer ce viol collectif, commettent des raccourcis, amalgamant et accusant l’ensemble de la jeunesse marocaine. Une attitude à laquelle a préféré couper court la journaliste marocaine Hanane Harrath dans un post facebook salutaire. «
On a de façon récurrente ces comportements de violences envers les femmes au Maroc avec un fort sentiment d’impunité mais je ne veux pas que l’on réduise tous les jeunes Marocains à des mâles qui peuvent céder à des agressions envers les femmes », clarifie-t-elle.
On n'a pas encore réglé la question de la femme à l'extérieur de la maison.
Jamal Khalil, professeur de sociologie
L'affaire intervient quelques semaines après l’agression d’une jeune femme dans les
rues
de
Tanger. Elle avait également suscité l’indignation au Maroc laissant la question du harcèlement et des agressions de rue toujours béante.
Recrudescence des violences dans l’espace public ?
Pour Jamal Khalil, professeur de sociologie à l’Université Hassan II Aïn Chock Casablanca, interrogé par
le site d'informations Telquel.ma, «
on n'a pas encore réglé la question de la femme à l'extérieur de la maison. On est dans une culture où l'on estime qu'elle n'est pas bienvenue dans l'espace public et que si elle est agressée, c'est quelque part de sa faute, car elle dérange. Une fille, quand elle sort de sa maison, doit avoir un plan de route et il y a des choses qu'elle ne peut pas faire. Ce n'est évidemment pas le cas pour les hommes. En été, le phénomène est exacerbé, car les gens sortent davantage. Il y a un peu plus de femmes à l’extérieur donc cela dérange un peu plus. »
Existe-il une recrudescence de ces violences dans les lieux publics ? «
Difficile de répondre à cette question » selon Hanane Harrath. «
Ce qui est sûr c’est qu’ils sont davantage relayés grâce à la puissance des réseaux sociaux. Mais il n’existe pas au Maroc de statistiques des agressions sexuelles sur les femmes dans l’espace public. »
Un
Observatoire national de la violence à l’égard des femmes a été créé mais il est qualifié de « coquille vide » par les féministes. «
Les seuls chiffres officiels dont on dispose révèlent que deux femmes sur trois sont victimes de violences au Maroc sans préciser la nature des violences », poursuit la journaliste.
Pourquoi se sent-on obligés, dès qu'un drame sordide secoue le Maroc, de comparer avec ce qui se passe de l'autre côté de la mer.Hanane Harrath, journaliste marocaine
«
Des viols, il y en a tous les jours, partout dans le monde. On viole des femmes, des enfants, garçon et fille, des hommes aussi. En France, 98% des viols sont commis par des hommes et 93% des victimes sont des femmes » rappelle
dans une tribune Hajar El Hanafi, une jeune marocaine ingénieure, consultante en management installée à Paris. «
Je n’ai pas trouvé de chiffres concernant le Maroc, déplore-t-elle
. À vrai dire, les pays où l’on note le plus de cas de viols sont paradoxalement les pays où la femme est la plus libre : la Suède, l’Allemagne, la France, le Canada… Mais ne vous y trompez pas, ce sont là les pays où il est légitime et encouragé de se plaindre à la police. »
Pour Hanane Harrath, la comparaison s’arrête ici. «
Pourquoi se sent-on obligés, dès qu'un drame sordide secoue le Maroc, de comparer avec ce qui se passe de l'autre côté de la mer, photos de filles en jupes ou en shorts dans les rues de France et d'ailleurs à l'appui ? interjette-t-elle.
Bien sûr que nous avons encore beaucoup de combats à mener, ici au Maroc, pour que la liberté des femmes et la mixité dans l'espace public ne soient plus vécues comme incongrues. Mais le combat des femmes reste universel, et d'actualité, partout. »
Un vide juridique
La journaliste reconnaît qu’au Maroc «
on n’ose pas encore systématiquement porter plainte ». D’après une enquête réalisée entre 2009 et 2011 par le Haut-Commissariat au Plan du Royaume du Maroc, seules 3% des femmes portent plainte et à peine 1% des hommes sont poursuivis pénalement. Il n’existe aucun arsenal juridique contre les agressions dans l’espace public. «
La loi marocaine condamne le harcèlement des femmes au travail mais pas dans les espaces publics » avait concédé début août à l’AFP, Mustapha Ramid, ministre d’Etat chargé des Droits de l’homme. Avant de déclarer qu'un projet de loi « complet » qui criminalise les violences à l’égard des femmes, incluant pour la première fois le harcèlement dans les espaces publics, est en cours d'adoption au Parlement.
En attendant une loi, des féministes du groupe Al-Fam avaient appelé à un sit-in en solidarité avec la victime et contre les violences à l’égard des femmes le mercredi 23 août en fin d’après-midi, sur la Place des Nations Unies de Casablanca. D'autres rassemblements étaient également prévus dans les grandes villes du pays. Mais malgré l'enthousiasme affiché pour y participer, la foule n'était pas encore au rendez-vous. #yaduboulot comme nous disons toujours ici...