Au Mexique, tortures et abus sexuels pour obtenir les aveux des détenues

C'est un rapport effrayant que publie ce 28 juin 2016 Amnesty International. Cent femmes détenues, interrogées par l'ONG, révèlent avoir subi actes de torture, abus sexuels ou autres agressions de la part de policiers pressés d'obtenir des aveux, afin de gonfler leurs chiffres d'enquêtes soi-disant résolues.
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Tortures de prisonnières au Mexique
Des manifestantes exigent la fin des tortures contre les détenues incarcérées dans les prisons mexicaines, devant l'ambassade du Mexique à Londres...
(c) Amnesty International
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C'était en avril 2016, les images d'une jeune Mexicaine torturée par des policiers qui l'interrogeaient avaient fait le tour de la toile. La détenue pleurait et les tortionnaires semblaient contents d'eux-mêmes. La caméra cessa de tourner, et chacun-e se demanda alors ce qui s'était encore passé hors champ... Un ministre avait dû s'excuser, mais peu de Mexicains avaient cru à la sincérité de cet acte de contrition...

A la suite de cette révélation qui n'en était pas vraiment une, le Mexique étant connu comme l'un des pays les plus violents contre ses concitoyennes avec six assassinats en moyenne chaque jour, l'ONG Amnesty International a décidé d'enquêter. Les conclusions du rapport publié le 28 juin 2016 sont accablantes pour les méthodes utilisées par la police et les forces armées dans ce grand pays du Sud de l'Amérique du Nord : tortures, menaces de viols, violences sexuelles, menaces sont monnaie courante à l'encontre des détenues, mais aussi de leurs proches et famille. Tentatives d'asphyxie, décharges électriques contre leurs parties génitales, coups sur les seins, pincements violents des mamelons, introductions dans leur sexe d'objets contondants, d'armes à feu et de pénis. Voilà donc cette énumération de l'horreur dont sont victimes les femmes retenues dans les prisons mexicaines (entre 5 et 7% de la population carcérale, emprisonnées pour la plupart dans des affaires de drogue)...

Au Mexique, une violence institutionnelle sur fond de machisme général

Les traitements dégradants infligés aux détenues ne sont que le reflet d'une violences machiste à l'oeuvre dans tout le pays. C'est au Mexique que le mot "féminicide" a été employé pour la première, afin de qualifier au plus près cette violence de masse, les meurtres en rafale et quotidiens de Mexicaines. Selon l’Observatoire ciudadano nacional del Femicidio (OCNF) six femmes sont tuées chaque jour. Ces meurtres et enlèvements ont principalement lieu dans des villes du long de la frontière américano-mexicaine comme Mexicali, la capitale de l’Etat mexicain de la Basse Californie ou encore la tristement célèbre ville de Ciudad Juarez, située au nord de l’État de Chihuahua.  Ces femmes assassinées ou disparues sont souvent d’origine indienne, venant des zones rurales pauvres du Mexique attirées par la perspective d’une situation économique meilleure ou par la possibilité de traverser la frontière en direction des Etats-Unis. Le racisme structurel à l’égard des femmes autochtones dans la société mexicaine contribuerait à l’apathie des autorités lors des enquêtes relatives à la disparition des victimes.

Sévices sexuels, l'ordinaire de détenues au Mexique au nom de la lutte contre la drogue


Elles sont cent à avoir osé témoigner, malgré les obstacles placés par les différents services - menaces, écoutes pirates, intimidations - pour les empêcher de parler à l'ONG, de ces exactions "ordinaires". Et 72 de ces rescapées racontent que les actes de barbarie commencent dès leur arrestation ou dans les heures qui suivent. Elles sont les victimes collatérales, voire des otages, de la guerre contre les cartels de la drogue, prises sous le feu d'une surenchère dans la violence entre deux mondes. Bien souvent traitées comme de la marchandise, mises en esclavage sexuel ou prostituées par les cartels de la drogue, elles ne sont pas moins chosifiées, mutilées, par la police ou l'armée qui, incapables d'arrêter les trafiquants, s'enorgueillissent de leurs arrestations, faisant ainsi passer des vessies pour des lanternes à une opinion publique en quête d'actes et de résultats dans cette bataille.

La plupart d'entre elles, incarcérées depuis 2011, viennent de milieux très pauvres, sont de très jeunes mères célibataires, incapables de se défendre. Facteur aggravant dans les violences subies : non seulement leur genre féminin mais aussi leur orientation sexuelle - les lesbiennes ou bi-sexuelles sont encore plus mal traitées que les autres -, soutient l'insoutenable enquête d'Amnesty International... Des dénonciations appuyées sur des preuves auxquelles les autorités mexicaines restent insensibles : les tortionnaires bénéficient d'une absolue impunité, surtout lorsque les plaintes sont déposées par des femmes. Les quelques programmes de prévention des violences de genre mis en place par le gouvernement pour tenter d'enrayer cette violence institutionnelle n'ont donné aucun résultat.

Tu vas aller en prison parce que tu es une fichue putain stupide
Un policier mexicain s'adressant à Fernanda, travailleuse du sexe et mère célibataire

Fernanda avait 22 ans en mars 2014, dans l'Etat de Mexico, lorsque les "Fédéraux", en tenue d'assaut, vêtus et masqués de noir, armés jusqu'aux dents, ont débarqué chez l'un de ses clients et l'ont emmenée dans une maison où elle entendait des hurlements, où on l'a battue et passée à l'électricité avant de la jeter en pâture à l'opinion publique lors d'une conférence de presse et de la présenter comme l'une des organisatrices du trafic de drogue local….

tableau tortures prisonnières mexique
L'un des tableaux, insupportables dans son énoncé et ses résultats, tiré de l'enquête menée par Amnesty International.
"Durant votre arrestation avez vous été frappée : Oui 93%
Si oui, où ? Sur la tête, 79% ; à l'estomac, 62% ; aux jambes, 61% ; aux fesses et aux seins 24% et 21% ; sur les parties génitales, 16%
"

Bienvenue à la fête !
Un officier à Monica, 26 ans, Etat de Coahuila

Monica avait 26 ans en février 2013 lorsqu'elle fut arrêtée avec son mari et son frère à Torreón, Etat de Coahuila (Nord du Mexique). Séparée des deux hommes, elle attendait avec une policière lorsqu'un officier l'embarqua vers la pièce où ils étaient retenus, nus et ensanglantés. Il la poussa en rigolant et en lançant "Bienvenue à la fête !". Le policier commença par lui mettre un sac en plastique sur la tête, puis poursuivit en lui claquant les fesses avant de passer à des chocs électriques sur ses seins et ses jambes. Un autre vint l'embrasser de force, la gifla, avant de la violer devant ses proches. Six policiers la violèrent ensuite, se masturbant aussi sur son visage, la forçant à une pénétration orale et à avaler leur sperme. Le mari de Monica ne survécut pas à cette séance. Elle fut forcée de signer des aveux d'appartenance au cartel de la drogue de Zeta.
Insoutenable… Et pourtant ces femmes en arrivent à penser que tout cela est normal, tant cette violence à leur encontre est dominante.

tableau tortures prisonnières mexique2
Autre tableau : "Durant votre arrestation, a-t-on tenté d'introduire quelque chose dans votre vagin ? Oui : 27%, Non 59%. Pour 18% des doigts, 7% le pénis, 6% un objet, 7% la gégène électrique"

Mon amie m'a étreinte, alors ils nous ont frappées et dit "Vos êtes des salopes de lesbiennes"
Denise Francisca Blanco Lovato, 25 ans, arrêtée par des Marines

En août 2011, Korina de Jesús Utrera Domínguez et son amie Denise Francisca Blanco Lovato étaient à la maison, à Tabasco, tout au sud du Mexique. Soudain des Marines en tenue de camouflage surgirent chez elles en hurlant "Ne faites pas les idiotes, nous cherchons la drogue !". Les voilà donc enlevées vers la base navale où elles sont violées, asphyxiées, et passées à la gégène. Korina, qui n'avait jamais eu de relation avec un homme, est pelotée, ses mamelons sont pincés, des doigts introduits dans son vagin et un tube inséré dans son anus. Un des marines tente de lui mettre son pénis dans la bouche en criant :  "Allez salope, vas-y essaye !" Quand les militaires l'ont obligée à manger de la nourriture sur le sol, l'un d'eux a crié: « Assez ! Elles vont nous poursuivre en justice ! ». Denise a également été violée par les soldats qui mettaient leurs doigts gantés dans son vagin et lui appliquaient des décharges électriques sur ses parties génitales.
Emmenées au bureau du procureur au terme de 30 heures de ce traitement, elles signèrent les confessions de leur appartenance au crime organisé. Vue par un médecin à qui elle confia les sévices, celui-ci donna l'ordre à Korina de "la fermer". Une information judiciaire pour tortures fut ouverte... quatre ans plus tard… Et à ce jour, les deux femmes sont toujours détenues, dans l'attente de leur procès. Aucun Marine n'a été inquiété...

La surdité des autorités mexicaines


Amnesty international demande donc aux gouvernants mexicains, et au premier chef au président, de :
1 - retirer le plus vite possible les forces armées et la police des tâches de sécurité publique, pour lesquelles elles ne sont ni formées ni passibles de peine.
2 - reconnaître publiquement l'importance de l'usage de la torture et de violences sexuelles contre les détenues.
3 - instaurer le recours systématique à des experts médicaux indépendants par les procureurs.

Avec bien peu d'espoirs d'être entendu…